Résumé d’un ouvrage concernant l’école : FOURNIER, M. et TROGER, V. (dir.), Les mutations de l’école : le regard des sociologues, Auxerre : Sciences humaines, 2005.
Introduction : présentation générale de l’ouvrage
Les mutations de l’école est un livre qui a été écrit en 2005. Il est par conséquent assez récent et touche de près de nombreuses problématiques auxquelles les enseignants et futurs enseignants sont ou seront confrontés.
Cependant, bien qu’il ait ce grand avantage au niveau de son actualité, il reste avant tout un bouquin français. Cette limite quant à une généralisation est non-négligeable et elle a engendré des choix dans ce que nous allons développer ici. Les comparaisons avec le système français ne sont pas inintéressantes, et nous ne les éluderons pas, mais nous éviterons les longs développements politiques. Ceux que ces développements intéresseraient sont invités à consulter le plan de l’ouvrage en annexes. Ce plan contient en outre les différents auteurs qui y ont contribué.
Avant de rentrer dans son contenu proprement dit, il faut encore noter que l’ouvrage est en réalité un recueil de textes, de différents auteurs et qu’il a donc une homogénéité relative. En effet, il traite de sujets aussi divers que la question du système éducatif en tant que tel (1), celle des élèves, des enseignants, des familles et de leurs comportements (2) et enfin du rôle de l’institution scolaire, entre savoirs et valeurs (3). Il ne manque d’ailleurs pas de nous mettre en prise avec les valeurs de socialisation et la problématique des inégalités (on pense de suite à Bourdieu) que l’école brasse depuis des années maintenant. Nous allons ici essayer de préserver la cohérence globale qui a été donnée à l’ouvrage, tout en tentant de retirer les éléments de réflexion et d’actions les plus importants pour de futurs enseignants.
1. La question des systèmes éducatifs
Nous nous focaliserons sur deux points de vue : les différences dans l’espace (entre pays en Europe) et dans le temps (évolutions telles que la démocratisation). Nous aborderons dans un troisième temps la question des différences entre établissements.
1.1. Les différences entre états
La question de la différence entre les systèmes éducatifs est d’autant plus prégnante depuis les études PISA. En effet, comment expliquer autrement le haut niveau des élèves finlandais à ce test, en comparaison avec celui des allemands ou des belges ?
Il s’avère qu’il existe schématiquement trois systèmes différents en Europe (CRAHAY, M. et DELHAXHE, A., « Les trois grands modèles scolaires en Europe » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit).
Le premier est appelé celui de l’« école unique » (c’est celui des pays nordiques). La scolarité y est obligatoire de 6 à 16 ans dans un et un seul lieu. En d’autres termes, du primaire à la fin de la scolarité obligatoire, on reste dans le même établissement. Cela permet une formation très homogène et un suivi individuel des élèves. Ce type d’enseignement est aussi celui qui engendre le moins de redoublements. L’intégration y est maximale.
Le système à l’autre « extrême » est celui de la spécialisation, l’intégration y est la moindre. C’est l’enseignement « en filières ». Ce type de système mise sur la spécialisation, l’orientation précoce de ses élèves (dès le primaire), sur l’évaluation constante et n’hésite pas à pratiquer le redoublement. En Allemagne, choisir le technique n’est d’ailleurs pas vu comme négatif.
Le dernier système est l’intermédiaire, c’est aussi celui auquel le système belge s’apparente le plus. C’est celui du « tronc commun ». Il connait une différence entre le primaire et le secondaire, le redoublement y est assez présent et il existe des réorientations en fin de cycle.
Cela nous situe déjà dans quel contexte aborder notre institution scolaire. Nous ne nous attarderons pas sur la mise en correspondance entre les résultats PISA et ces types d’enseignement. Disons simplement qu’aujourd’hui, pour beaucoup de scientifiques, il n’en ressort pas nécessairement qu’un de ces systèmes soit meilleur que les autres, et surtout qu’on puisse appliquer l’un d’eux à un pays qui n’a pas évolué dans le même contexte. Le futur professeur pourra néanmoins tenter des pratiques de suivi individuel et de relativisation des évaluations et de l’échec.
1.2. Les différences dans le temps
L’école, qu’elle soit française ou belge, a vécu de plein fouet plusieurs grands changements. Tout d’abord, celui de la démocratisation, de la massification. Cela va à l’encontre du mythe que « le niveau baisse », phrase prônée par les conservateurs nostalgiques de tous temps, puisqu’en réalité, il n’a jamais cessé d’augmenter et de toucher de plus en plus de couches de la population. Par contre, cela pose le thème de la dévaluation des diplômes (et donc du sens de l’institution scolaire, nous y reviendrons).
L’école rencontre donc de nouveaux publics, des milieux populaires notamment. Ceux-ci ont une vision très utilitariste de l’école ; elle n’est là que pour les former pertinemment à leur futur métier. Ils veulent en percevoir l’utilité et la rentabilité immédiates (contrairement à une « élite » qui accepte plus volontiers le jeu conventionnel). Cela n’expliquerait-il pas en grande partie la montée de la logique des compétences, soit de savoirs et aptitudes concrets directement mobilisables ? N’est-elle pas une réponse inéluctable à cette nouvelle situation, de laquelle les universitaires ne sont pas toujours conscients avant d’être confrontés au terrain (et encore…) ?
Les formations technique et professionnelle se voient elles aussi remises en question, mais via d’autres évolutions : la commercialisation, la croissance du secteur tertiaire, les progrès technologiques… En bref, l’école, par son interdépendance avec le marché de l’emploi et les évolutions constantes que ce dernier subit, est constamment en mouvement, remise en questions et en débats.
1.3. Les différences entre établissements
L’évaluation est aujourd’hui omniprésente. Il suffit de penser à l’essor de la sociologie, aux statistiques. Il convient de classer, de hiérarchiser, afin d’offrir la solution la plus pertinente possible à un problème donné. Nous vivons donc dans l’idéologie d’une certaine performance, traduite par cet essor des évaluations.
C’est ainsi que se créent, en France comme en Belgique, des « meilleurs » établissements. Les écoles arrivent à jouer sur les règles, à se différencier. Par exemple, en faisant redoubler davantage jusqu’en cinquième, on n’obtient en rhétorique que de très bons résultats, de personnes qui vont le mieux réussir à l’université. Ainsi, par cette survalorisation de l’image, et à cause de la demande implicite des parents pour que ce genre d’établissements existe, le rôle de l’enseignant apparait comme extrêmement important. Auprès des parents, en conseils de classe, et par rapport à lui-même et à sa façon de coter…
2. Les acteurs : les élèves, les professeurs et les familles
2.1. Les élèves
Connaître les jeunes et leurs sensibilités pourrait-il permettre de mieux leur enseigner ? Deux problèmes sont ici principalement visés. Le premier, c’est celui de la différenciation entre les élèves. Le second, celui de leurs nouvelles sociabilités.
La différenciation entre élèves est fort pratiquée. Groupes de niveaux, « filles littéraires » et « garçons scientifiques », « élèves à problèmes »… sont des considérations omniprésentes. Or, il se trouve que selon la pression, selon son image de soi et l’image qu’il croit qu’on lui appose, l’élève aura une performance tout autre. Certaines positions de départ sont incompatibles avec les tâches demandées. Dans ce contexte, le professeur a un rôle primordial : celui de ne pas renforcer les différences qui pourraient compromettre la réussite de ses élèves.
Les nouvelles sociabilités des lycéens (cf. notamment Mediappro) : l’usage du gsm, d’Internet ; l’importance des relations entre amis et les amours avant tout (et attention, un ami, ce n’est pas nécessairement celui auprès de qui on est assis en classe !) sont des choses qui ne sont pas si anodines que ça. En effet, la socialisation à l’école est si importante pour les jeunes qu’une intégration faible est une cause importante de décrochage. Les élèves ne défendent pas vraiment de cause commune, ils ne s’impliquent pas « citoyennement », mais partagent plutôt des accords tacites par rapport à la fraternité, à l’amitié : ce sont les rapports informels, de proximité, qui comptent. Il y a donc un décalage flagrant entre la vie concrète des lycéens, leurs valeurs, et celles qu’on leur demande d’appliquer (citoyenneté). Ainsi, s’ils jouent le jeu, ils n’en acceptent néanmoins pas nécessairement les règles. Là encore, le professeur pourrait agir pour donner du sens à ces objectifs, ainsi que la compatibilité avec leurs valeurs.
2.2. Les enseignants
Cette partie traite principalement de la relation didactique et de ses contraintes, ainsi que des « stratégies adaptatives » mises en place par les professeurs pour y faire face. Le lecteur avisé l’aura décelé : s’il y a bien un terme à retenir de ce chapitre, voire de l’ouvrage, c’est bel et bien le mot « adaptation ».
L’enseignant se trouve en effet dans une situation d’incertitude, d’urgence, au point que V. Troger n’hésite pas à les appeler des « bricoleurs du savoir ». Dans les familles, on favorise le dialogue au détriment de la sacro-sainte autorité immanente des adultes ce qui fait que les professeurs ont aujourd’hui des comptes à rendre : ils doivent se justifier et se légitimer, ainsi que leur matière. La massification, déjà évoquée, contribue elle aussi à ce phénomène. En outre, la société devient de plus en plus exigeante en termes de résultats, de performances. De plus, face à une croissance exponentielle des savoirs (donc un alourdissement des programmes) et le combat contre l’échec scolaire, l’enseignant a une responsabilité grandissante qui fait dire à l’auteur :
[…] Ces évolutions peuvent se résumer en une sorte d’injonction paradoxale : obtenir de meilleurs résultats avec un public moins docile et plus hétérogène
TROGER, V., « Enseignants : professionnels ou bricoleurs du savoir ? » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 97.
Quelles sont les solutions envisagées par rapport à cette épée de Damoclès ? Tout d’abord, anticiper, via les préparations de cours (en fonction du niveau, des comportements, des programmes, du nombre d’élèves, des ressources…). Les tâtonnements permettront de vite se réadapter. La mise en œuvre en classe doit se faire ensuite en prêtant attention à la fois à la classe (discipline), à l’apprentissage des élèves et au contenu que l’on enseigne. Pour cela, il est proposé d’établir des « routines de travail », soient des cadres réguliers d’actions permettant à chacun de se retrouver dans la relation didactique. Des règles préalablement établies, un contrat et le rappel de ces derniers permettent de faciliter la vie en classe.
Le problème de l’ennui se pose alors : lorsque l’on trouve des « routines efficaces », ne tombe-t-on pas dans la répétition ? D’autant que les programmes, canevas supplémentaire pesant sur le professeur, sont une contrainte à respecter aussi. En bref, il n’y a pas de réponse toute faite, mais il faut être bien conscient que cela se joue dans une perpétuelle remise en cause, dans une préparation et dans un ajustement toujours actualisés.
Malheureusement, face à ses exigences et des élèves parfois difficiles, on constate que les professeurs élaborent des « stratégies de survie », soit des logiques réactives et non proactives, c’est-à-dire « des pratiques qui visent à occuper les élèves pour maintenir l’ordre à tout prix, mais dont on peut objectivement considérer qu’elles consistent en un renoncement à améliorer leur niveau scolaire » (VAN ZANTEN, A., « Jeunes profs : la fin des grands idéaux », in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 112).
Ces impératifs sont sans doute d’autant plus mal supportés que le jeune professeur doit faire le deuil difficile du savoir savant de l’université. En effet, selon M. Fournier, la plupart des jeunes enseignants considèrent qu’« enseigner consisterait dans une sorte de jubilation commune, à faire partager ses connaissances à des élèves assoiffés de savoir, admiratifs et reconnaissants envers leur maître et désireux de se hisser à son niveau » (FOURNIER, M., « Professeur : le plus beau métier du monde ? » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 104). Or, répétons-les, les difficultés sont majeures : dialogue privilégié dans les familles, image dégradée de l’enseignant, changements de programmes, diversification des publics (et donc des intérêts), etc.
La citation suivante illustre bien le problème, qui me semble primordial :
J.-P. Obin conclut à la pérennité d’une identité professionnelle des professeurs du secondaire « marquée par le modèle universitaire » : « L’exposé magistral bien construit, le propos clair et brillant, les ‘‘connaissances de haut niveau’’ restent des références dont la valeur symbolique apparait encore bien supérieure à celle des pédagogies actives et des méthodes permettant aux élèves d’étudier de façon autonome ».
FOURNIER, M., « Professeur : le plus beau métier du monde ? » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 107.
On reste par ailleurs dans un modèle de communication réducteur, où le professeur, détenteur du savoir le transmet de façon linéaire et descendante à ses élèves, purs réceptacles, sans aucune interaction.
M. Fournier donne son point de vue très clairement dans les lignes qui suivent (notez le parallèle avec Les 3 étapes de l’apprentissage et le concept de constructivisme) :
Quand bien même cela serait possible, le professeur ne peut plus déverser son savoir tranquillement dans la tête de ses élèves, mais doit aider chacun à construire ses connaissances, ce qui l’oblige à différencier ses méthodes pédagogiques selon les élèves, à descendre de son estrade et à se pencher au-dessus de l’épaule de chacun.
FOURNIER, M., « Professeur : le plus beau métier du monde ? » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 108.
2.3. La famille
La différence entre les familles et les inégalités présentes dans la société doivent faire prendre conscience au professeur qu’il a un rôle à jouer par rapport à l’égalité des chances. Certains sont privilégiés. Il convient donc de pratiquer la différenciation pédagogique, soit d’accorder une attention spécifique aux élèves en difficulté, tout en donnant suffisamment de quoi nourrir les esprits les plus accommodés au système. Le débat et les tensions sont infinis, tant la responsabilité des familles et des écoles sont mises en cause par le pôle opposé. Quel est, dès lors, le rôle de l’école ?
3. Le(s) rôle(s) de l’école, entre savoirs et valeurs
L’école, nous l’avons vu, se trouve à la croisée des différentes mutations de la société. Revenons principalement sur le rapport au savoir en milieu populaire : les écoles sont là pour apprendre à l’élève, elle est responsable ; c’est sa tâche que de « bien apprendre », de manière pertinente, concrète. On retiendra donc un principe fondamental par rapport à ce rapport utilitariste, par rapport à la « vrai vie », à la pratique quotidienne : il faut toujours « associer une expérience et un principe » (CHALLAT, B. « Le rapport au savoir en milieu populaire », in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 154). Si l’élève ne voit pas la dimension concrète d’une théorie, d’un concept, il n’y trouvera pas non plus d’intérêt. C’est ça aussi que révèle l’approche par compétences.
Les savoirs scolaires sont d’ailleurs extrêmement critiqués ; certains savoirs (maths, latin, philosophie en France…) ont toujours été plus valorisés, marqués par le prestige, que d’autres. Or, comme le dit M. Onfray : « L’épreuve [bac philosophique] sanctionne les docilités nécessaires à la reproduction sociale et se contente de sélectionner l’élève » (ONFRAY, M., in Libération (journal), le 18/06/01). De plus, la séparation entre les disciplines elle-même se trouve remise en questions : on recherche davantage l’interdisciplinarité, la pluridisciplinarité afin de donner sens aux apprentissages, de ne plus transmettre des savoirs décontextualisés, déconnectés du réel.
Conclusion
Il ressort de cet ouvrage que selon ces mutations, l’enseignant contemporain est appelé à montrer le sens concret et la légitimité de sa matière, à la partager (plus qu’à la transmettre) de manière humble à son public, tout en variant les méthodes et en prêtant attention à chaque individu, ainsi qu’à être prêt à s’ajuster perpétuellement aux situations qu’il va vivre.
ANNEXE 1 (pour aller plus loin…) : plan du livre
Introduction
– De l’école républicaine à l’école démocratique. Martine Fournier
– La sociologie de l’éducation en France. Vincent Troger
Première partie : LES EVOLUTIONS DU SYSTEME EDUCATIF
– Les trois grands modèles scolaires en Europe. Marcel Crahay et Arlette Delhaxhe
– L’Ecole républicaine en débats. Martine Fournier
– Ecole, qui décide ? Vincent Troger
– Universités françaises : une autonomie limitée. José Rose
– La formation professionnelle des jeunes en question ? Vincent Troger
– Évaluer le système éducatif. Martine Fournier
– Points de repère : * Le système scolaire en France * La massification en chiffres * Qui pilote les universités françaises ? * Les systèmes éducatifs en Europe
Deuxième partie : LA MONTÉE EN PUISSANCE DES ACTEURS
– Bon ou mauvais élève ? Pascal Huguet
– Les nouvelles sociabilités des lycéens. Patrick Rayou
– Enseignants, professionnels ou bricoleurs du savoir ? Vincent Troger
– Professeur : le plus beau métier du monde ? Martine Fournier
– Jeunes profs : la fin des grands idéaux ? Entretien avec Agnès van Zanten
– Vices et vertus de la famille. François de Singly
– Points de Repère : * Les nouveaux étudiants : des publics plus diversifiés * Public, Privé : des stratégies différentes selon les milieux sociaux * Collèges et lycées : une foule d’acteurs en interaction
Troisième partie : TRANSMETTRE DES SAVOIRS ET DES VALEURS
– La citoyenneté à l’école : mutations croisées. François Dubet
– Le rapport au savoir en milieu populaire. Entretien avec Bernard Charlot
– Les savoirs scolaires sous le feu des critiques. Jean-Louis Derouet
– La fabrication des disciplines. Martine Fournier
– Programmes scolaires : débats et polémiques. Martine Fournier
– « La laïcité n’est pas la nostalgie … » . Entretien avec Jean Baubérot
– Points de repère : * Les savoirs, de la Bible à Internet * Savoirs scolaires : le regard des sociologues * Qui fait les programmes scolaires en France ?
Quatrième partie : ENJEUX ET DEBATS
– L’école peut-elle réduire les inégalités ? Marie Duru-Bellat
– Le bac pour tous… et après ? Stépahe Beaud
– La réussite des filles à l’école. Trois interprétations sociologiques. Catherine Marry
– La mixité scolaire en question. Martine Fournier
– Violence scolaire : la révolte des vaincus ? Entretien avec François Dubet
– Points de repère : * L’école est-elle démocratique ? * Les Comparaisons internationales
ANNEXE 2 (pour aller plus loin…) : questions ouvertes, polémiques, débats et tensions
Le dernier chapitre du livre reprend les grands débats et enjeux du livre. Reprenons ici quelques axes de tension :
– L’école peut-elle réduire les inégalités ? Est-elle plus un moteur de socialisation (Durkheim) ou reproduit-elle (voire renforce) les injustices (Bourdieu) ? Des inégalités fabriquées par l’école existent en effet : l’inégalité des résultats augmente au fil des années pour les élèves qui manqueraient des acquis de base (voire des pré requis comme la langue) ; inégalités entre les classes, entre écoles, etc.
Les cadres sont surreprésentés dans les associations de parents d’élèves
DURU-BELLAT, M., « L’école peut-elle réduire les inégalités ? » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 203.
L’école n’est-elle par conséquent pas instrumentalisée pour avantager leurs enfants ? Les décisions scolaires profitent inégalement aux différents élèves : l’école est-elle le champ de bataille des parents ?
– Les études longues sont-elles devenues une norme scolaire et sociale ? N’est-on pas dans une société qui dénigre le technique et le professionnel ? N’en a-t-on pas pourtant besoin ?
– Les filles réussissent de mieux en mieux les hautes études depuis qu’elles leur sont ouvertes, s’avèrent même globalement plus travailleuses que les garçons. Cela pose les questions des ségrégations par domaines, par filières (maths-latin…) et tous les préjugés implicites que l’école contribue à colporter.
– De plus :
Affirmer que les élèves sont libres et responsables de leurs actes, que l’école fait tout pour leur réussite, c’est rendre les individus coupables de leurs échecs
DUBET, F., « Violence scolaire : la révolte des vaincus » in FOURNIER, M. et TROGER, V., Op. cit, p. 232.
Cela résume bien la perversité d’un système qui crée des « vainqueurs » et des « vaincus ». Cela n’expliquerait-il pas des réactions violentes comme le décrochage et une certaine forme de « guerre » face à la société/à l’école ? Question plus large de la stigmatisation (voir également Serge Paugam – La disqualification sociale)… D’autant plus que l’on vit, selon les différents auteurs de cet ouvrage, dans une société marquée par « l’idéologie du mérite ».
– Quelques tensions enfin :
- Que transmettre ? Science versus valeurs, savoirs versus compétences, savoirs disciplinaires versus culture commune…
- Comment transmettre ? Cours magistral versus méthodes actives, savoir savant versus savoir enseigné, question des situations-problèmes…
- « Transmettre » versus un point de vue constructiviste, dans l’interaction…
… Des tensions, bien plus que des oppositions !