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L’autre jour, j’avais une discussion avec un copain qui m’expliquait que quand il disait des phrases comme « il y a statistiquement plus de personnes d’origine étrangère en prison », cela choquait ses étudiants de Master (en France), mais que ces derniers ne savaient pas dire en quoi cette phrase posait problème.
En fait, on en reste à de « l’indignation », du « c’est pas bien ». Le seul truc qui les pousse à refuser cette phrase, c’est une approche moralisante. « On ne peut pas dire cela en France », ont-ils intériorisé. « C’est le discours du FN, teinté de racisme », déclarent-ils à demi-mot. Or, d’autre part, ils savent aussi que cette phrase est relativement factuelle. Ils ne cernent cependant pas où l’imposture logique (qui confond notamment causalité et corrélation, cf. cet article et La logique face aux mauvais arguments) se trouve, tant qu’on n’y a pas réfléchi avec eux.
Autrement dit, cela ne va pas de soi de cerner tous les implicites d’un discours afin de les déconstruire (à ce sujet, cf. la distinction entre sémantique et pragmatique et ses déconstructions).
Les « Je Suis », les « Indignez-vous » et autres attisent cette posture émotionnelle (et identitaire !).
Je me suis déjà élevé contre la polysémie de l’affirmation « Je suis ». Que signifie « Je suis » ? J’approuve le message ? Je soutiens ? Je compatis ? J’adhère aux idées ? Je cautionne les réactions politiques ? (Lire par exemple à ce sujet : Il y a un an, qui étaient ceux qui disaient #JeNeSuisPasCharlie ?).
Chacun y va de sa petite indignation, mais la réflexion n’est pas valorisée. Quand je lis ou entends les propos de certains politiciens sur les sciences humaines et sociales ou toute autre démarche à visée explicative, je crains que l’on soit dans le registre de la propagande pure et dure. Je frémis en lisant les propos du criminel nazi Göring à ce sujet – lire aussi « Guerre(s) et philosophie »).
Aimez, indignez-vous, partagez, réagissez… : les injonctions émotionnelles
Pour conclure et nuancer, je crois qu’on ne peut pas faire l’économie de cette dimension émotionnelle lorsque l’on veut discuter de ces thèmes, voire de n’importe quel thème dans une optique d’apprentissage et/ou d’enrichissement mutuel.
L’émotion fait partie de la réalité, elle fait partie des choses à expliquer et à comprendre. Comprendre non pour excuser, pour tolérer ou quoi que ce soit, mais comprendre pour pouvoir éviter les dérives, pour développer quelque chose qui favorise l’harmonie et la sérénité, pour construire sur des bases raisonnées. Il serait contreproductif de refuser l’émotion au profit de la raison, de les opposer.
Au contraire, si l’on néglige celle-ci et que l’on ne peut se mettre en empathie avec ceux qui souffrent, sont choqués ou indignés, alors je crois que tous les arguments vont dans le mur (cf. Pour une éthique de la discussion – Lutter contre la haine de l’autre et Développer la capacité à changer de point de vue : les enjeux de la « décentration »).
Développer la capacité à changer de point de vue : les enjeux de la « décentration »