Afin de rester en contact avec les collègues, la famille ou les amis, l’utilisation d’outils informatiques a explosé durant la période de confinement. Certaines personnes, autrefois réfractaires, se sont lancées dans le grand bain technologique. Plusieurs observateurs y voient une révolution propice à l’avènement d’un Grand Tout numérique…
S’agit-il d’une mode, d’un engouement passager, ou au contraire d’un phénomène majeur qui va modifier les grandes lignes du fonctionnement humain ?
Ce questionnement se manifeste à chaque innovation technologique.
Durant le confinement, pas mal de gens ont pu découvrir que les applications de visioconférence n’étaient « pas si mal que ça » pour entretenir le lien social, et même continuer à faire des choses que l’on faisait avant. Avec le recul, c’est même assez bluffant de se dire qu’il a fallu cela pour que des entreprises réalisent que passer sa journée dans les embouteillages pour dire trois phrases à une réunion constituait une réelle perte de ressources lorsqu’il suffisait en réalité de brancher une webcam et un micro pour obtenir le même résultat.
Il y a aussi tous ces petits gadgets pratiques et/ou comiques, qui font que ces meetings ne sont pas non plus totalement identiques à ceux d’autrefois, comme les émojis ou les filtres visuels, entre autres…
Il y a donc des choses que l’on pouvait faire avant en présentiel que l’on peut faire également, voire plus efficacement, à distance : prendre des décisions professionnelles, se réunir en groupe, etc.
De même, il y a quelques nouvelles choses que l’on ne pouvait pas faire en présentiel que l’on peut désormais faire à distance. Il y a certaines « libertés » que l’on peut prendre à distance et qui diffèrent du présentiel, comme chater pendant les réunions par exemple (plus discret que les bavardages), ou encore couper le son/l’image à certains moments.
En parallèle, il y a des choses que l’on ne peut pas faire (aussi bien) à distance qu’en présentiel, qu’elles demandent du contact physique ou non (par exemple, observer les postures des interlocuteurs, se mettre en mouvement, etc.).
J’apprécie l’idée que ce n’est pas parce que c’est numérique que c’est virtuel. Ces réunions de travail, ces apéros à distance, ces échanges avec nos proches sont bien réels. En revanche, ce n’est pas pour autant que c’est identique à ce qui se passe dans la rencontre physique des corps et des esprits. Danser devant sa caméra, trinquer devant son écran, dresser l’ordre du jour de sa réunion face à son clavier, c’est bien, et en même temps, ce n’est pas la même chose.
Stéphane Vial : « Il n’y a pas de différence entre le réel et le virtuel »
Tout cela ne va donc pas tout changer. Souvenez-vous de l’application Pokémon Go qui avait défrayé la chronique il y a quelques années, avant de tomber quasiment dans l’oubli. Comment expliquer que tous ces jeunes et adultes sortaient dans les parcs pour collecter des monstres imaginaires ? L’innovation technologique, certainement. Et puis, c’était l’été, c’étaient les vacances. Le contexte.
Il faut savoir que les formations (« e-learning ») et autres outils à distance existaient bien avant leur popularisation actuelle massive, sans pour autant trouver un terreau fertile.
Alors, tout va-t-il redevenir « comme avant » après le confinement ? Ce n’est sans doute pas vrai non plus. Lorsque nous découvrons un nouveau fonctionnement, il nous offre une opportunité de nous décentrer de notre fonctionnement habituel. C’est une porte ouverte à la réflexivité. Comme je l’écrivais plus haut, cette adaptation forcée a pu contribuer à nous faire prendre conscience qu’un changement était à la fois possible et profitable. Dès lors, la question est moins « la technologie va-t-elle remplacer l’humain ? » que « dans quelle(s) direction(s) les êtres humains peuvent-ils se réapproprier la technologie ? »
[Mise à jour 2022] Dans cet article, j’ai choisi à l’époque de développer l’angle « numérique versus physique » en montrant que les technologies et leurs usages s’inscrivent toujours dans une continuité, et que ce sont finalement les usages et les contextes qui priment sur la réappropriation des outils techniques. C’est un angle parmi d’autres et le temps m’a donné raison à moyen terme quant au caractère relativement éphémère de certaines tendances. Néanmoins, j’aurais également pu questionner les rapports économiques et politiques à la technologie qui font par exemple que la surveillance à travers la technologie (finalités économiques, publicitaires, et politiques) n’a encore fait que croître, ainsi que l’automatisation de tâches autrefois effectuées par des humains (finalité économique, rentabilité).