Comment développer des pédagogies critiques réellement efficaces ?
En guise d’introduction à ce dossier intitulé Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias, voici plusieurs délimitations concernant l’éducation aux médias. En fonction de celles-ci, nous pointerons plusieurs dérives et autres démarches futiles ou erronées que certains pratiquent en son nom. Souvent de bonne foi, armés de « bonnes intentions », ceux qui prétendent éduquer, critiquer ou analyser les médias engendrent parfois des attitudes qui figurent parmi celles qui sont les moins riches vis-à-vis de ces médias…
L’éducation aux médias n’est pas l’éducation par, avec ou via les médias.
> Cf. PIETTE, J., « Éducation « par les médias » ou « aux médias » ? », in Les Cahiers pédagogiques n°449, janvier 2007.
Cette délimitation figure également dans mon mémoire : LECOMTE, J., DE SMEDT, T. (dir.), L’esprit critique des jeunes par rapport à la recherche de sources fiables sur Internet : quels enjeux pour l’éducation aux médias ?, Louvain-la-Neuve : UCL, 2009.
L’éducation par ou via les médias fait référence à un ensemble d’utilisations plus ou moins pertinentes de différentes technologies pour apprendre un certain contenu (des maths, du français, de l’histoire, etc.). Le média n’est ici que le moyen d’acquérir une connaissance extérieure. L’éducation aux médias vise quant à elle à acquérir des savoirs quant aux médias eux-mêmes. La connaissance et l’utilisation critique des médias en sont le but.
L’éducation aux médias ne se limite pas à la maîtrise technique des médias. C’est la raison pour laquelle on parle de « littératie médiatique », de « compétences médiatiques », de « culture médiatique ». Elles revêtent une dimension technique (maîtrise efficace de l’outil), mais aussi cognitive / épistémologique (critique de l’information, de sa fiabilité) et éthique / sociale / relationnelle (rapport social aux médias et engendrés par leurs biais).
> Cf. notamment FASTREZ, P., La compétence médiatique : du concept à la mesure, le 17/05/2010, ainsi que ses autres présentations Slideshare, et DE SMEDT, T., « L’insertion scolaire des compétences en littératie médiatique », conférence donnée le 12 février 2011 à Paris.
Les médias de masse existent depuis l’imprimerie. De ce fait, la compréhension des médias dépasse le cadre de questionnement lié seulement aux (nouvelles) technologies.
Trop souvent, l’analyse critique de celles-ci est orientée et marquée par l’illusion réactionnaire que « c’était mieux avant » : elle se limite dès lors à un discours prônant prudence et vigilance par rapport à des nouveautés qui effraient ceux qui ont grandi sans elles en première instance.
Par ailleurs, à trop se focaliser sur les nouvelles technologies, d’aucuns confondent l’éducation aux médias (visant une critique constructive, un usage raisonné et une compréhension des médias, en termes de fiabilité de l’information notamment) avec l’éducation par les médias (les médias ne sont alors qu’un moyen en vue de l’acquisition d’un savoir extérieur, comme le français, les maths, la géographie…) ou encore se bornent à une éducation à leur seule maîtrise technique (de l’éducation au dispositif technique du média, à son usage « professionnel », comme un cours d’informatique par exemple).
« Trop souvent, la seule perspective pédagogique que l’on propose est purement techniciste : on se limite à une formation axée sur la maitrise des outils. Or les recherches le disent clairement, les jeunes parviennent rapidement par eux-mêmes à maitriser la technologie – ils sont souvent plus compétents que les adultes [1] – mais on déplore qu’ils ne fassent pas montre d’esprit critique ».
PIETTE, J., « Le nouvel environnement médiatique des jeunes : quels enjeux pour l’éducation aux médias ? », in Recherches en communication n°23, 2005.
Les nouveaux médias engendrent de nouvelles problématiques, spécifiques. Cependant, en ce qui concerne la fiabilité de l’information, il serait dommage de ne considérer que les critiques formulées à leur égard. Il ne doit pas être seulement question de se demander « à quoi puis-je me fier sur Internet ? », mais « à quoi puis-je me fier ? » en général, de manière ne visant pas à déterminer a posteriori des « bonnes » ou « mauvaises » pratiques sur le web, mais à anticiper les comportements adéquats, quel que soit le dispositif.
> Cf. notamment LECOMTE, J., « Nouveaux médias : de la passivité à l’interactivité ? », le 24/02/2012.
Évoquons enfin un paradoxe pour clore ces délimitations concernant l’éducation aux médias : plusieurs pédagogues prétendent former des esprits critiques en pensant à leur place ce qui est bon pour eux (notons qu’il s’agit parfois du résultat d’une volonté politique, avant tout). Ils prétendent rendre les jeunes autonomes en leur inculquant des valeurs et en promouvant certains types de jugements… N’est-ce pas contradictoire avec la définition de la pensée critique, qui se traduit par un jugement autonome ?
Voici le plan de notre parcours :
Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias I : introduction
Introduction
Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias II : manque d’expertise et focalisation techniciste
1. NTIC : les pratiques des « apprentis sorciers »
1.1. Certaines sphères de la formation et de la production de savoirs ne sont pas expertes et confondent les genres
1.2. Un apprentissage techniciste
1.3. Des partis pris réactionnaires
1.3.1. La violence et le sexe dans les médias
1.3.2. La question du contrôle et de la surveillance
1.4. Hypothèses quant à l’échec de certaines pédagogies d’éducation aux médias : manque de centralisation et initiatives éparses
Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias IV : des enjeux et implications
2. Des enjeux et implications
2.1. L’esprit critique
2.2. Une subdivision des enjeux
2.3. De la nécessité de préciser les enjeux
3. Définir l’esprit critique en fonction des enjeux
3.1. Interroger les contenus et les dispositifs techniques
3.2. Interroger notre rapport aux médias : cognition et métacognition
3.3. Interroger notre rapport aux médias : les liens sociaux
4. Des compétences
4.1. La littératie médiatique
4.1.1. Des compétences en lecture et en navigation
4.1.2. Des compétences « oubliées » par l’école
4.2. Des compétences au-delà de l’éducation aux médias
4.3. Transition
Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias VI : des contenus et méthodes, variés et réfléchis
5. Des contenus et des méthodes, variés et réfléchis
5.1. Principes didactiques de base
5.2. Être au clair avec ses méthodes et ses contenus
5.3. Méthodes et contenus envisageables
[Mise à jour 2014] Deux ateliers d’éducation aux médias : recherche documentaire et production de contenu sur Internet
5.4. Des structurations des contenus
Les apprentis sorciers de l’éducation aux médias VII : sources et références
Sources et références
[1] A noter que cela ne signifie pas pour autant que les jeunes maîtrisent la technique de manière réfléchie, raisonnée.
Nous ne traitons pas non plus des dispositifs d’apprentissage « à distance » (e-learning et autres), orientés vers un contenu d’enseignement « classique » mais utilisant les nouvelles technologies en guise de support. Nous avons un avis assez mitigé par rapport à l’utilisation de certains de ces dispositifs, mais ce n’est pas le propos ici.