Qu’est-ce que le « cyberharcèlement » ? Qu’est-ce qui distingue cette forme de harcèlement de son équivalent en-dehors des médias sociaux ? Dans les deux cas, il s’agit de réalités sociales complexes.
Un consensus relatif existe autour de la définition du harcèlement. Pour qu’il y ait harcèlement, il faut qu’un ensemble de critères soient réunis :
- un ensemble de nuisances (volontaires) commises envers une « cible » (il y a une victime de nuisances),
- de manière répétée / sur une certaine durée dans le temps,
- assortie d’une relation de domination / déséquilibre de forces entre la « victime » et son ou ses « harceleurs » (la victime est dans l’incapacité au moins temporaire de se défendre sur un pied d’égalité face à son ou ses agresseurs ; il y a un ou des harceleurs et une ou des victimes ; la relation entre les protagonistes est asymétrique)
> Lire aussi Dossier : le harcèlement scolaire (Université de Paix)
Cette définition claire ne manque pourtant pas de laisser un certain nombre de zones d’ombre.
Des zones d’ombre de la définition du harcèlement
Nuisance et volonté de nuire
Certaines définitions insistent sur l’idée d’une volonté de nuire de la part de la ou des parties harcelantes. Cette dimension est parfois absente de ce que l’on considère comme du harcèlement (d’autant que la volonté de nuire peut être un élément difficile à prouver).
Il n’y a pas de liste exhaustive des comportements que l’on peut qualifier d’hostiles ou de nuisibles, même s’il existe des cas de figure peu contestables. Au contraire, certains actes qui ne sont pas illicites en tant que tels peuvent être considérés comme du harcèlement dès lors qu’ils sont répétés et causent du tort à une victime.
Dès lors, qui définit qu’il y a nuisance ou non ? S’agit-il du ressenti de la victime ? Des critiques envers le travail ou les idées de quelqu’un peuvent-elles être considérées comme du harcèlement ? La frontière est poreuse.
Répétition et durée
A partir de combien de nuisances peut-on considérer que le phénomène est suffisamment répété pour acter le harcèlement ? A partir de quelle durée ? Là encore, il n’y a pas de réponse univoque à ces questions.
Relation de domination / déséquilibre de forces / asymétrie relationnelle
Il est parfois difficile de distinguer si une personne est victime de harcèlement ou si elle est en réalité partie prenante à une relation conflictuelle dans laquelle elle aussi commet des nuisances volontaires, au même titre que l’autre partie.
En outre, dans des situations de harcèlement, le déséquilibre de pouvoir n’est pas toujours évident et est parfois une question de perception. Il peut se situer à un niveau culturel, institutionnel, organisationnel, groupal, interpersonnel ou encore psychologique… Certaines acceptions du terme « harcèlement » ne font pas mention de ce critère de manière explicite.
Dans une définition minimale, disons que le harcèlement suppose des comportements vécus comme nuisibles par une personne, sur une certaine durée et/ou répétés dans une certaine mesure. Selon la mesure dans laquelle la situation de harcèlement correspond à l’un ou l’autre de ces critères (voire à la prise en compte de critères supplémentaires), nous pouvons acter qu’il existe différents types de harcèlement, dont les mécanismes se distinguent parfois fortement les uns des autres.
Dortoir, cockpit et boule de neige
Ce qui se passe sur Internet et plus spécifiquement sur les médias sociaux comporte certaines spécificités par rapport à ce qui se passe « dans la vraie vie ».
> A ce sujet, lire notamment Comprendre les relations numériques (Université de Paix, 2013), Médias en réseaux : la socialisation numérique (CSEM, 2013) et Les relations sur Internet : interview dans le magazine Eduquer (2016)
Quand du harcèlement (par exemple, du harcèlement scolaire) se prolonge sur les réseaux en ligne, cela engendre ce que nous appelons un « effet dortoir » qui peut renforcer la perception des victimes que « ça ne s’arrête jamais » (comme pour ces jeunes qui se font harceler en classe et pour qui le calvaire continue à l’internat) et qu’ils ne disposent décidément d’aucun lieu où ils peuvent être tranquilles face à leurs bourreaux.
> A ce sujet, lire aussi Le cyberharcèlement, c’est du harcèlement (Université de Paix, 2015), Harcèlement et cyberharcèlement (Canal et compagnie, Université de Paix, 2015) et Le « cyberharcèlement » : quels sont les impacts des médias en réseaux (Conseil académique de l’Université de Paix, 2017)
Ce phénomène répond toujours bien aux critères du harcèlement traditionnel (tout en renforçant potentiellement ses conséquences néfastes sur la victime). Des situations similaires qui n’auraient lieu que par médias sociaux interposés rentrent également dans cette catégorie.
Certaines caractéristiques d’Internet peuvent favoriser une forme de désinhibition et de ce fait contribuer à faciliter de tels comportements harcelants. On peut alors parler d’« effet cockpit » : derrière notre écran, nous ne sommes pas en prise directe avec notre « cible », comme dans le cockpit d’un avion de chasse.
En outre, la dimension (potentiellement) publique des échanges peut engendrer un « effet boule de neige » impliquant une escalade de nuisances à l’encontre de différents individus. Il y a une certaine audience (potentielle) aux différentes prises de parole en ligne.
Quand le cyberharcèlement n’est pas clair
Sur Internet, il existe également un ensemble de situations où il devient difficile de déterminer si les critères du harcèlement sont bel et bien réunis (cf. les questions posées dans ce thread).
Des propos peuvent être sortis de leur contexte (propos dits dans certaines circonstances, à une certaine époque…). Sur Internet, les propos laissent des traces qui peuvent faire l’objet d’investigations parfois à charge, faisant fi des éléments contextuels : « tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous », puissance 1000. Par ailleurs, on peut reproduire et partager des contenus à volonté, et l’audience de ces contenus peut s’avérer incontrôlable.
Cela crée des différences majeures par rapport aux cas de harcèlement hors ligne.
Prenons un exemple. Lors d’une interview sur RTL, j’ai été amené à me prononcer au sujet d’influenceuses sur Instagram. Si l’une se moque de l’autre, alors c’est une nuisance volontaire, mais ce n’est pas encore un cas de harcèlement. Or, les influenceuses ont une audience assez large, de sorte que dès lors qu’elles s’expriment, certains de leurs « fans » emboîtent parfois le pas. On retrouve alors les trois critères : nuisances (insultes, moqueries, menaces), répétées (parce qu’un grand nombre de personnes s’en mêle) avec disproportion de forces (parce qu’une personne se retrouve seule face à une « meute »). Au départ, pourtant, c’est le même acte. En-dehors des médias sociaux, cet acte est considéré sous l’angle de la nuisance. Sur les réseaux sociaux, il est considéré comme du cyberharcèlement.
Autre exemple assez courant : une source émet un message sur une idée militante (de gauche, de droite ou d’ailleurs, peu importe). Un sujet de fond, donc. Ce message est repris et raillé par une tierce personne qui dispose d’une bonne audience. Ses propos sont largement relayés. Le public de ceux-ci inonde la source initiale avec des moqueries et insultes. Harcèlement.
Campagne de l’Education Nationale (France) 2016 – 2017 : « Liker, c’est déjà harceler – Non au harcèlement » [archive sur education.gouv.fr, ]
Admettons que c’est la victime qui détermine s’il y a eu nuisance, ce qui semble logique a priori. Prenons dès lors une critique est émise au sujet d’un représentant politique ou d’une entreprise. Celle-ci obtient un large écho. La cible estime qu’il y a nuisance. Nuisance + répétition + position « seul contre tous » : harcèlement. Des entreprises ou des politiciens pourraient user de tels stratagèmes pour discréditer ou même faire taire des voix dissidentes. Il est important de mettre en balance la perspective de la victime avec la notion d’intérêt public liée à la liberté d’expression.
Dernier exemple : le harcèlement en réponse au harcèlement. C’est le retour d’une forme de justice populaire. Un individu est accusé de harceler, de manière fondée (il est lui-même l’auteur avéré d’un certain nombre de messages volontairement nuisibles et jouit d’un statut de dominant) ou non (il a émis une critique sur une idée et des gens ont embrayé en moquant/attaquant une cible) – peu importe. Il est alors exposé au public de la victime, dont les relais et l’audience jouent ensuite eux-mêmes le rôle de harceleurs afin de « faire taire » (sic) l’individu supposé harceleur. Ceci est bien entendu problématique en termes de justice.
> Autre cas associé généralement à du cyberharcèlement : Photos intimes d’adolescents sur Internet : pour une éducation au consentement (2018)
Bref, sur les médias sociaux, en vertu des spécificités citées ci-dessus, il est possible de parler de cyberharcèlement sans qu’aucun critère de harcèlement ne soit initialement présent : un message sans intention de nuire (blague, critique sur le fond d’un travail, argument à l’encontre d’idées…), posté à une seule reprise (un tweet, un article, une publication sur Facebook…), impliquant une personne disposant d’un statut « équivalent » au statut de l’auteur du message peut être lu comme étant du cyberharcèlement dès lors qu’il est réapproprié par un certain nombre de personnes et occasionne des nuisances à un individu.
Je m'interroge vraiment sur la définition qu'on donne au mot "harcèlement" aujourd'hui. Notamment ici, sur Twitter.
— Elodie Safaris (@avriogata) January 28, 2020
Quelle responsabilité dans des situations qui dégénèrent ?
Attention, le propos n’est pas de minimiser les nuisances subies par différentes personnes sur Internet ou ailleurs, mais d’inviter à une réflexion sur les niveaux de responsabilité de chacune et chacun dans ces phénomènes (par exemple : sommes-nous responsables des actes hostiles d’autrui ?).
A ce sujet, d’abord, je pense qu’être une personnalité publique ou populaire ne justifie en rien de subir des attaques personnelles. Certes, une personnalité publique doit s’attendre à ce que son travail ou ses idées soient l’objet de critiques, mais ceci ne justifie pas la violence, les insultes et les menaces. Dans le cas des influenceuses, le fait qu’elles soient « populaires » n’est pas une raison pour justifier qu’elles soient victimes de nuisances (tout comme le fait de porter une jupe ne justifie en rien un viol).
En ce sens, rappelons que celles et ceux qui émettent des menaces, des insultes ou appellent à la violence commettent des actes répréhensibles, que l’on invoque le (cyber)harcèlement ou non (contrairement à ce que prétend le reportage RTL, je ne plaide de ce fait pas pour un « renforcement » de la législation face au cyberharcèlement).
Ensuite, je crois que lorsque l’on a une audience large, il faut tenir compte de cette audience, la « modérer » en quelque sorte. Bien sûr, une personne ne pourrait être tenue responsable de tous les actes commis par des gens aux comportements peu reluisants au sein de sa communauté. En même temps, il y a une différence entre des attitudes qui mettent de l’huile sur le feu et d’autres qui visent à calmer le jeu. Par exemple, si quelqu’un d’influent est au courant que des gens parmi ses fans agressent un tiers, il peut adopter plusieurs attitudes, constructives ou non : les rappeler à la raison, leur demander de cesser, ne rien dire, ou encore ironiser sur la victime ou les encourager, etc.
> A ce sujet, j’ai écrit un article au sujet de la responsabilité des polémistes par rapport aux réappropriations de leurs propos (2012)
Enfin, je crois qu’il y a un gros travail de réflexion à entreprendre afin de comprendre ce qui se joue sur les médias sociaux (pour les utiliser de manière responsable), et notamment les effets démultiplicateurs ou polarisants de ceux-ci.
En termes pédagogiques, il me semble important de prendre la question de la nuisance à autrui pour point de départ, plutôt que d’invoquer des concepts de manière dévoyée. Il s’agit de se responsabiliser par rapport à son audience, mais aussi de valoriser des discours nuancés et des critiques de fond plutôt que des attaques en meute sur des bases belliqueuses. Cela renvoie entre autres à la tension entre la liberté d’expression et les propos répréhensibles, à propos de laquelle il parait judicieux de s’interroger dans une perspective critique.
Définition du harcèlement (Réseau Prévention Harcèlement, 2016)
Le harcèlement est un enchaînement d’agissements hostiles répétés visant à affaiblir psychologiquement la personne qui en est la victime.
Ce type de comportement peut être habituel et impliquer le statut social et physique.
Il peut s’agir de harcèlement moral, comme des insultes ou des menaces, ou d’agressions physiques chez un ou plusieurs individus parfois discriminés sous prétexte de leur couleur de peau, religion, genre, orientation sexuelle ou autres différences comme les capacités physiques ou mentales.
Lorsque le harcèlement est effectué par un groupe, les anglophones utilisent le terme de mobbing.
(Wikipédia)
Quiconque aura harcelé une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d’une peine d’emprisonnement de quinze jours à deux ans et d’une amende de cinquante [euros] à trois cents [euros], ou de l’une de ces peines seulement
(Art. 442 bis du Code Pénal belge).
Le Code Pénal insiste sur la notion d’acte délibéré et sur la nuisance, et moins sur la question de la disproportion de pouvoir en apparence. Comme l’explique Pablo Criscenzo, avocat au barreau de Bruxelles :
Le texte laisse apparaître qu’il se compose de deux éléments : un élément matériel (le comportement de harcèlement affectant la tranquillité d’une personne) et un élément moral (savoir ou devoir savoir les conséquences de son comportement).
L’auteur poursuit :
Partant, les éléments constitutifs du harcèlement sont les suivants : Premièrement, le fait d’harceler quelqu’un, c’est avoir des comportements qui portent atteinte à la vie privée d’une personne. Pour être constitutif d’harcèlement, ce comportement doit être répété. Il est important de souligner que les actes d’harcèlement ne doivent pas être répréhensibles en soi. Autrement dit, les actes ne doivent pas être à eux seuls illicites. il peut donc s’agir d’une lettre, de coup de fil, de livraison de choses, etc. Par ailleurs, le comportement de l’auteur doit viser une personne physique déterminée. Deuxièmement, le harcèlement requiert un élément moral. C’est-à-dire un élément intentionnel qui est le fait de savoir ou de devoir savoir que son comportement affecte gravement la tranquillité de la victime. Par ailleurs, il existe du harcèlement scolaire, entre élèves, nommé le school bullying. Ce type d’harcèlement se constitue en une conduite agressive d’un élève envers un autre avec intention de nuire, qui se répète. Il ne s’agit donc pas de disputes ou bagarres ordinaires dans les cours de récréation.
On retrouve les différentes dimensions : un comportement hostile / nuisible (ici, intentionnel/délibéré), la répétition, et une distinction nette entre « harceleur » et « victime ».
Concernant la notion de comportement harcelant, Pablo Criscenzo souligne ceci :
La loi n’indique pas ce qu’il faut entendre par « harceler », il y a donc lieu d’interpréter la notion dans son sens habituel. Selon Le Petit Robert, harceler, c’est soumettre quelqu’un sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants. Le rapport fait au nom de la Commission de la justice de la Chambre énonce quant à lui que « le harcèlement consiste, en gros, à importuner une personne de manière irritante pour celle-ci ». Les travaux préparatoires contiennent également une liste de comportements considérés comme harcelants. […] La Cour constitutionnelle a considéré que le comportement de harcèlement doit nécessairement consister dans des agissements incessants et répétitifs. Cette interprétation a été confirmée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts successifs. Il en résulte que l’article 442bis du Code pénal ne peut s’appliquer aux actes isolés. […] Le harcèlement est un comportement qui vient troubler la tranquillité affective de la personne et lui causer une sensation de trouble.
De nouveau, les ingrédients sont : la nuisance / l’hostilité / les « petites attaques », la répétition, et enfin être au détriment d’une partie identifiée comme « victime » (supposant donc un déséquilibre relationnel entre les parties, l’une étant « harceleuse » et l’autre « harcelée »).
Le harcèlement désigne un ensemble d’actes, de comportements, d’écrits ou de propos qui, par leur répétition et leur caractère dégradant, contribuent à nuire psychologiquement ou physiquement à la personne qui en est victime. Il s’agit d’une forme de maltraitance qui peut être le fait d’un ou de plusieurs individus. Le harcèlement a pour objectif et parfois pour conséquence l’affaiblissement ou la destruction de la victime.
Le harcèlement vise à porter délibérément atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne.
Le harcèlement peut prendre des formes très différentes. Il peut, comme nous le verrons, être moral, sexuel, scolaire, numérique, téléphonique…
Les critères de la répétition et de la durée sont essentiels pour caractériser le harcèlement. Le harcèlement, en droit français, est considéré comme un délit passible de peines de prison.
(Harcèlement moral, sexuel, téléphonique : ce que dit le Code pénal, Jurifiable.com)
Le Code Pénal français insiste également sur le caractère nuisible des comportements, et ajoute l’idée qu’il s’agit d’une atteinte délibérée (volontaire ou du moins consciente), ainsi que sur les critères de répétition et de durée. De nouveau, il présuppose un « affaiblissement » voire une « destruction » de la victime, et donc une situation dans laquelle la victime est dans l’incapacité au moins temporaire de se défendre sur un pied d’égalité face à son ou ses agresseurs, il y a un ou des harceleurs et une ou des victimes.
Extraits de discussion avec @beneadikt via Twitter
Suite à un échange avec cet internaute, j’ai tâché de clarifier certains passages de mon article. Je pense en outre que des éléments abordés dans cette discussion peuvent compléter, nuancer et questionner différemment la thématique. Avec l’accord de mon interlocuteur, je me permets d’en retranscrire des extraits éclairants ici.
@Beneadikt commente en ces termes : « L’idée de volonté est souvent superflue. Par exemple, en matière de discrimination, dont un des modes peut être le harcèlement, l’intention n’est pas indispensable. C’est le résultat (atteinte à la dignité, création d’un environnement anxiogène, irrespectueux, etc) qui compte ».
Je précise alors que « mon propos consiste à dire surtout que le « cyberharcèlement » englobe des réalités multiples, très diverses »… Nous y reviendrons.
S’ensuit une querelle définitoire qui à mon avis comporte un certain nombre de malentendus. A ce moment-là, mon propos met moins le focus sur la complexité des situations que l’on peut inféoder au concept de (cyber)harcèlement que sur le fait que le concept ne me semble pas suffisamment opérationnel.
J’écris entre autres : « Dans les circonstances actuelles, qu’il s’agisse des définitions académiques ou juridiques, celles-ci sont problématiques. Que je me sois basé sur une définition juridique n’aurait rien changé à la teneur du propos concernant les soucis que ça pose »…
https://twitter.com/avriogata/status/1222200384581705728
https://twitter.com/avriogata/status/1222200387505213442
https://twitter.com/avriogata/status/1222200425291620352
Mon propos est alors mitigé.
D’une part, j’estime que le terme (cyber)harcèlement recouvre bien un ensemble de réalités, mais que cet ensemble est complexe.
D’autre part, je crois que dans certains cas, l’usage de ce terme peut être problématique, et n’est pas nécessaire pour acter des préjudices subis.
@Beneadikt me fait remarquer que justement, l’enjeu d’une définition suffisamment large et souple est de pouvoir l’appliquer de manière à acter les préjudices subis par les victimes. Il écrit notamment : « Le harcèlement, de plus, peut être défini depuis plusieurs angles […] Le harcèlement peut être subi, sans qu’une seule personne ait harcelé (consciemment). Par contre, une ou des personnes peuvent être responsables de cette situation de harcèlement ».
Je reste mitigé à ce stade. J’écris, entre autres : « On pourrait s’accorder sur plusieurs types de harcèlement, encore faudrait-il chacun les préciser. La science comme la justice ne peuvent pas se permettre d’utiliser des termes à géométrie variable comme le langage courant » – « Ne peut-on pas simplement acter lesdites réalités sans à tout prix les inféoder à un terme dont la définition dépend justement des cas de figure » ?
L’une de mes préoccupations est le caractère équivoque que la notion peut recouvrir (comme en ce qui concerne l’identité, par exemple). Si le terme est flou, un risque est de l’utiliser de manière arbitraire.
J’attire également l’attention de mon interlocuteur sur le fait que nos préoccupations se rejoignent, avec un passage de l’article :
Attention, le propos n’est pas de minimiser les nuisances subies par différentes personnes sur Internet ou ailleurs, mais d’inviter à une réflexion sur les niveaux de responsabilité de chacune et chacun dans ces phénomènes (par exemple : sommes-nous responsables des actes hostiles d’autrui ?).
Suite à ces échanges, @beneadikt me fait remarquer les éléments suivants, en revenant sur le cas du harcèlement discriminatoire : « L’intention n’est pas nécessaire, la définition ne fait pas état d’une disproportion de force, et ne mentionne pas le critère de répétition. Je veux bien que cette définition soit spécifique, mais c’est son intérêt : ne pas être dans le « fourre-tout ». 1 terme, plusieurs contextes, plusieurs approches, plusieurs définitions ».
Il s’agit de comportements indésirables liés à un des critères protégés qui portent atteinte à la dignité de la personne et créent un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
A mon sens, puisqu’il s’agit justement des lois sur les comportements discriminatoires, l’idée d’un rapport de force asymétrique est présente en filigrane. De plus, dans l’usage et sachant qu’il est fait mention d’un « environnement hostile… », il y a lieu de penser que le critère de répétition est également implicite. En revanche, nous sommes d’accord avec @beneadikt pour dire que l’intentionnalité est parfois secondaire. Ces éléments m’amènent toutefois à préciser un certain nombre de choses. Je revois notamment la formulation de l’idée de « disproportion de force », ainsi que sa nécessité pour qualifier certains types de harcèlement.
J’écris : « Il y a disproportion de force sous-jacente aux textes relatifs aux discriminations, et nous sommes d’accord que l’intention de nuire était absente de plusieurs définitions. Pour moi, en revanche, l’absence du critère de répétition ici est un dévoiement dangereux du terme […] Concrètement : si comportement discriminatoire (nuisance + catégories protégées <-> déséquilibre de statut (essence de la discrimination)) => discrimination. Si répétition => harcèlement discriminatoire (circonstances aggravantes) […] Par « déséquilibre de statut », il ne faut pas attendre qu’il y a des « forts » et des « faibles », juste que la relation de harcèlement est asymétrique, ce qui est le cas ici dans les comportements discriminatoires ».
L’exemple qui est pris pour parler de harcèlement discriminatoire sur le site d’Unia (Centre pour l’égalité des chances en Belgique) fait état de comportements qui ont lieu « à longueur de journée » suppose bien une forme répétition / durée… (sinon ça rentre dans la case « discrimination directe » ou « discrimination indirecte », à mon avis. On distingue des discriminations ponctuelles et des discriminations harcelantes).
Sur le critère de domination, j’écris plus loin : « Je peux entendre la réflexion sur la non-nécessité du terme « domination », mais je pense que c’est un garde-fou pour distinguer certaines situations conflictuelles de situations de harcèlement ».
A ce stade, nous avons dégagé plusieurs points d’accord et des clarifications :
Suite à cet échange, j’ai entre autres apporté la précision suivante dans mon article :
Dans une définition minimale, disons que le harcèlement suppose des comportements vécus comme nuisibles par une personne, sur une certaine durée et/ou répétés dans une certaine mesure. Selon la mesure dans laquelle la situation de harcèlement correspond à l’un ou l’autre de ces critères (voire à la prise en compte de critères supplémentaires), nous pouvons acter qu’il existe différents types de harcèlement, dont les mécanismes se distinguent parfois fortement les uns des autres.
@Beneadikt ajoute : « Pour la durée, je suis assez d’accord, ça semble inclus dans l’idée de créer un environnement. Pour la répétition, tout dépend d’où on se place. Pour la victime, c’est assez probable. Mais il est possible que personne n’ait de comportement répétitif […] La répétition n’est pas vraiment un critère si on ne définit pas dans le chef de qui (victime présumée ou auteur•es présumé•es) […] C’est le fait de subir une nuisance qui dure ou est répété, mais pas toujours le fait de produire une nuisance. Donc oui, je pense qu’il est pertinent de bien définir pour qui il y a durée ou répétition ».
Il poursuit : « La nuisibilité aussi est délicate à établir : est-ce nuisible d’être froid•e/distant•e avec une personne ? Ou de ne pas lui faire confiance pour certaines choses ? Difficile de trancher simplement, non » ?
A mon sens, par ces interventions, @Beneadikt remet moins en cause la pertinence des critères que la difficulté de les appliquer de manière univoque, et ce parce que la réalité est complexe. En effet, il arrive que l’on reconnaisse une situation de harcèlement sans que pour autant la répétition des comportements provienne d’un seul auteur, ou encore que les comportements soient « en soi » illicites. Le simple fait qu’il y ait un traitement différent (sans que ce comportement soit illicite en soi) répété, qui émane d’une ou plusieurs personnes, peut suffire à acter du harcèlement discriminatoire.
Suite à ces questionnements, je précise à mon tour : « Entre autres questions que je me pose : (dans quelle mesure) pouvons-nous être tenus responsables des nuisances commises par autrui ? Si je fais une blague à une personne, mais que cette dernière l’a déjà entendue 5000 fois avant moi, quelle est ma responsabilité dans cette situation qui peut s’apparenter à du harcèlement ? Il s’agit en effet d’un comportement ponctuel, sans intention de nuire, dans une relation a priori symétrique
[…] La répétition due à une meute de fans, due au fait de se faire harponner couramment dans la rue ou encore due au fait d’un acharnement hostile d’une personne, ce sont des cas différents […]
Je plaide moins en ce sens pour un rejet de ces termes que pour une réflexion approfondie – et une nuance – par rapport à ce qu’ils englobent. C’est une raison pour laquelle des distinctions supplémentaires m’importent. En fait, c’est justement parce que mon optique vise à comprendre les dynamiques sociales très diverses derrière les différents phénomènes que l’on qualifie de harcèlement ».
@Beneadikt répond en ces termes : « Alors là, je suis d’accord. Faire des sous-catégories selon les contextes, les différentes réalités sociales permet sans doute de mieux comprendre pourquoi/comment et également comment lutter contre. Ça fait du (cyber-)harcèlement un concept complexe plus que fourre-tout, non » ?
Je réplique : « Mon titre est peut-être maladroit. J’ai écrit cet article suite à des accusations de cyberharcèlement assez litigieuses. Pour moi, un des risques demeure de qualifier des phénomènes avec ce terme alors qu’en fait c’est plus compliqué que ça dans certains cas »…
@Beneadikt réagit comme ceci : « De façon générale, qualifier des faits quand on n’est pas pro du droit est toujours une mauvaise idée. Donc c’est risqué, tout à fait d’accord. Laisser entendre que c’est plus simple IRL me paraît également risqué. Un nouveau titre en préparation ?«
Ce propos me touche particulièrement, car je n’ai pas eu l’intention de dire que c’était plus simple IRL, mais de montrer des raisons pour lesquelles c’est difficile de le faire en ligne, et de discuter de certaines réalités sociales que cela englobe.
De fait, l’idée de « complexité » colle davantage au propos que j’avais envie de développer dans cet article – et sur ce site, d’ailleurs. Je ne change pas ma titraille, mais j’espère que le contenu de l’article, et le cas échéant accompagné de cette discussion de fond, permettent de clarifier et de nuancer ma pensée. Je remercie @Beneadikt d’avoir pris la peine d’en discuter avec moi en me présentant des arguments et ce dans une optique de compréhension mutuelle, en dépit de quelques incompréhensions et d’une ou deux punchlines de part et d’autre 😉
@Beneadikt conclut en ces termes : « [Cette réflexion] devrait aller de pair avec une réflexion sur notre manque de culture juridique à tous•tes. Et sur l’intérêt d’aller voir les textes de loi, de la vulgarisation là-dessus (etc.) pour mieux saisir ds quels buts/comment ils sont faits. Et peut-être moins s’entre-accuser n’importe comment ».
Je le rejoins en ajoutant que je pense que l’approche juridique, si elle comporte un certain nombre d’éclairages, doit aussi pouvoir s’assortir d’autres approches (sociologiques, psychologiques, anthropologiques, philosophiques, morales…), sachant qu’à mon sens, le législateur n’est pas exempt de se fourvoyer… Il s’agit d’une question impliquant d’autres disciplines.
@Beneadikt renchérit : « Oui, ces disciplines sont différentes, mais souvent intriquées de façon parfois très bizarre. Y a qu’à voir le moindre débat sur le début ou la fin de vie… C’est pour ceka aussi qu’il faut souvent préciser d’où on tire ses réflexions sur les sujets qui concernent toutes ces disciplines à la fois ».