Le volontarisme sur LinkedIn
Cette phrase vue aujourd’hui en commentaire sur le mur Facebook d’un ami m’a rappelé mon sentiment mitigé lorsque je découvre un énième slogan volontariste partagé sur LinkedIn – notamment.
« Chaque corps sur l’Everest a été un jour une personne EXTRÊMEMENT motivée ».
Si vous connaissez l’auteur de cette citation qui pastiche celle de Mark Twain, je suis preneur.
Ci-dessous, je vous partage une sélection de citations « inspirantes » vues et/ou partagées sur Linkedin.
- « The mind is everything. What you think, you become – Buddha »
- « If you’re not willing to risk it all, you’re not willing it hard enough »
- « Linkedin is not Facebook. Please keep it professional »
- « When you’re committed to something, you accept no excuses, only results »
- « If your dreams don’t scare you, they’re not big enough »
- « Never tell me the sky is the limit when there are footprints on the moon »
- « Chances of success : I won’t – 0%, I can’t – 10%…, I can – 80%, I will – 90%, I did – 100% »
- « Every pro was once an amateur. Every expert was once a beginner. So dream big. And start now »
- « You create your own opportunities »
- « If you really want to do something, you will find a way. If you don’t, you’ll find an excuse »
- « Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient »
- « Sometimes you win, other times you [barré : lose] learn ».
- « Success is an iceberg… » (un iceberg composé de « hard work », « dedication », « good habits », « sacrifice »… Où sont par exemple la chance, l’aide d’autrui, voire les passe-droit et autres pratiques moins « glorieuses » derrière cette idée de la réussite ?)
- « Knowledge = 96%, Hard work = 98%, but ATTITUDE = 100% » (ndlr : et BULLSHIT = 103 % !)
- « On travaille à des alternatives. On n’a pas besoin d’être parfaits, on doit juste être meilleurs que ce qui existe déjà »
- « FAIL means First Attempt In Learning, END means Effort Never Dies, NO means Next Opportunity ».
Elles semblent témoigner d’une idéologie volontariste : « chacun est (seul) responsable de sa réussite, et pour cela il suffit de le vouloir – d’avoir des rêves de standards élevés – et de bosser en ce sens, avec le sourire (parce que oui en plus c’est la clé du bonheur) ». C’est plus important de vouloir réussir que de réussir. Les « perdants » sont surtout ceux qui ne témoignent pas assez de cette volonté (à travers leurs rêves, leur dévouement au travail, leur « positive attitude », etc.).
> Découvrez aussi le Neurchi de LinkedIn (Facebook) et le Neurchi de flexibilisation du marché du travail (Facebook) qui épinglent au quotidien des publications de ce type, non sans sarcasme.
Il serait intéressant de compiler un échantillon significatif des statuts partagés par les membres de Linkedin, afin d’évaluer la place de ces opinions volontaristes aux allures profondes.
Lire aussi : Du volontarisme à la culpabilisation des individus : des idéologies qui nous aliènent
Ces slogans colportent l’idéologie que le succès dépend uniquement du travail et de la volonté (« persistence », « dedication »…), d’une « positive attitude », malgré les échecs (contextuels).
> [Mise à jour 2018] Lire « Le développement personnel est-il vraiment l’arnaque du siècle » ? (Slate, 2018). Cf. également Happycratie + Erreur fondamentale d’attribution.
Il s’agit généralement de raisonnements fallacieux, comme le montre cette image illustrant le « biais du survivant ».
Linkedin n’est pas Facebook : « keep it professional », rappellent les professionnels donneurs de leçons (ou donneurs de leçons professionnels ?).
Pourtant, l’usage des statuts semble similaire lorsqu’il consiste en une mise en scène de soi valorisante dans un contexte spécifique… Autrement dit, le fait de partager ou réagir à de tels slogans serait une manière de se positionner dans l’espace social, envoyant notamment le message que l’on partage certains « codes » (un certain habitus ?) avec un certain champ « culturel ». Et cela n’atteste au final en rien de compétences effectives (outre celles à se conformer à un type de marketing), de capacités d’apprentissage, de propensions à la socialisation ou du contenu d’un quelconque travail.
Tout cela mériterait bien sûr de faire l’objet d’observations plus poussées, et probablement de nuances.
Les revers de la médaille sont que cela fait porter une grosse responsabilité aux travailleurs, et plus largement aux individus, notamment par rapport à leurs « échecs » (à ce qui est considéré comme tel), à leurs difficultés, voire à la perte de motivation en résultant (on peut échouer, mais on ne peut jamais cesser de vouloir réussir, perdre de vue ses objectifs, se crever pour les atteindre). Cela met également de côté les inégalités évidentes qui conditionnent en partie le « succès », tout en alimentant une culture compétitive malsaine. Enfin, et c’est peut-être le pire à mes yeux, cela sous-entend une certaine idée (superficielle ?) de ce qu’est le « succès », la « réussite ».