#Lasociétay #Lesystayme #Lémédia #Légens et #lémoutons

Depuis des années, j’ai écrit plusieurs articles sur l’usage de ces catégories qui empêchent de penser la complexité des réalités sociales. Il s’agit souvent de lieux communs populistes.

Source de l'image (sans la bulle) : https://pxhere.com/fr/photo/566618

Source de l’image (sans la bulle) : https://pxhere.com/fr/photo/566618

En 2013, je faisais déjà état de mes réserves à parler de la société comme s’il s’agissait d’un tout homogène dans certains de mes articles.

« La société », « le système », « les médias », « les gens », « les moutons »… Ces termes ne désignent généralement pas des situations spécifiques ou des comportements concrets. Leurs contours sont flous, ils sont utilisés sans être pensés en profondeur. Ils témoignent souvent davantage d’un positionnement social que d’une critique construite sur des bases factuelles. De plus, ils ont pour fonction de désigner un « eux », un « exogroupe », et de ce fait sont fort connotés au niveau identitaire, favorisant parfois des attitudes belliqueuses. Ceci entrave la voie vers des solutions aux problématiques concernées.

Un manque de discernement

La critique de la presse, par exemple, dit parfois davantage de la personne qui critique que de ce qui est critiqué : nos discours envers les médias ont des ressorts idéologiques et non seulement logiques. On retrouve cette tendance dans ce que j’ai appelé « la critique schizophrénique des médias sociaux » avec une ode à « la vraie vie » qui reflète surtout des idéologies réactionnaires. On retrouve en outre l’appel au bon sens typique du populisme (c’est-à-dire à « tout mouvement, toute doctrine faisant appel exclusivement ou préférentiellement au peuple en tant qu’entité indifférenciée »).

> Lire aussi Pierre Rosanvallon, « Penser le populisme » (La vie des idées, 2011) et plus largement Catherine Colliot-Thélène, Pierre Rosanvallon, Florent Guénard, Chloé Gaboriaux, Juliette Roussin, Peuples et populisme (PUF, La vie des idées, 2014), dont cet article est extrait.

Attention, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu de critiquer ! Je crois qu’il est plus riche de le faire avec précision, avec discernement ; en faisant la part des choses. J’ai tâché de m’y atteler en 2012 dans mon 1er livre au sujet de l’influence et de la fiabilité des médias, ainsi que dans mes articles sur Philomedia. Il y a bien des fonctionnements systémiques à pointer du doigt, mais la manière d’y faire référence est loin d’être toujours à la hauteur. Le fait est que les catégories à l’emporte-pièce empêchent de penser correctement.

Une attitude idéologique plutôt que logique

Par rapport à la fiabilité de l’information, l’usage de catégories englobantes floues comme « lémédia » ne contribue clairement pas à séparer le bon grain de l’ivraie. Ainsi, de nombreuses personnes critiquant des médias dits « traditionnels » ont tendance à se fier à des sources encore moins recommandables. A ce sujet, cf. mes articles « Médias : manipulation ! On nous prend pour des cons ! », « Un mensonge poserait-il problème s’il n’y avait personne pour y croire » ou encore « T’as laissé ton esprit critique au placard ».

Ce ne sont d’ailleurs pas toujours les individus les mieux informés qui s’expriment. L’affirmation péremptoire que « les médias n’en parlent pas !!! » est une illustration typique de ce phénomène : on crie à une censure qui relève en réalité du fantasme (cf. les discours pro-Raoult alors qu’il a clairement figuré parmi les personnalités – en général – et les médecins – en particulier – les plus invités et les plus cités lors de la pandémie).

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai intitulé ma conférence TEDx « Des médias et des humains » : un enjeu est de ramener de la mesure dans la critique – légitime, je le répète – des médias. Je crois qu’une critique est d’autant plus efficace qu’elle est correcte et précise. Je crois aussi que lorsque nous consolidons notre compréhension des problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous augmentons notre capacité à y faire face de manière pertinente et juste.

On retrouve clairement un positionnement social dans le complotisme. Ce mot désigne davantage une attitude de défiance (en bonne partie dysfonctionnelle) que des thèses spécifiques. Des complots existent, des théories du complot peuvent être vérifiées, mais l’attitude de défiance conspirationniste illustre d’autres dynamiques (notez que je ne parle pas de #lécomplotistes). Le raisonnement et la rhétorique complotistes ne sont pas valides, entre autres problèmes.

Je me suis beaucoup penché sur les questions de défiance et d’œillères idéologiques liées à la fiabilité des informations. Si cela vous intéresse aussi, cf. entre autres Français et médias : aux racines de la défiance (2021), Désinformation, fake news : pourquoi on y adhère et comment s’en prémunir ? (2021) ou encore 10 thèmes pour réfléchir à la circulation de l’info en temps de contestation sociale (2019).

Un autre exemple : il existe une propension à parler du peuple comme s’il s’agissait d’une entité qui pouvait s’exprimer d’une seule voix. « Les Français pensent ceci », « Les Français veulent cela »… Ces propos ont généralement peu de validité sur le plan épistémologique, et c’est un reproche que l’on peut faire entre autres à certains sondages et à la manière d’en présenter les résultats. A ce sujet, cf. Des critères de validité en sciences humaines et sociales.

Un super combo récité en période électorale

En 2014, Odieux Connard dénonçait cette propension des personnalités politiques en France à prétendre avoir compris « le message des Français » : Post Electoral (2014)

Un positionnement identitaire

En plus de relever de la généralisation – souvent – abusive (problème au niveau épistémologique), ceci est mortifère (problème au niveau pratique, moral).

La généralisation abusive est à mon avis l’un des pires écueils sur le plan du raisonnement. Les catégories identitaires sont quant à elles intrinsèquement problématiques (cf. L’identité et l’essence : deux notions problématiques (2009) et L’identité selon Brubaker (2009)). Elles s’accompagnent de nombreux biais.

Ces dévoiements de la pensée servent les discours de haine – racisme, sexisme, homophobie, etc. -, la stigmatisation (ou désignation d’un bouc émissaire) et les stratégies guerrières des belligérants. Dans une réflexion au sujet de l’essentialisme en morale, je développais combien ce type de réification peut être néfaste (même si l’article en question mériterait d’être retravaillé).

Bref, souvent, ce genre de catégorie englobante floue :

  • Entrave le discernement (de quels faits concrets parle-t-on ? Qui est responsable de quoi ?)
  • Relève moins d’un raisonnement logique que d’un positionnement idéologique
  • Favorise le populisme, la stigmatisation et la haine contre un exogroupe

Le simplisme dans la dénonciation, l’absence de solutions constructives

Enfin, le manque de discernement critique et l’aveuglement idéologique prennent souvent une forme destructrice (punir ou blâmer des gens pour qui ils sont, ce qu’ils représentent) et non constructive (orientée « solutions »).

Il est facile de critiquer, de s’indigner, d’attaquer autrui, mais cela est vain si on n’utilise pas la même énergie pour construire quelque chose d’autre.

Je suis partisan du dialogue plutôt que de la violence. Cela ne m’empêche pas d’estimer que la dénonciation de pratiques et la mise en lumière des responsabilités de chacun sont importantes. Mais la finalité n’est pas ici de flatter son égo en optant pour « le camp des bons », de se positionner en redresseur de torts – attitude que j’abhorre. Il est question de construire des solutions citoyennes.

Dans mon livre Nuance ! La puissance du dialogue, je développe que la pensée est affaire de mesure. Il ne s’agit pas de jouer sur les mots pour le plaisir de l’onanisme intellectuel, mais de mieux comprendre le monde pour mieux agir en son sein. Je comprends également que certaines personnes n’aient pas d’autre choix que la lutte, qui doit parfois être radicale. Pour moi, l’injonction à la nuance est un dévoiement de celle-ci. Néanmoins, je crois aussi qu’il est judicieux d’interroger ce qui fonde les discours que nous produisons ou ceux auxquels nous sommes confrontés (dans la presse, mais aussi sur les réseaux sociaux). Nous avons besoin de catégories pour penser et agir, mais les mots ont d’autant plus de puissance qu’ils réfèrent correctement à quelque chose.

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