Dans les précédents articles du dossier, nous avons fait état de dérives typiques des « apprentis sorciers » de l’éducation aux médias. Ensuite, nous avons évoqué les enjeux de cette discipline et les implications didactiques issues de notre constat de l’existence de pédagogies et partis pris peu propices à la réflexion critique. Dans ce cinquième numéro consacré aux « apprentis sorciers » de l’éducation aux médias, nous expliquons comment ces finalités abstraites peuvent se subdiviser en compétences à développer.
4. Des compétences
L’horizon didactique envisagé précédemment doit être subdivisé en compétences opérationnelles [*]. Cela signifie de les rendre suffisamment concrètes pour qu’elles puissent être évaluées. Il s’agit de combler le gouffre entre les prétentions générales et abstraites comme « être un citoyen critique et actif » et les applications concrètes déconnectées des enjeux comme « savoir comment insérer une image en Word » (FASTREZ, P., La compétence médiatique : du concept à la mesure, le 17/05/2010). Sans cela, les éducateurs courent le risque de poursuivre des objectifs trop larges et flous ou au contraire de se limiter à des applications pratico-pratiques difficiles à généraliser.
Ensuite, il convient d’identifier les conceptions de départ, les savoirs préalables, les représentations initiales, les préjugés des apprenants.
Enfin, seulement, il s’agit de choisir ses méthodes et dispositifs pédagogiques.
Ces questions se posent tant pour le didacticien que pour toute personne qui voudrait critiquer les médias. Quel est le but ou la pertinence de la démarche ? Quelles sont mes croyances et comment suis-je disposé à leurs propos ? Quelles techniques retenir pour les analyser de manière pertinente, pour me faire ma propre opinion ?
Le problème de partir de « compétences » trop larges, abstraites et aux contours flous (ou d’objectifs trop spécifiques, détachés de leurs enjeux), c’est que l’on peut tout y rattacher. De ce fait, on arrive parfois à des dispositifs pédagogiques qui n’ont plus aucune formalisation, plus aucune cohérence. Ainsi, pour « développer les compétences médiatiques du jeune », plusieurs pratiques de terrain posent question : surf à l’aveugle sur Facebook, travail d’exploration du net en groupes et sans cadre, dissertation sur Twitter, etc. Si ces dispositifs sont loin d’être tous critiquables, il est certain en tout cas que plusieurs enseignants (voire chercheurs, parfois sur commande de pouvoirs publics) jouent aux apprentis sorciers dans ce domaine. Ce phénomène est loin de se cloisonner à la question des nouvelles technologies.
Selon Thierry De Smedt, en 2009, les compétences médiatiques génériques favorisant l’esprit critique relèvent des catégories suivantes : des « compétences fondamentales en contrôle du raisonnement, en logique formelle et en argumentation », des « compétences socio affectives à vivre la « disputatio » » et enfin des « compétences en culture médiatique à diagnostiquer les enjeux d’un message ou d’un dispositif médiatique » (DE SMEDT, T., Contrôler les médias ou former le public, Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, année académique 2008-2009).
Il s’agit d’une première subdivision de ce que peut bien revêtir le terme vaste et flou d’« esprit critique » : à la fois, des compétences générales de traitement de données, de logique, de raisonnement, mais aussi des compétences sociales, relationnelles, à vivre l’échange et la confrontation de vues en fonction d’une ouverture, et enfin une dimension propre à la spécificité des médias et de leurs implications. Nous le voyons : au-delà de la fiabilité des sources, il est question d’une véritable ouverture critique, d’une maitrise plus large du raisonnement, ainsi que de dimensions culturelles et affectives qui transcendent ce cadre.
Bien que ces deux subdivisions ne soient pas tout à fait identiques, nous pouvons dresser un parallèle avec celle qui appréhende les médias selon les dimensions cognitive, technique et enfin sociale, culturelle et affective. Nous optons pour préciser les compétences relatives à l’esprit critique selon ces trois pôles. Nous optons pour cela sachant que la formulation utilisée par Thierry De Smedt est en réalité tantôt plus spécifique, tantôt plus vaste que la subdivision « cognitif – technique – social » des médias, notamment lorsqu’il est question de compétences en « culture médiatique ». En effet, celles-ci ont un aspect cognitif (décryptage de documents), voire social, parfois commun à plusieurs dispositifs techniques dont il n’est pas nécessairement opportun d’étudier les spécificités. Les pédagogies implicites liées à cette catégorie proposée par l’auteur (comme l’apprentissage de théories relatives aux médias) ne font pas toutes référence à la dimension technique. Nous pensons cependant que les deux approches se rejoignent dans leur spécificité (directions didactiques concrètes inférées) et leur logique sous-jacente.
4.1. La littératie médiatique
Sources :
FASTREZ, P., La compétence médiatique : du concept à la mesure, le 17/05/2010.
– Littératie médiatique : quelles compétences ?, le 16/11/2010.
– De la lecture à la navigation : quelles compétences médiatiques ?, le 06/04/2011.
Voir aussi Recherches en communication n°33 : les compétences médiatiques des gens ordinaires (I), Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, 2010.
L’éducation aux médias est souvent confondue avec d’une part l’éducation par les médias (le fait d’utiliser les NTIC pour apprendre des autres contenus d’enseignement comme les maths, la géographie, etc. – l’e-learning, par exemple) et d’autre part l’éducation aux seules technologies (le fait d’avoir accès aux NTIC et de savoir les utiliser de manière opérationnelle). Le terme étant assez vague, flou ou abstrait, il engendre des délimitations diverses. Cette confusion se retrouve jusque dans les textes légaux.
La notion d’« éducation aux médias » désigne les compétences, les connaissances et la compréhension permettant aux consommateurs d’utiliser les médias d’une manière sûre et efficace.
(Directive « Services de médias audiovisuels », 2010, citée par P. Fastrez dans Recherches en communication n°33 : les compétences médiatiques des gens ordinaires (I))
La littératie médiatique (parfois appelée culture médiatique) est quant à elle l’objet, l’objectif, de l’éducation aux médias. Elle renvoie à des enjeux plus larges que ceux liés à la seule maîtrise technologique d’outils de communication. Elle pallie ainsi les risques de limiter l’évaluation des dispositifs d’éducation aux médias (et leurs indicateurs de réussite) à ce seul critère matériel. La technologie ne suffit pas. Utiliser les médias n’implique pas nécessairement de développer les compétences de la littératie médiatique. Tous les dispositifs ne se valent probablement pas, ne sont probablement pas tous aussi efficaces les uns que les autres.
Pierre Fastrez utilise le terme « littératie médiatique », issu de l’anglais « Media Litteracy » comme enjeu de l’éducation aux médias. La littératie médiatique se caractérise principalement par un ensemble d’habiletés qu’elle vise à développer :
« La littératie médiatique constitue un ensemble de compétences génériques. Ces compétences sont génériques en ce qu’elles ne sont pas propres [ni] à des médias spécifiques (film, presse, internet…), [ni] à des domaines d’activités spécifiques (information commerciale, product placement, protection des mineurs, participation citoyenne…)[…] Ces compétences peuvent se développer à travers l’usage de médias spécifiques et des pratiques d’éducation aux médias spécifiques. Plus ces compétences sont développées dans des contextes spécifiques variés, plus elles facilitent le processus d’appropriation d’autres médias ».
FASTREZ, P., La compétence médiatique : du concept à la mesure, le 17/05/2010.
L’auteur précise cette considération en délimitant les types des compétences attendues. Aux dimensions techniques, sociales et cognitives des médias, il adjoint quatre domaines d’activités :
– Ceux relatifs à la réception des médias :
1. la lecture (décoder, comprendre et évaluer les documents médiatiques) ;
2. la navigation (chercher (selon un objectif préétabli) ou explorer (sans but bien précis, activité ouverte) sans risque).
– Ceux relatifs à la production des médias :
3. la production/l’écriture (créer et diffuser ses propres productions médiatiques) ;
4. l’organisation (conserver, trier – catégoriser, annoter).
Il souligne également la dimension sociale de l’action responsable (connaissance des règles en vigueur, des enjeux et des principes) et évoque ce qu’il appelle une socialisation informationnelle, consistant à consulter, confronter et synthétiser (FASTREZ, P., La compétence médiatique : du concept à la mesure, le 17/05/2010).
De ces compétences génériques de la littératie médiatique, nous ne retenons ici principalement que celles relatives à la réception de documents, c’est-à-dire la lecture (compréhension, décodage, évaluation de la fiabilité de documents) et à la navigation (recherche documentaire ou exploration, sans but préétabli). En effet, les deux compétences d’écriture et d’organisation sont davantage orientées vers la production médiatique. Or, nous nous posons la question de l’éducation au questionnement critique par rapport à la fiabilité des sources.
Pour aller plus loin sur le cadre général de compétences en éducation aux médias : CONSEIL SUPERIEUR DE L’EDUCATION AUX MEDIAS, Les compétences en éducation aux médias. Cadre général, CSEM : Bruxelles, 2013.
4.1.1. Des compétences en lecture et en navigation
Source : FASTREZ, P., De la lecture à la navigation : quelles compétences médiatiques ?, le 06/04/2011.
Pierre Fastrez note une caractéristique fondamentale des médias numériques : « dans les médias numériques, la lecture se fait navigation », c’est-à-dire que pour comprendre, décoder ou évaluer un texte, il convient de reconstituer celui-ci selon un parcours de recherche ou d’exploration. En effet, continue l’auteur, « dans un hypertexte, l’usager trace lui-même son parcours de lecture […] le texte n’est plus que ce que l’on en lit » (fait de cliquer de liens en liens). Cela a deux conséquences majeures : « sur le web, le texte n’a plus d’auteur unique dont on doit reconstruire le propos » et « appréhender la structure du discours [devient dès lors] une fausse question ».
Nous pensons que ces considérations ne sont pas nouvelles. En effet, même lors de la lecture de textes simples (dans un livre, par exemple), la pensée critique consiste à prendre distance et à référer les éléments de contenus à des éléments hétérogènes, sociaux, des référents culturels, des images (un imaginaire), une histoire, des rapports à d’autres médias, etc. Cette démarche est similaire à l’approche scientifique de la lecture d’un ouvrage (consultation de certaines sources dudit ouvrage, exploration et recherche, approfondissement de certains contenus… qui engendrent un parcours bien spécifique, ainsi que des liens entre les différents contenus) et de la production qui peut en découler.
L’approche de la compréhension critique d’un document par sa structure, son genre, son langage et ses codes propres nécessite donc d’être couplée à une mise en perspective plus large. Celle-ci consiste en quelque sorte à « faire des liens » et à interroger les différentes relations entre les documents, ainsi que les « implicites partagés » sur lesquels ils se basent et leurs contextes (FASTREZ, P., De la lecture à la navigation : quelles compétences médiatiques ?, le 06/04/2011).
Bien que toutes les compétences soient liées, selon nous, il y a une progression dans la mise en place des dispositifs, qui fait que la production médiatique doit être précédée de balises suffisantes, à moins de n’être qu’une étape exploratoire. Le lecteur constatera peut-être le parallèle avec les deux types d’approches pédagogiques suivantes, selon nous complémentaires : premièrement, celle qui fonctionne selon une structure, progressant des contenus les plus simples vers une complexification et deuxièmement, celle qui fonctionne selon une construction de liens entre les différents thèmes, selon une certaine « base référentielle » (cf. la catégorie Enseignement, notamment les articles suivants : Pédagogie des formations professionnelles : discours sur la méthode, Les 3 étapes de l’apprentissage, ainsi que Les processus scientifique et cognitif).
Les compétences en recherche et en exploration (deux facettes de la navigation) permettent des délimitations supplémentaires.
En ce qui concerne les compétences en recherche (qui renvoie directement à la question de la fiabilité des sources, surtout dans les médias d’information), Fastrez mentionne l’« importance du jugement critique », l’« évaluation de la pertinence de l’information trouvée » et l’« identification des sources face à la multiplicité des énonciateurs ».
Les compétences en exploration sont surtout relatives à un dosage entre « ouverture (disponibilité, curiosité) et fermeture (attention sélective) ». Le fait que l’attention sélectionne des informations en fonction d’intérêts ponctuels n’est pas mauvais en soi, mais la dimension d’ouverture permet de ne pas passer à côté de contenus (et de formes, langages et registres de celui-ci, ainsi que des liens qu’ils peuvent contenir) facilitant la compréhension (Cf. SIMONS, D. J., Selective attention test).
Pierre Fastrez insiste sur la dimension active de la démarche et sur son caractère essentiel « dans un contexte où tout ramène [la personne] à « ce qui est conçu pour elle », « ce qu’elle connait déjà » et à « ce que ses pairs aiment déjà » » (nous avons déjà mentionné l’importance des pairs, d’autant plus sur le web (Cf. notamment les études Mediappro (dont la conférence) et Digital Youth Research (ITO, M., et al., dir.)).
L’auteur conclut et résume en ces termes : « La lecture contemporaine nécessite […] d’intégrer et de synthétiser des registres sémiotiques différents, le formel [interface, mise en forme graphique] et le sémantique [fond, sens], des supports multiples, des points de vue multiples » (FASTREZ, P., De la lecture à la navigation : quelles compétences médiatiques ?, le 06/04/2011).
4.1.2. Des compétences « oubliées » par l’école
Source : DE SMEDT, T., « L’insertion scolaire des compétences médiatiques », in Site INA-Expert, janvier 2012.
« Dans chaque case, figure les lettres E, M, et N, pour figurer respectivement les compétences traditionnellement requises par l’école, par la pratique des médias traditionnels et par les nouveaux médias […] L’intensité du fond de chaque case tente d’exprimer le degré d’exigence des compétences concernées.
Matrice des compétences en littératie médiatique, telles qu’elles sont couvertes par l’école, les médias traditionnels et les nouveaux médias.
[…] les nouveaux médias interactifs en réseau […] concernent surtout la navigation et l’organisation dans leurs trois dimensions (avec un accent particulier sur la dimension sociale : organiser les objets médiatiques sous leurs dimensions sociales).
Par conséquent, cette matrice indique dans quel sens les programmes et objectifs scolaires doivent être développés, pour apporter aux élèves les compétences requises par leurs pratiques médiatiques actuelles et très probablement futures ».
DE SMEDT, T., « L’insertion scolaire des compétences médiatiques », in Site INA-Expert, janvier 2012.
Ci-dessous, je vous propose un tableau de compétences synthétique permettant de rendre un peu plus concrètes les différentes dimensions identifiées. Celles-ci sont évidemment à mettre en lien les unes avec les autres. Il s’agit d’une production personnelle qui n’a pas vocation à l’exhaustivité, mais simplement à « vulgariser » le modèle présenté.
En fonction de cette matrice « vulgarisée », voici selon moi, en vert, les compétences survalorisées par l’école en Belgique francophone (y compris portées par une certaine « éducation aux médias – et à l’information » techniciste). En rouge, celles sous-représentées.
4.2. Des compétences au-delà de l’éducation aux médias
Les enjeux de l’éducation aux médias renvoient à des pratiques qui transcendent largement la question des (nouvelles) technologies.
Selon moi, les enjeux de la critique et de l’éducation aux médias renvoient à des pratiques qui transcendent largement la question des (nouvelles) technologies. Faut-il d’ailleurs se focaliser sur les médias ou sur leurs enjeux éthiques, relationnels, épistémologiques et techniques ? A mon avis, il est question de problématiques plus larges.
Concrètement, ce que je signifie par là, c’est que l’analyse des médias, de leur fiabilité et de leurs usages efficaces et critiques n’est pas une fin en soi. Elle est subordonnée en réalité à la question de l’esprit critique en général, qui renvoie à une autonomie de jugement, tant sur le plan épistémologique (fiabilité de l’information, processus et biais de perception et cognition, question de la foi, de l’adhésion, des idéologies et des croyances, etc.) que technique (maîtrise efficace des langages, des codes, des outils de production de savoirs et de pratiques, y compris au plan esthétique) et éthique (question de la vie en communauté, du relationnel, des valeurs, de la responsabilité et de la liberté, etc.).
En fait, les compétences pointées comme fondamentales par rapport à l’éducation aux médias sont d’ordre bien plus générique : ce n’est pas l’éducation à une pensée critique, citoyenne et ouverte qui se subordonne à l’éducation aux médias, mais le contraire.
4.3. Transition
Établissons un bilan transitoire de notre dossier.
Notre parcours vise à définir les contenus concrets permettant d’éduquer aux médias, c’est-à-dire de développer une pensée critique à leur égard (cf. Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (1) : introduction. Comment développer des pédagogies critiques réellement efficaces?). Il pourrait se résumer en deux questions.
La première est celle-ci (cf. Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (4) : les enjeux) : pourquoi éduquer aux médias ? Quels sont les enjeux ? Quels sont les impacts pédagogiques souhaités ? Quel en est le sens ? ». Nous y répondons en mentionnant les dimensions pratiques (liées à l’action humaine, notamment en société) qui sont liées aux médias : relations et interactions harmonieuses (caractère social), cognition et vérité (caractère cognitif, lié à la connaissance) et enfin maitrise technique des outils et de leurs spécificités. Nous réfléchissons la notion de pensée critique en fonction de ces domaines de questionnements : une autonomie de la pensée qui soit tout de même ouverte à la différence, à la rencontre (prise de conscience, enrichissement et engagement nuancé).
Celle qui en découle est la suivante : dès lors, comment y éduquer ? Cette question nécessite que les objectifs abstraits soient traduits en sous-objectifs (« compétences ») observables via des performances, c’est-à-dire des mises en œuvre concrètes, qu’elles soient matérielles ou non (elles peuvent être d’ordre cognitif, par exemple). C’est ce que nous avons évoqué dans cet article.
Ainsi, il est entre autres question d’une certaine efficacité dans la maitrise et la compréhension techniques, non seulement des contenus, mais aussi des formes (interfaces, interactions entre registres sémiotiques, codes…).
Nous avons noté que l’éducation aux médias ne se limite pas à cette maitrise technique, ni à la question de la critique des sources : traiter l’information, savoir l’organiser, l’utiliser de manière pertinente, en évaluer la fiabilité, sachant que cela est ou sera plus important demain que l’emmagasiner, etc. (cf. Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (2) : les pratiques des apprentis sorciers. Un manque d’expertise, des confusions et un apprentissage techniciste et Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias (3) : les pratiques des apprentis sorciers. Des partis pris réactionnaires (violence, sexe, etc.) et hypothèse). Des questions relationnelles (interroger le rapport aux médias, et aux autres), notamment, que l’on peut lier aux notions d’« ouverture curieuse », d’exploration de soi et de la différence, sont en jeu. Cette réflexion a selon nous de véritables retombées éthiques d’émancipation citoyenne, d’accueil de la critique et de la nuance. Il est question également de création (capacités en écriture, en production de contenus) et d’originalités culturelles.
Des problématiques comme la prévention des risques (pédophilie, escroqueries, violence…) peuvent selon nous prendre place dans cette optique. C’est dans ce cadre plus large, visant à évoluer efficacement et harmonieusement dans la société, à comprendre les évolutions sociales et techniques dans leurs codes et langages, la question de la fiabilité, de ce qui est « digne de confiance », de ce qu’il est légitime de faire ou non, que des méthodes et contenus concrets peuvent être mis en place.
En somme…
Pourquoi critiquer les médias ? Pourquoi les analyser ou y éduquer ? Selon nous, les enjeux se situent au niveau des dimensions pratiques (relatives à l’action humaine, en société) qui sont liées aux médias : relations et interactions harmonieuses (caractère social), cognition et vérité (caractère cognitif, lié à la connaissance) et enfin maitrise technique des outils et de leurs spécificités.
Dès lors, comment y éduquer ? Cette question nécessite que les objectifs abstraits soient traduits en sous-objectifs (compétences) observables via des performances, c’est-à-dire des mises en œuvre concrètes, qu’elles soient matérielles ou non (elles peuvent être d’ordre cognitif, par exemple). Il est entre autres question d’une certaine efficacité dans la maitrise et la compréhension techniques, non seulement des contenus, mais aussi des formes (interfaces, interactions entre registres sémiotiques, codes…). Mais l’analyse des médias ne se limite ni à une maitrise technique, ni à la question de la critique des sources . Des questions relationnelles, que l’on peut lier aux notions d’ouverture curieuse ou d’exploration de soi et de la différence, sont en jeu. Cette réflexion a de véritables retombées en termes d’émancipation citoyenne, d’accueil de la différence et de la nuance. Il est question également de création (capacités en écriture, en production de contenus) et d’originalités culturelles. Des problématiques comme la prévention des dangers (pédophilie, escroqueries, violence) peuvent selon nous prendre place dans cette optique. C’est dans ce cadre plus large, visant à évoluer efficacement et harmonieusement dans la société de manière autonome, que des méthodes et contenus concrets peuvent être mis en place.
Notons enfin que lors de la définition des enjeux et avant de définir les pédagogies concrètes, il convient de ne pas perdre de vue les savoirs et compétences préalables des apprenants. Ainsi, les différentes études quant à leurs usages et aux implications techniques, cognitives et sociales des médias sont très riches.
Cf. notamment :
- HARGITTAI, E., « Second-level digital divide : Differences in People’s Online Skills », in First Monday n°7(4), 2002.
- HEAD, A. J., EISENBERG, M. B., How college students seek information in the digital age : Lessons learned (Project Information Literacy. Progress Report), Seattle, WA : University of Washington, The Information School, 2009.
- WILLIAMS, P., ROWLANDS, I., Information behaviour of the researcher of the future : Work Package II / Final Keynote, London : British Library / University College London, JISC, 2007 et 2008, et sa traduction en mars 2010.
- L’étude Mediappro (dont la conférence), 2006.
- L’étude Digital Youth Research (ITO, M., et al., dir.), 2008.
- … (Notons que nous préférons mettre en avant les usages aux déclarations. En effet, le déclaratif dissone parfois du comportemental observable : des étudiants peuvent très bien déclarer apprécier un dispositif pédagogique, cela ne signifie pas qu’ils sont effectivement motivés par lui. Tout comme une majorité de personnes déclare apprécier Arte et/ou ne pas apprécier TF1, alors que la chaine TF1 est de loin plus regardée qu’Arte. Nous invitons à remettre en cause fortement les « études » qui ne se basent que sur du déclaratif pour appuyer leurs pédagogies – et pas seulement en didactique, en fait).
Toutes ces études, au-delà de révéler les enjeux des médias (neufs ou anciens), sont aussi révélateurs des opinions et pratiques (parfois inadéquats, ou du moins acritiques) des apprenants… Mais aussi parfois des « apprentis sorciers » !
__________________________
__________________________
[*] Nous profitons de cet article pour noter une des difficultés du vocabulaire technique d’usage en 2011 en Belgique francophone pour qualifier les enjeux pédagogiques. Le terme « compétence » suscite en effet des interprétations parfois très diverses.
Selon nous, il convient d’éviter des dérives du « pratico-pratique », de se cadenasser dans un jargon éphémère qui complexifie les choses. Il est légitime de parler de « savoirs morts » et de chercher en réponse à ce que les contenus d’enseignement fassent sens, à ce qu’ils puissent « servir », être « mobilisés » pour réfléchir, créer…
En effet, en Belgique francophone, le mot « compétence » réfère depuis 1997 (Décret « Missions » prioritaires de l’enseignement, 1997) à « un ensemble organisés de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Entendue de manière restrictive, cette acception pourrait laisser penser qu’il ne faut plus enseigner de connaissances qui ne permettent pas la mise en pratique directe. Or, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas reliées immédiatement à des tâches immédiates qu’elles n’ont pas de sens.
Nous pensons également que ce vocabulaire est connoté par un parti pris lié à tout ce qui est « pédagogies nouvelles », « pédagogies par projets » (et surtout leurs interprétations plurielles, parfois hasardeuses), procédant uniquement par savoir-faire directement applicables, par « performances », sans structuration des contenus et où la théorie a peu sa place. Nous pensons que les pédagogies sont complémentaires et pas exclusives.
Dans cet ordre d’idées, n’est pas important que ce qui est directement mobilisable en situation professionnelle entre autres, mais simplement ce qui fait sens en fonction d’objectifs pédagogiques, comme « développer l’esprit critique entendu comme une démarche de questionnement autonome » par exemple.
Nous utilisons le terme « compétence » en fonction de cette délimitation : il ne correspond pas à une visée qui se limiterait à du « directement mobilisable », à ce qui est « directement utile » ou « efficace » pour un travailleur, mais bien à des impacts pédagogiques souhaités (objectifs d’apprentissage), qui ont un certain sens (épistémologique/cognitif, éthique/social/relationnel et enfin technique). Ceux-ci sont définis en fonction d’enjeux.