Questions philosophiques d’éducation aux médias

Cet article est consacré à la présentation de questions philosophiques spécifiques d’éducation aux médias, dans le cadre du cours de philosophie des médias et de l’éducation aux médias (master en éducation aux médias, IHECS).

Concepts connexes : Questions d’épistémologieQuestions de philosophie moraleGrille d’analyse de présupposésPrésupposés épistémologiques en éducation et en journalismePrésupposés moraux en éducation et en journalisme

Focus : Jacques Gonnet, éducation et médias

Pour Jacques Gonnet, éducation et médias sont vecteurs de normes sociales, de présupposés et de valeurs.

Les manuels scolaires sont des médias. Or, des dérives de l’académisme, des arguments d’autorité, etc. peuvent être relevées dans l’enseignement lui-même. L’auteur pointe une focalisation de la critique sur la télévision (aujourd’hui, prolongée sur Internet et les jeux vidéo), alors que les supports écrits sont également des médias.

Gonnet relève également que l’un des présupposés de nombreuses pratiques d’éducation aux médias est que les apprenants sont « fragiles » face aux médias.

L’ouvrage Education et médias de Jacques Gonnet permet enfin de nombreux liens avec le pluralisme (des méthodes pédagogiques, notamment), la question de l’évaluation (utilité, sens, efficacité…), la question des représentations sociales, etc.

Focus : Jacques Piette, la fonction critique de l’éducation aux médias

Selon Jacques Piette, il faut différencier l’esprit critique de l’intelligence en général, tout en lui donnant un sens suffisamment générique et observable pour ne pas tomber dans le subjectivisme : généralement, l’esprit critique signifie ce que les auteurs veulent lui faire dire.

L’esprit critique fait référence à une pensée critique (c’est quelque chose qui se joue en action, en actes : la pensée critique est l’actualisation de la critique). On n’est pas critique une fois pour toutes. Cette pensée critique suppose l’autonomie du jugement, c’est-à-dire réflexivité et conscience. Elle ne suppose pas que l’on s’attarde outre mesure sur des contenus spécifiques, des préceptes.

Pour Piette, éduquer à l’esprit critique correspond à « nous interroger sur la crédibilité des sources ou la véracité de l’information », mais aussi à « améliorer certains aspects importants du processus de pensée ». A ce titre, il est également question de « métacognition », c’est-à-dire d’une connaissance de ses propres processus de pensée.

Exemples de questions de prolongement

L’éducation aux médias est-elle pertinente à tous les âges ? A quel âge peut-on parler d’esprit critique ? Quid des primaires et maternelles ? Quels sont les prédispositions à l’esprit critique que l’on peut développer avec les plus jeunes ? Doit-il s’agir de balises fermes, ou peut-on déjà miser sur une approche réflexive ?

Focus : éducation aux médias et croyances

Eduquer aux médias n’est pas seulement décrire ou expliquer (aspects cognitifs, épistémologiques, liés aux connaissances), mais aussi prescrire (aspects éthiques, moraux, normatifs, liés à la vie pratique). Cela engendre une question : que prescrire ?

Un risque de l’éducation aux médias consiste à remplacer les idéologies et représentations colportées par « les médias » par celles… des professeurs !

Exemples : tel professeur adhère à des grilles de lecture complotistes et s’estime constamment objet de désinformation. Telle éducatrice trouve que les réseaux sociaux sont la panacée pour apprendre et explorer (regard technophile, souvent associé à des partis pris pédagogiques spécifiques). Tel professeur vote à droite et base tout son cours sur une déconstruction de Libé. Telle enseignante trouve que seuls les « quality papers » valent le coup et descend en flèche la presse people, ou encore des titres comme la DH, La Meuse ou des chaines de télévision et de radio (ainsi que les consommateurs de ce type de presse). Tel professeur vote à gauche et insiste uniquement sur les accointances entre les familles d’actionnaires et le pouvoir en place, comme s’ils expliquaient à eux seuls absolument tout le fonctionnement du système médiatique. Telle enseignante trouve que l’image de la femme est dégradante dans les médias et interprète toute nouvelle production médiatique selon cette grille de lecture et uniquement par ce prisme, tandis que ses collègues font complètement fi de la question des représentations idéologiques véhiculées par les médias en se limitant à des recettes toutes faites pour vérifier les informations « comme des journalistes »… Pour certains, l’éducation aux médias se limite d’ailleurs à une critique du journalisme ou – à l’inverse – à une étude des techniques de la presse (focus sur la presse et ses techniques, sur le rapport à l’info des journalistes, souvent techniciste). Pour d’autres, le focus est mis uniquement sur les réseaux sociaux…

Poser son regard sur un phénomène, ce n’est pas neutre. Le faire sans prendre en compte nos propres biais peut s’avérer délétère. Cette soi-disant éducation aux médias sert-elle à quelque chose ? S’il s’agit d’inculquer des idéologies, est-on vraiment dans de l’éducation à l’esprit critique ? A la limite, n’est-elle pas plus dommageable à l’esprit critique que si elle n’avait pas existé ?

L’éducation aux médias peut-elle échapper au « piège » de l’interprétation subjective de ces médias ?

Comme le dit Renee Hobbs le 15 novembre 2013 à l’occasion des 30 ans du CLEMI, les attitudes et croyances des enseignants vis-à-vis des médias influent profondément l’éducation qui en découle. Leur rapport personnel aux médias induit ce qu’ils en font en classe.

« Nos attitudes et croyances concernant les médias, les technologies et la culture populaire déterminent comment nous les utilisons pour apprendre et enseigner » (HOBBS, R., citée dans REYNAUD, F., « Les 30 ans du CLEMI, la refondation et l’EMI », le 23/11/2013).

Elle pose d’ailleurs la question de savoir si l’éducation aux médias n’est pas une forme de propagande, ce qui rejoint l’inquiétude d’Isabelle Stengers qui estime que le risque éminent par rapport à la jeunesse consiste à penser à leur place ce qui est bon pour eux, sur fond d’un idéal de non-risque.

> Lire aussi : L’éducation aux médias risque-t-elle d’être détournée ?

Les manuels scolaires sont des médias

On loupe évidemment le coche si l’éducation aux médias est un prétexte pour remplacer les idées reçues des apprenants par celles des enseignants, eux-mêmes intermédiaires entre savoirs et apprenants. A ce sujet, cf. LECOMTE, J., Dossier : les apprentis sorciers de l’éducation aux médias, 2012.

Comme évoqué plus haut, il y a différentes sensibilités : personnes plus conservatrices, d’autres plus progressistes ; certains adorent les nouvelles technologies et passeraient des heures sur le web, alors que d’autres ne lâcheraient leur craie et leur bon vieux tableau pour rien au monde ; certains pensent qu’un cours d’éducation aux médias consiste à lyncher TF1, alors que pour d’autres, il n’y a pas de différence entre l’éducation aux médias et des cours de journalisme ; …

Cela implique de varier les méthodes (pluralisme), ainsi que d’être clair avec ses propres tendances / présupposés (« transparence », honnêteté, etc.), pour soi-même et pour autrui.

Si ces recommandations sont des conseils didactiques de base, ce ne sont pas pour autant des évidences pédagogiques. Sur le terrain, cela ne semble pas toujours facile.

Réflexivité et humilité

La question de la fiabilité est intrinsèquement liée à celle de la confiance. La relation de confiance ou de méfiance que les individus entretiennent avec les médias peut être influencée par différents paramètres, qui ne sont pas toujours de l’ordre du critère factuel ou spécifique, mais plutôt sur du socio-affectif, des croyances, des idéologies ou appartenances sociales (prenons l’exemple des œillères politiques).

A ce titre, il est possible d’identifier des postures plus ou moins propices à l’apprentissage ou à un certain type de discussion constructive (Cf. LECOMTE, J., « Pour une éthique de la discussion », 2013), telles que l’empathie, la coopération et l’humilité (par exemple et dans une certaine mesure).

Cette attention au processus de jugement en tant que tel se traduit aussi dans l’idée que la critique des médias – entendue comme analyse et non comme méfiance systématique – (et donc a fortiori l’éducation à cette analyse) doit être réflexive (« méta »), et donc s’analyser elle-même. L’étude des médias passe par l’étude de notre relation (individuelle et sociale) à ces médias (Cf. LECOMTE, J., « Sur la réflexivité dans les pratiques d’éducation aux médias et à l’information », in FADBEN, Mediadoc n°12, 2014).

Vulgairement : critiquer les médias, c’est aussi critiquer la critique des médias. Il s’agit de construire – déconstruire – reconstruire, soit de s’inscrire dans une dynamique dialectique.

Cela rejoint également le concept de pensée critique : l’enseignant en éducation aux médias ne dispose pas une fois pour toutes d’un « esprit critique » transcendant.

En ce sens, la pensée critique ne saurait être acquise une fois pour toutes. Se pose alors la question de l’évaluation : comment mesurer le « niveau » d’esprit critique d’un apprenant ? Comment développer par ailleurs une autonomie ?

En réalité, l’évaluation authentique ne porte jamais que sur des comportements, des performances.

Un pari peut être formulé par ailleurs : même si la pensée critique n’est pas quelque chose que l’on acquiert une fois pour toutes, il est possible de développer une habitude à exercer son jugement (cela rejoint la thèse d’Arendt par rapport à la question de la banalité du mal).

Analyse critique de dispositifs d’éducation aux médias

Importance de prendre conscience des présupposés moraux derrière l’éducation aux médias.

  • Analyse en fonction d’auteurs et/ou de concepts philosophiques
  • Paradigmes de l’éducation aux médias dans différents pays (France, Canada, Belgique…).
  • Quels sont leurs présupposés épistémologiques, éthiques et/ou normatifs ?

Prolongements