Mon usage de Twitter 2 : pourquoi je ne vous réponds pas

Note : lorsque Twitter était encore Twitter et que l’air y était respirable, j’étais abonné à des comptes de manière vraiment très sélective, en fonction de la qualité des contenus partagés, de la confiance que j’accorde en conséquence à leur titulaire et des thèmes qui m’intéressent. Je ne m’abonnais pas à des comptes qui publiaient beaucoup, afin de préserver un fil épuré et qualitatif. J’avais également créé des listes thématiques où je regroupais des comptes traitant respectivement de Philosophie, d’analyse des médias, de FactChecking (vérification des faits) ou encore réalisant un traitement qualitatif de l’actualité. J’ai fortement délaissé ce réseau ces dernières années.

Twitter faisait partie des principaux canaux que j’utilisais pour m’informer et communiquer. J’en avais un usage très spécifique, que je décris dans Mon usage de Twitter 1 : pourquoi je ne vous followe pas.

Dans ce billet, je vais expliquer pourquoi j’ai cessé de répondre à des inconnus qui veulent débattre sur Twitter.

J’essaie d’être cohérent. Dans la section « Vérité et épistémologie », j’ai écrit plusieurs articles sur la discussion, dans lesquels j’argumente en gros pour une forme d’ouverture à la remise en question, à l’écoute du point de vue de l’autre. Je pense que la connaissance s’enrichit de l’analyse critique et du dialogue.

Vérité et épistémologie : liste des articles

On pourrait rapprocher cela d’une forme de décentration à la fois sur un plan cognitif (comprendre les raisons qui font que l’autre pense différemment de moi) et sur un plan social et relationnel (comprendre ce que ressent l’autre dans sa situation, tâcher de percevoir son vécu).

J’essaie souvent de me dire que derrière des propos faux, voire des discours violents ou haineux, il existe des réalités sur lesquelles nous pouvons construire un dialogue (cf. aussi à ce sujet mon article sur le fait que la communication doit être approchée non seulement aux niveaux sémantique et syntaxique, mais aussi du point de vue pragmatique).

Je m’impose des règles très strictes lorsque je réponds à quelqu’un. Dans la section « Éthique et anthropologie philosophique », je développe l’idée d’une éthique « minimale » à deux facettes : d’une part (et principalement), la non-nuisance, et d’autre part, une forme de bienveillance, d’attention. Bref, je tâche de ne pas blesser mon interlocuteur et de le considérer avec respect, même s’il développe des thèses qui me déplaisent. Je pars aussi du principe que je ne connais pas la réalité à partir de laquelle l’autre me parle.

Ethique et anthropologie philosophique : liste des articles

Toute une section intitulée « Lutter contre les propos faux et haineux » témoigne de ma volonté d’agir pour construire un « terrain d’entente » face à des propos par rapport auxquels je suis en profond désaccord.

Lutter contre la haine de l’autre

J’ai approfondi les réflexions de cet article dans l’ouvrage Nuance ! La puissance du dialogue, paru en 2022.

Bref, tout cela pour dire que le dialogue authentique est un outil fondamental à mes yeux.

Néanmoins, je constate de plus en plus mes propres limites par rapport à cet « ascétisme » que je m’impose.

En l’occurrence, sur Twitter (et cela vaut pour d’autres médias sociaux), il est d’abord une question de format. Lorsque j’écris ou que je dialogue, j’ai la volonté profonde d’être nuancé et de faire droit à la complexité de la réalité. Or, il y a une tendance assez lourde à la bipolarisation des idées et des postures, probablement renforcée par les formats et algorithmes du média social. A plusieurs reprises, j’ai été étiqueté à tort comme étant parmi les « défenseurs » ou les « pourfendeurs » de l’une ou l’autre thèse ou personne, et ce parfois par des gens pourtant intelligents. Mes propos ont été plusieurs fois déformés et dévoyés, en dépit de clarifications de ma part.

Lakoff : « La discussion, c’est la guerre »

Ensuite, simplement, je me rends compte que je dépense énormément d’énergie (et a fortiori de santé), pour un effet parfois vraiment insignifiant, voire contreproductif, tant pour moi que pour le ou les partenaires de l’échange. A quoi sert une discussion si chacun en sort avec les mêmes idées qu’avant de la tenir, d’autant plus si cela s’accompagne de frustration ou de stress ? Je m’investis dans un dialogue, souvent avec passion. Lorsque celui-ci se transforme en attaques et en mépris, tant de la personne que des idées, je prends cela comme un échec. C’est donc parce que je veux me respecter, respecter mon interlocuteur et respecter les idées que je ne réponds plus à des inconnus qui veulent débattre sur Twitter.

Je n’attends pas de mes interlocuteurs qu’ils essaient de me comprendre comme je le fais.

Dans Pour une éthique de la discussion, je formule quelques principes que je tâche d’appliquer. Il s’agit notamment de faire l’effort d’exprimer le point de vue de l’autre de manière telle qu’il pourrait nous remercier de l’avoir exprimé de la sorte (principe dit de « charité »), de voir l’autre comme un partenaire (coopération) qui a un point de vue au moins en partie valable sur la réalité (perspectivisme), d’adopter une posture humble et constructive, ou encore de se baser sur quelques présupposés philosophiques sans lesquels un dialogue est impossible (pragmatisme), etc. Pour moi, une discussion authentique ne peut toutefois avoir lieu dans toutes les conditions :

Je propose un principe qui consiste à « rejeter le rejet », à « mépriser le mépris ». […] Un jugement [ou point de vue] en tant que tel n’est pas bon ou mauvais : il est juste plus ou moins pertinent, adéquat, signifiant, limité. C’est l’attitude de fermeture, de suffisance, d’arrogance [ou de rejet] qui est à rejeter [et ceci n’est pas auto-contradictoire].

[…] Une objection recevable à cette proposition philosophique consiste à relever le fait que la connaissance (en sciences ou à un niveau individuel) a parfois progressé suite à des luttes, des échanges musclés, des conflits, des heurts et des chocs. Or, il est important de souligner que ces « règles du jeu » peuvent aller jusqu’à tolérer un climat de joute verbale, d’autant plus dans la mesure où très régulièrement, la discussion, c’est la guerre. Moi-même, j’apprécie de me livrer à des exercices rhétoriques, d’échanger des arguments (des « coups ») ainsi que d’être poussé dans les limites de mon raisonnement. J’apprécie d’être critiqué sur le fond de ma pensée et de devoir me justifier. Selon moi, l’une ou l’autre figure de style ou provocation n’est pas nécessairement contraire au bon déroulement de la discussion.

Cependant, comme lors d’un combat de boxe, il existe des « coups bas ». Dans ce cas-là, il ne s’agit plus d’un match de boxe. Autrement dit, il y a des situations où les intervenants d’un débat ne souhaitent tout simplement pas mener une discussion authentique, sans attaquer dans l’objectif de nuire ou de dominer, sans ignorer ou mépriser les idées ou les personnes. Ma limite est la non-nuisance.

Je n’attends pas qu’une personne me considère avec bienveillance, ni qu’elle reformule mes propos en faisant un effort considérable de compréhension. Je n’attends pas d’elle qu’elle accepte mes postulats philosophiques. Toutefois, si l’objectif de cette personne est d’éliminer ou de nuire à la construction d’idées, ou à ceux et celles qui ne pensent pas comme elles, alors le dialogue est simplement inconcevable. L’insulte, le procès d’intention, la moquerie ou encore la manipulation des propos font partie des éléments qui ferment la porte à la discussion.

Si vous m’avez lu jusqu’ici et que vous souhaitez prendre contact avec moi pour discuter de manière constructive, cela reste possible, et je vous répondrai. Je suis disponible par mail ou message privé pour échanger de manière constructive. A ceux qui n’ont d’autre objectif que d’écraser autrui ou imposer leurs idées comme étant les seules valables, je ne répondrai plus.

Addendum : le blocage

Il m’arrive de plus en plus de bloquer des personnes sur Twitter, sans sommation, en grande partie pour une combinaison des raisons évoquées ci-dessus, sur un réseau où le dialogue constructif n’est pas facilité. Je prends mon travail très à cœur et je tâche de considérer chaque personne qui m’interpelle pour son humanité. Dès lors qu’une personne se montre virulente – y compris à l’égard d’autres personnes que moi, je choisis de refuser le contact (même s’il m’arrive encore d’en appeler dans un premier temps à un échange empathique). Il se peut que je bloque quelqu’un bien qu’il ne m’insulte pas personnellement, en raison d’un comportement destructeur de sa part (et ce indépendamment des fondements de ces comportements).

Je fais de mon mieux pour fournir un travail honnête, je distingue les personnes de leurs comportements ou appartenances idéologiques (puis j’ai pas agressé ou insulté ta famille) et je tâche de ne pas nuire dans mon quotidien, dans lequel la remise en question est fortement présente. Je suis impuissant face à des personnes qui m’identifient comme un ennemi a priori, quand bien même la critique de fond derrière leur abord agressif serait légitime. Je ne suis vraisemblablement pas irréprochable. Je me protège.

Pour aller plus loin

Pour aller plus loin – et de manière moins « émotionnelle » – dans la réflexion relative à la philosophie et à l’éthique, vous trouverez ci-dessous une sélection d’articles sur le sujet.

Nuance ! La puissance du dialogue

Sois nuancé !

Pour une éthique de la discussion

La logique face aux mauvais arguments

Question de points de vue : le perspectivisme

Hegel – la pensée s’enrichit de la critique

L’attention, une piste d’engagement en éthique

Guerre(s) et philosophie

Amour et philosophie