Peut-on exercer l’intelligence tout en étant humble ? Comment dissocier l’intelligence d’un comportement méprisant ?
Cet article suit totalement l’optique que je développe dans les articles de ce blog (Question de points de vue, Hegel – la pensée s’enrichit de la critique, etc.).
Plus jeune, je me rebellais contre une certaine conception de l’intelligence, qui liait celle-ci à la culture générale ou à la « connaissance accumulée » sur un sujet. Ce point de vue voudrait que seuls les instruits soient intelligents, et que les prolétaires, la plèbe, la « masse » soit débile, dépourvue de toute capacité. Je trouvais ce point de vue très méprisant, suffisant et odieux. Un instruit pouvait être con : j’identifiais absence d’intelligence et fermeture, rejet.
Toutefois, je me pose aujourd’hui la question : certains apprentissages ne permettent-ils pas de former une intelligence malgré tout ?
Ces deux conceptions ne sont-elles pas contradictoires ?
Peut-on former l’intelligence (éduquer, avoir son mot à dire sur « l’intelligence » ?) sans pour autant devenir un vil méprisant qui pense l’être une fois pour toutes soi-même ?
En adoptant une position non figée de l’intelligence (qui dirait « tu es intelligent une fois pour toutes : tu possèdes l’Intelligence »), peut-être pourrions-nous nous prémunir d’une telle critique.
L’idée principale à laquelle cette réflexion est parvenue est que l’intelligence telle que je la vois est liée à une sorte d’« éthique de la discussion », qui suppose une ouverture à autrui, à l’avis différent, à l’altérité. C’est à mon sens seulement lorsqu’un individu se met dans cette position, afin de transcender son avis initial, qu’il exerce l’intelligence.
Plus précisément, il s’agit d’une intelligence en acte : on n’est pas une fois pour toutes intelligent. On exerce, on met en pratique. En ce sens, on ne naît pas intelligent, on ne meurt pas intelligent, mais on est parfois intelligent en situation. En quelque sorte, j’associe complètement intelligence à ouverture, sachant que l’on n’est jamais partout et toujours ouvert ou fermé.
J’ai développé tout d’abord ce point de vue contre les réductions de l’intelligence à la culture, à la connaissance ou au QI (quotient intellectuel), etc. : ces éléments, bien qu’ayant une certaine pertinence à un certain niveau, sont réducteurs (en ce sens, je suis également contre le fait de valoriser une certaine vision de la culture par pure convention). Ils peuvent laisser croire que quelqu’un qui a un plus gros QI qu’un autre est « supérieur » à lui en intelligence dans l’absolu. Radicalisé, un tel indicateur devient alors surtout un faire-valoir pour les parents désireux de coller une étiquette sur leur enfant, et de hiérarchiser les individus par ce biais.
De même, pour moi, quelqu’un d’ignorant sur un sujet donné (sachant qu’on ne peut de toute façon savoir tout sur tout) n’est pas nécessairement moins intelligent qu’une autre personne.
Albert Jacquard s’est prononcé également à ce propos :
Martin Heidegger avait fort probablement un QI supérieur à la norme, une grande culture générale et de grandes connaissances… ce qui ne l’a pas empêché de soutenir publiquement le régime nazi en 1933 (Hitler ou Staline ne devaient par ailleurs pas posséder un faible QI) : on cerne rapidement les limites d’une telle vision de l’intelligence. Et le « Quotient Emotionnel » ne suffit absolument pas à rendre ces indicateurs exhaustifs ! Bien entendu, les indicateurs QI ou encore QE témoignent de quelque chose, d’un état à un moment donné, mais ils sont infiniment réducteurs. Il convient de les replacer à leur juste mesure.
[Mise à jour 2018] « Le test de QI attend littéralement un certain type de réponse. Ce qu’il mesure n’est donc pas une réponse vraie à une question absolue, mais la réponse adéquate par rapport à ce que les autres répondent normalement. En réalité, ils sont tellement déconnectés du monde réel et de ses problèmes que ce que mesure vraiment ces tests de QI… c’est la capacité de quelqu’un à répondre à un test de QI ! »
Emmanuel Wathelet, L’absurdité des tests de QI, en 7 arguments (2018)
J’ai cependant du ensuite ériger ma réflexion contre un relativisme : ce n’est pas parce que ces indicateurs sont incomplets, limités, qu’il n’existe pas d’intelligence que l’on puisse développer.
Bien que controversé, le QI demeure un instrument pouvant objectiver certaines aptitudes, certaines potentialités, préférable à une évaluation purement subjective.
Il existe en particulier une forme d’intelligence que je valorise, qui correspond au fond à un acte de prise de position éthique d’ouverture au dialogue (ce qui fait qu’on n’est pas intelligent ou con une fois pour toutes et qu’on peut « éduquer » à l’intelligence sans toutefois se sentir nécessairement supérieur).
Ainsi, l’humilité des partenaires de la discussion est préservée, et le pari d’éducabilité aussi.
Cette forme d’intelligence consiste à s’armer contre le rejet systématique et à chercher à être constructif. C’est simplement « prendre part à la réflexion ». On n’est jamais intelligent ou con une fois pour toutes, on l’est seulement dans un geste d’accueil ou de rejet de la différence, d’ouverture ou non à la diversité.
[Mise à jour 2019] Cet article a été écrit il y a plusieurs années. En commentaires, j’y apporte quelques nuances et précisions.
Merci à vous pour vos encouragements !
Je vous remercie pour cet article qui m’a fait réfléchir
Commentaire de Fabiano Bortolotti
Salut Julien,
Petite réaction à ton article sur l’intelligence 🙂
En bref, je le trouve emprunt d’égalitarisme…
En plus long, je ne vois pas quelle hérésie il y a à dire que l’intelligence est un don pour reprendre le propos de Jacquard.
Comme si la masse avait peur d’un racisme de l’intelligence comme disait Bourdieu.
L’article de Wathelet est édifiant : « Demandez-vous alors où réside la pertinence dans le fait de mesurer quelque chose qu’on ne connaît pas ! » et « reconnaître la réalité du racisme et la souffrance des minorités subissant les discriminations n’implique pas de reconnaître la légitimité du concept de race ! »
Donc l’intelligence est comme la race, elle n’existe pas ! Je me demande encore pourquoi écrire tant d’articles sur quelque chose qui n’existe pas.
En attendant, des générations de gamins moins intelligents que d’autres rêveront en vain en entendant « qu’il suffit d’apprendre, qu’il suffit de se doter de sa propre intelligence » et d’autres, plus vif, subiront le rejet discriminant des masses égalitaristes.
Définir « l’intelligence telle que je la vois est liée à une sorte d’« éthique de la discussion » » n’est-ce pas évacuer un signifié en en mettant un autre dans le signifiant ? Si dans intelligence on met tout et n’importe quoi comme Gardner, que nous restera-t-il pour en parler ?
Pour aller plus loin/avoir l’autre son de cloche : Manifeste des hyperphrènes (2012) et Jordan Peterson – Controversial Facts about IQ
Bonjour Fabiano,
D’abord, merci pour ton commentaire qui va me permettre de clarifier et/ou nuancer cet article écrit il y a déjà quelques années.
C’est effectivement un enjeu de concilier une vision non relativiste de l’intelligence avec une vision qui l’entend davantage comme une capacité « morale », en tout cas « éthique ». Je dois pour ce faire clarifier certains passages de cet article étant donné que mon propos n’est pas de nier que le QI – par exemple – mesure bien quelque chose.
Reprenons le signifiant auquel je pense que tu fais référence. L’intelligence ferait référence à un potentiel de performance que l’on peut mesurer à l’aide notamment de tests de QI. Je ne nie pas qu’il existe une telle vision de l’intelligence. Néanmoins, pour reprendre le propos d’Emmanuel Wathelet que tu mentionnes dans ton commentaire, on pourrait reprocher auxdits tests de QI de mesurer surtout des performances à un type de test, et donc moins une intelligence « absolue » qu’une adéquation de la manière de penser avec un certain type de performances attendues, comme le mesurent par exemple le CEB (certificat d’études de base) ou encore les tests de recrutement de la fonction publique (Selor).
J’ai déjà discuté en effet de cette question notamment avec Nicolas Gauvrit, et lui avance au contraire que les résultats à un test de QI peuvent prédire des performances à d’autres types d’activités cognitives.
Il y a vraisemblablement moyen de mesurer dans quelle proportion chacun d’entre eux a raison ou tort dans cette controverse, mais ce n’est pas l’essentiel de mon argumentation.
L’enjeu de mon article était d’une part d’insister sur l’intelligence en tant que potentialité, mais aussi et sans doute surtout sur ce que je qualifierais d’intelligence morale. Il n’est dès lors pas tant question de nier l’existence de capacités plus ou moins innées ou acquises chez les individus que de les mettre en perspective avec d’autres types d’intelligence et/ou avec le fait que l’on peut avoir un grand potentiel et toutefois ne pas l’exercer.
Concernant ce que tu écris ici : « Donc l’intelligence est comme la race, elle n’existe pas ! Je me demande encore pourquoi écrire tant d’articles sur quelque chose qui n’existe pas », selon moi ton argument est fallacieux. Ce n’est pas parce qu’on écrit à propos de quelque chose que cette chose existe. Justement, le concept de « race » a fait couler beaucoup d’encre – et pas que de l’encre – et pourtant sa pertinence est remise en cause d’un point de vue biologique. Le QI pose à ce titre plusieurs problèmes, en regard notamment de son caractère potentiellement autoréalisateur. C’est le risque d’effet Pygmalion – Rosenthal – de l’étiquetage en général : un abruti restera donc un abruti, tandis qu’un HP pourra s’instruire et sans cesse « donner de la valeur » à son potentiel. Le risque est de considérer le QI selon une approche déterministe essentialiste – ce que je ne dis pas que tu fais, mais c’est un souci d’une telle approche. Un autre risque serait de négliger tous les facteurs circonstanciels qui font qu’une personne déploie plus ou moins son intelligence (encadrement familial, stimulations cognitives, environnement ludique, implication des enseignants, etc.). Comme pour le concept de « race », le problème d’un concept d’intelligence sacralisé dans le QI a pour corollaire le risque d’engendrer une lecture du réel déterministe ne laissant pas la place à la prise en compte de la complexité des contextes qui font qu’une personne est plus ou moins performante à des tâches données.
Entendons-nous bien : il serait hâtif de balayer du revers de la main la question de « prédispositions cognitives » plus ou moins innées. Si c’est le cas dans le domaine du sport, comme l’explique très bien Viviane dans sa vidéo de vulgarisation sur les performances athlétiques, en quoi serait-ce une hérésie de considérer que certains enfants naissent avec plus de facilités cognitives que d’autres ? Je m’y connais bien trop peu pour prétendre pouvoir réfuter qu’il existe des prédispositions cognitives, et j’aurais même tendance à croire qu’en effet, comme tu sembles l’avancer, certains enfants ont davantage de potentiel que d’autres sur différents plans.
Les nuances majeures que j’ai voulu formuler dans mon article sont simplement les suivantes :
– Si l’on érige ce potentiel comme une valeur absolue de l’intelligence, on court le risque d’une stigmatisation qui se mue en prophétie autoréalisatrice, cantonnant les faibles au rang de faibles et les forts au rang de forts
– J’insiste sur l’importance du mot « potentiel » étant donné que selon moi l’intelligence est quelque chose qui se manifeste dans les actes, dans les performances. Comme un athlète deviendra obèse s’il mange n’importe comment et cesse de s’entrainer, un HP peut ne pas se comporter intelligemment
– Le QI est une mesure qui aide bien à prédire des performances, et non seulement celles à un test de QI, mais ceci demeure une perspective limitée des capacités cognitives humaines. Tu me dis qu’il s’agit d’un signifiant, or de fait dans ce signifiant, on a choisi de mettre un signifié observable par convention. Force est de constater qu’il est des types de performances cognitives qui échappent à la mesure d’un test de QI. Tu fais référence à Gardner : sans lui donner totalement raison et être égalitariste en mode « à chacun son intelligence », on pourrait à mon avis à la fois mesurer des potentialités à différents types de performances et à la fois refuser d’admettre que toutes ces potentialités se valent.
Enfin, tu écris ceci : « En attendant, des générations de gamins moins intelligents que d’autres rêveront en vain en entendant « qu’il suffit d’apprendre, qu’il suffit de se doter de sa propre intelligence » et d’autres, plus vif, subiront le rejet discriminant des masses égalitaristes ». Je pense en effet qu’il y a un travers volontariste aliénant à un propos qui clamerait que pour devenir intelligent, il suffit de le vouloir, parce que chacun a le même potentiel. Je suis bien d’accord avec toi sur ce point. En même temps, comme je te l’ai exprimé, mon propos n’est finalement pas de nier tout ce que peut signifier une mesure de QI. C’est simplement de mettre cette mesure en perspective surtout en évitant de la considérer comme un acquis immuable – ce que critique Jacquard lorsqu’il parle de la douance.
Merci en tout cas pour ton intervention stimulante, et au plaisir de te relire,
Bien à toi,
Commentaire de Fabiano Bortolotti
La morale est un terrain très glissant… On a peine en philosophie à s’en faire une raison, ce n’est jamais clair… Tout comme l’amour et la liberté, l’intelligence fait fantasmer. C’est que l’on arrive à grand peine à les définir formellement et donc une part de rêve reste caché dans le flou artistique définitoire.
Ce que je ressens, c’est de la peur dans le discours (celui de Jacquard, Les 7 refutations au QI, etc) qui me semble influencé par une mouvance, un mouvement « mémétique » qui prend du galon au fil des années. Une mouvance « égalitariste/relativiste » faute de mieux comme étiquette. Gardner rassure les foules en leur disant « vous êtes tous intelligents » l’intelligence est multiple. Quand on lui demande pourquoi il n’a pas parlé de talent, il répond que Intelligence est plus vendeur…
Alors ceux qui disent que 2+2 font 4 et que la terre est ronde sont arrogants. Il faudrait être plus ouvert à l’altérité des platistes…
Je me demande ce qui fait peur. Peur d’une caractéristique innée (au moins en partie), mesurable (donc la science a son mot à dire) et qui n’est pas anodine ? Pas anodine parce que l’intelligence est liée au pouvoir. Peur du racisme de l’intelligence décrit par Bourdieu qui manifestement ne parle pas des HPs mais des puissants ? Et puis peur de ces études pseudoscientifiques qui prouveraient que certaines races seraient plus intelligente que d’autres…
C’est effectivement nauséabond ! Mais s’il faut justement combattre le concept de races et rappeler que le concept est peu fondé, faut-il faire pareil avec l’intelligence ?
Elle est pour moi (oui je risque une définition) la capacité à résoudre des problèmes. La connotation morale ne peut s’appliquer à l’intention qui meut la réflexion et l’objet auquel elle s’attache. C’est le problème qui est moral. La capacité à le résoudre n’a rien d’immoral, ni de moral. Je peux chercher à bien faire mon taf ou à tuer mon voisin sans me faire prendre. L’expérience a évidement grandement affaire avec la réussite. Mais la capacité à gérer les imprévus et à y trouver solution fait aussi partie du problème.
Bref, en attendant, il y a un truc que je ne sens pas dans le discours, dans la mouvance mémétique… Une peur que l’on cherche à rassurer. Probablement la même sorte de peur qui nous fait éviter les « sous-doués » parce qu’on ne saurait pas quoi faire ni quoi dire, comme les surdoués parce qu’on ne sait pas ce qu’ils pourraient faire ou dire…
Par rapport au relativisme, je t’invite à lire mon article à ce sujet pour t’assurer que ce n’est pas du tout mon trip 😉
Pour Gardner et les intelligence multiples, j’ai déjà donné mon opinion dans le commentaire précédent. Je pense qu’il est possible d’acter à la fois la pluralité de perspectives tout en n’accordant pas la même valeur à chacune de ces perspectives. Il y a moyen de leur donner une certaine mesure.
Pour Bourdieu, en revanche, je n’ai pas répondu, or cela fait écho notamment à ce que j’ai écrit sur la question des prophéties autoréalisatrices. Bourdieu a consacré une partie de son travail à la Reproduction, c’est-à-dire aux processus sociaux qui font que des classes dominantes reproduisent leur position dominante à travers des mécanismes culturels ; une maîtrise de certains codes, de certains langages, un « pouvoir symbolique » arbitrairement désigné comme dominant. Il serait intéressant de voir parmi les enfants qui consultent pour des « troubles de l’attention », quelle proportion d’enfants bourgeois va être « diagnostiquée » HP et quelle proportion d’enfants de classe inférieure va être « diagnostiquée » dys-quelque-chose. Dans les études statistiques sur la mobilité sociale des individus, on peut constater que les enfants de profs réussissent généralement mieux à l’école que leurs semblables pour une classe sociale équivalente, tandis que les enfants de classe inférieure sont plutôt relégués à des métiers techniques, et des enfants de cadres aiguillés vers des métiers de cadres. La thèse de Bourdieu, c’est de dire qu’il y a un déterminisme social qui fait que ceux qui maîtrisent le mieux les codes sociaux sont ceux qui réussissent le mieux. Sans parler des thèses actuelles sur le « capital relationnel ».
On est donc ici face à des réalités avec plusieurs causes alternatives possibles : les performances d’une jeune femme ou d’un jeune homme sont-elles le fruit de leur QI ? De leur appartenance sociale ? De leurs relations ? Le QI est-il une cause première ou est-il le résultat d’autres facteurs qui éclaireraient mieux la réalité sociale ?
Je me fais ici l’avocat de ces positions sans toutefois leur donner totalement raison. J’entends et rejoins l’argument selon lequel il n’est pas absurde de considérer qu’il existe des prédispositions cognitives à résoudre différents types de problèmes. Néanmoins, quant à l’importance donnée à ces prédispositions en regard d’autres critères, notamment pour expliquer et prédire différents types de performances, je suis assez mitigé. C’est une réalité bien plus complexe à mon sens que la question de la terre plate, sans même parler de métaphysique ;-).
D’un point de vue moral, enfin, mon questionnement consiste à se demander ce qui ouvre le champ de l’action humaine, ce qui permet de faire progresser la connaissance, notamment. Et en l’occurrence, je pense qu’une vision de l’intelligence comme ouverture au dialogue tel que défini dans Comment dialoguer de manière constructive, permet de maximiser les potentialités de la pensée sans nier que ces potentialités soient inéquitablement réparties « à la base ».
Commentaire de Fabiano Bortolotti
Bourdieu dans son « racisme de l’intelligence » ne dénonce pas tant l’intelligence ou les HP, mais bien un système de codes qui garantissent une stabilité des classes. Les titres attestent de l’intelligence.
Par exemple sur « Il serait intéressant de voir parmi les enfants qui consultent pour des « troubles de l’attention », quelle proportion d’enfants bourgeois va être « diagnostiquée » HP et quelle proportion d’enfants de classe inférieure va être « diagnostiquée » dys-quelque-chose ». Sans nier que « le système » à partir d’un même diagnostic le biaise en fonction de la classe sociale.
L’effet Pygmalion évoqué par Jacquard est réel, mais il ne peut tout expliquer. Que, en fonction du parcours de vie on doive faire face a des problèmes différents (une équation du 2nd degré vs trouver à bouffer), qu’on mette son intelligence à ceci plutôt qu’à cela va faire qu’on va être meilleur en ceci plutôt qu’en cela. On peut être bon en maths ou en magouilles. Mais certains, en math ou en magouilles sont plus « aptes « …
En fait je pense que le raisonnement bourdieusien peut être poussé plus loin. On est d’accord pour dire que les tests de QI permettent de prédire un ensemble de performances cognitives à des résolutions de problèmes. Et avec Bourdieu, on sait par ailleurs que le capital économique et le capital symbolique permettent de prédire différentes performances également. Bourdieu estime dès lors que des outils comme le QI peuvent être une sacralisation des performances valorisées par la classe dominante. En gros : « ces performances-là, c’est identifiable à l’intelligence ». Et au lieu d’expliquer les performances des individus par des causes contextuelles / sociales, on va les expliquer par des causes internes. C’est l’erreur fondamentale d’attribution en psychologie sociale, comme si justement la réussite des uns et des autres était uniquement due à leurs capacités intrinsèques. Tu l’auras compris, je ne vais pas aussi loin dans le raisonnement, surtout si l’on prend la peine de s’accorder sur la zone de pertinence de ce que peut mesurer un outil comme le QI. Cependant, je crois que c’est important de constater non pas l’impossibilité à établir des liens de causalité, mais en tout cas les précautions à prendre sachant les multiples facteurs causaux qui expliquent les performances cognitives des uns et des autres.