Quelles sont les différences entre la lecture des informations écrites « sur papier » et « en ligne » ? La consommation des actualités a-t-elle changé ?
De nouvelles données
Une des nouveautés liées à Internet concerne justement le nombre de données dont nous disposons pour répondre à ce genre de questions. Nous n’avons jamais autant disposé d’éléments nous permettant de connaître la consommation informationnelle des individus.
Quand une personne lit son journal papier à son domicile, on ne dispose que de très peu de moyens de voir quelles sont ses pratiques informationnelles. Lit-elle tous les articles en entier ? Combien de temps accorde-t-elle à chaque contenu ? Commence-t-elle par le début ou la fin de son journal ? Y a-t-il des sujets qu’elle préfère à d’autres ? Que va-t-elle partager à autrui, suite à ses lectures ?
A part en recueillant les chiffres de diffusion et en les croisant à des données déclaratives (c’est-à-dire finalement en posant la question aux gens), ce n’est pas évident de mesurer comment les gens lisent la presse. Aujourd’hui, sur un site internet, vous pouvez analyser suffisamment la navigation pour en retirer des données sur les articles qui sont lus, sur le temps passé à les consulter, sur la navigation de liens en liens, etc.
Eviter les conclusions hâtives
En lien avec ces considérations, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives.
En effet, les données en question montrent parfois des tendances qui peuvent donner lieu à une forme de pessimisme. On y apprend entre autres que le temps passé à lire un article est en moyenne assez faible, qu’un article faux est généralement beaucoup plus relayé qu’un article qui le dément, ou encore qu’un certain nombre de contenus sont partagés sans même que l’auteur du partage ait pris le temps d’en ouvrir le lien. Dans Arrêtez de vous mentir : vous préférez le léger à l’actu importante (2014), Charlotte Pudlowski montre combien les usages de lecture effectivement observés contrastent avec ce que les individus déclarent :
Les médias étudient vos comportements et analysent la façon dont vous consommez les infos, sur leurs sites, et en général. Et vous savez quoi ? Vous mentez. A nous. Et probablement à vous-même.
C’est ce qu’explique le magazine américain The Atlantic sur son site. Il développe:
« Cette année, le Reuters Institute for the Study of Journalism a interrogé des milliers de personnes du monde entier, leur demandant quelles sortes d’informations étaient les plus importantes pour eux. […] La politique internationale écrase les infos people et “marrantes”. Les informations économiques et politiques arrivent encore plus haut ».
Mais qu’en est-il de la réalité ? Le journaliste explique qu’elle est bien différente…
On pourrait avoir tendance à se dire que « les gens ne lisent plus les articles en entier », par exemple. Or, en réalité, nous ne disposons pas de point de comparaison suffisamment significatif pour dire qu’ils le faisaient davantage auparavant ! On ne peut pas se baser uniquement sur ce que les individus déclarent, dans la mesure où leurs comportements ne correspondent pas toujours à ce qu’ils prétendent. De plus, lorsque l’on observe le détail des données et non seulement les chiffres bruts (de « bêtes » moyennes où l’on mélange un peu tout), on constate que lesdits comportements sont très diversifiés.
> Lire aussi : La critique schizophrénique des médias sociaux (2018)
Quand on s’attarde à observer les pratiques de lecture des individus, on se rend compte que c’est vraiment complexe. Cela dépend du support (internet ou papier), bien sûr, mais aussi du lecteur, du titre de presse, du type d’article, etc. Peut-on comparer la lecture d’un article papier de Voici avec la lecture d’un article payant sur le site de Mediapart ?
> Lire aussi : « Nouveaux » médias : de la passivité à l’interactivité ? (2012)
Plusieurs auteurs soulèvent la présence de pratiques de lecture (voir par exemple : Mauger et Poliak, Les usages sociaux de la lecture). Daniel Pennac parle par exemple de “droits du lecteur” (Pennac, Comme un roman) : le lecteur peut passer des pages et ne pas tout lire, revenir en arrière, mais aussi parler de son roman ou se taire, lire n’importe où… Allez à la bibliothèque : la personne au comptoir se fera généralement un plaisir de vous conseiller quant à telle ou telle lecture ou quant à son appréciation de tel ou tel auteur. Lisez-vous toutes les rubriques d’un journal, en commençant par la première page et en allant systématiquement jusqu’au bout ? Quelle attention accordez-vous aux publicités ? Ne vous contentez-vous pas parfois de consulter uniquement le titre de certains articles ? […] Umberto Eco (Lector in Fabula) pense qu’un texte est une coconstruction : il y a d’une part ce que l’auteur écrit, et d’autre part ce que le lecteur en lit, et comment il se le réapproprie.
La valeur du partage social
Les usages médiatiques sont fortement liés à d’autres dimensions que la seule information : notamment le divertissement et la socialisation.
Concrètement, même lorsque nous lisons des articles qui se veulent « à haute valeur informative » (pour peu que l’on puisse attribuer ce genre de label), ceux-ci contribuent généralement à alimenter nos interactions sociales.
Internet n’a pas changé cela : ce sont d’ailleurs les plateformes de chat / communication entre pairs et/ou de divertissement qui ont le plus la cote, que ce soit auprès des jeunes ou des adultes.
> Lire aussi : Les algorithmes des réseaux sociaux – Usages des jeunes, bulles de filtres et éducation aux médias (2018)
Des tendances, à nuancer d’un discours englobant
Certains traits saillants peuvent néanmoins se dessiner, au cas par cas, lorsque l’on constate la viralité de certains contenus, ou encore les mouvements de désapprobation sociale sur la toile, par exemple.
Des tendances qui existaient déjà avant Internet se renforcent :
- immédiateté (course à la rapidité et flux constant de « nouveautés »),
- appel à l’émotionnel / à une forme de réactivité « brute » (notamment à travers l’indignation),
- bulles de filtre (idée que nous consommons davantage des contenus qui correspondent à nos sphères d’appartenance sociale. Cette tendance est renforcée par les algorithmes de recommandation, entre autres),
- etc.
Pour répondre correctement à la question des mutations des pratiques de lecture, il importe de se la poser au cas par cas, sur base de cas concrets. Cela aide d’ailleurs à se détacher d’un discours qui englobe tous les médias et tous les usages médiatiques (toutes les manières de « consommer » des médias) dans le même sac.
A ce sujet, lire aussi :
- T’as laissé ton “esprit critique” au placard ! (2017)
- Médias : manipulation ! On nous prend pour des cons ! (2018)
- Information, émotions et désaccords sur le web – Comment développer des attitudes critiques et respectueuses ? (2018)
- Fake News : pourquoi partageons-nous des contenus faux ? (2018)
- Internet comme espace d’émancipation et de co-construction du savoir (2019)
Version raccourcie
Consommons-nous différemment l’information depuis Internet ?
Quelles sont les différences entre l’info écrite en version papier et l’info accessible en ligne ? La consommation des actualités a-t-elle changé ? Nos usages médiatiques ont-ils vraiment changé ?
Ironie de l’histoire : une des nouveautés liées à Internet concerne justement le nombre de données dont nous disposons pour répondre à ce genre de questions. Nous n’avons jamais autant disposé d’éléments nous permettant de connaître la consommation informationnelle des individus.
Au rayon « papiers », lorsqu’une personne lit son journal à son domicile, nous n’avons que très peu de moyens pour connaitre ses pratiques informationnelles. Lit-elle tous les articles en entier ? Combien de temps accorde-t-elle à chaque contenu ? Commence-t-elle par le début ou la fin de son journal ? Y a-t-il des sujets qu’elle préfère à d’autres ? Que va-t-elle partager à autrui ? Etc. De fait, à part en recueillant les chiffres de diffusion et en les croisant à des données déclaratives (c’est-à-dire finalement en posant la question aux gens), il n’est pas évident de mesurer comment les gens lisent la presse. Alors qu’au rayon « écrans », aujourd’hui, sur un site Internet, vous pouvez analyser suffisamment le comportement des audiences pour en retirer des données sur les articles qui sont lus, sur le temps passé à les consulter, sur la navigation de liens en liens, etc.
Les données en question peuvent donner lieu à une forme de pessimisme. On y apprend que le temps passé à lire un article est en moyenne assez faible, qu’un article faux est beaucoup plus relayé qu’un article qui le dément, ou encore qu’un certain nombre de contenus sont partagés sans même que l’auteur du partage ait pris le temps d’en ouvrir le lien. On pourrait avoir tendance à se dire : « Les gens ne lisent plus les articles en entier ». Toutefois, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives. En effet, en réalité, nous n’avons aucune raison de penser qu’ils le faisaient significativement davantage auparavant. Une chose est sûre : lorsqu’on s’attarde à observer les pratiques de lecture des individus, on se rend compte de la complexité des choses. En effet, cela dépend du support (Internet ou papier) mais aussi du lecteur, du titre de presse, du type d’article, etc. Peut-on comparer la lecture d’un article papier de Voici avec la lecture d’un article payant sur le site de Mediapart ?
La valeur du partage social
On aurait tendance à l’oublier mais nos usages médiatiques sont fortement liés à d’autres dimensions que la seule information, notamment avec le divertissement et la socialisation. Concrètement : même lorsque nous lisons des articles qui se veulent « à haute valeur informative » (pour peu que l’on puisse attribuer ce genre de label), ceux-ci contribuent à alimenter nos interactions sociales. Internet n’a pas changé cela : ce sont d’ailleurs les plateformes de chat, de communication entre pairs et/ou de divertissement qui ont le plus la cote, que ce soit auprès des jeunes ou des adultes.
Nous pouvons toutefois épingler quelques traits saillants. Il ne s’agit pas de généralités absolues, mais de phénomènes à étudier au cas par cas. On peut par exemple observer la propagation virale de certains contenus et les mouvements de « lynchages » collectifs sur la toile. Dans ces deux cas, des tendances qui existaient avant Internet semblent se renforcer : l’immédiateté (course à la rapidité et flux constant de « nouveautés »), l’appel à l’émotionnel, à une forme de réactivité « brute » (notamment à travers l’indignation), ou encore les bulles de filtre c’est-à-dire l’idée que nous consommons davantage des contenus qui correspondent à nos sphères d’appartenance sociale. Cette tendance est d’ailleurs renforcée, entre autres, par les algorithmes de recommandation.
Au final, pour répondre à la question « Consommons-nous différemment l’information depuis Internet ? », il importe de la poser au cas par cas, sur base d’exemples concrets. De quoi nous détacher des discours généralistes englobant tous les médias et tous nos usages médiatiques (toutes les manières de « consommer » des médias) dans le même sac.