Autrefois, pour un travail scolaire, nous nous rendions à la bibliothèque ou dans un centre de documentation, et nous nous faisions aider par des professionnelles et professionnels pour nous renseigner à propos d’une thématique. Désormais, face à la masse d’information (et de désinformation, ou même d’erreurs involontaires) en ligne, nous sommes davantage livrées et livrés à nous-mêmes et/ou nous devons trouver d’autres balises pour déterminer à quoi nous fier. Faut-il obliger les élèves à trouver de la documentation au format papier [*] ?
Je découvre encore le cas d’un professeur qui exige que ses élèves trouvent d’office leurs sources en format papier, sans leur apprendre à trouver des sources numériques fiables.
Au premier abord, je trouve cela dommage, dans la mesure où des œuvres physiques existent aussi désormais en format numérique. De plus en plus de livres écrits par le passé sont numérisées, les œuvres récentes le sont quasiment systématiquement, les revues scientifiques diffusent aujourd’hui leurs productions en ligne, etc.
De surcroit, cela entretient l’idée que ce qui existe au format papier serait d’office plus fiable que ce qui existe sur Internet. Or, ce n’est pas parce qu’une chose est écrite dans un livre que c’est véridique. Wikipédia, par exemple, n’a quant à elle rien à envier à des encyclopédies non-numériques, a fortiori pour peu que l’on sache l’utiliser correctement. Au XVIIIe, l’Encyclopédie, qui avait pour prétention de compiler l’ensemble du savoir de l’époque, était truffée d’approximations, de connotations idéologiques et de contenus faux.
En même temps, je comprends la raison de cette consigne. En effet, il me semble important de sensibiliser les élèves à d’autres types de pratiques que celles auxquelles ils pourraient avoir recours intuitivement. Il s’agit de contrebalancer des usages documentaires spontanés, et de leur montrer que ça a encore du sens de s’adresser à des professionnelles et professionnels de la documentation, par exemple. Naviguer dans l’information, la catégoriser, c’est un métier (voire plusieurs). Ajoutons qu’il s’agit de lutter contre une idée reçue répandue selon laquelle tout le savoir serait disponible online. Il est faux de croire qu’absolument toute la connaissance figure sur Internet : non seulement toutes les œuvres n’ont pas été numérisées, mais en plus il n’est pas toujours possible de les consulter en ligne, et le concept-même de connaissance exhaustive a peu de sens (sachant toutes les questions encore non-résolues, entre autres raisons).
Toutefois, je ne peux m’empêcher de juger cette démarche peu pertinente, d’autant plus en cette période où la consultation d’œuvres en format papier est rendue difficile, voire risquée, entre autres d’un point de vue sanitaire. Dans l’absolu, je trouve que cela garde du sens de ne pas négliger des œuvres hors-Internet, bien sûr. Je m’interroge néanmoins par rapport à des familles et des contextes dans lesquels les enfants n’ont pas la possibilité d’être accompagnés et épaulés dans une démarche de recherche documentaire, notamment par leurs parents. Ceci favorise-t-il l’exercice d’une pensée critique autonome ou ne contribue-t-il au final qu’à récompenser les enfants dont les parents se sont le plus décarcassés (et donc une forme de reproduction des inégalités socioculturelles) ?
Je pense enfin que pas mal d’enseignantes et enseignants se sentent en réalité démunies et démunis face aux nouvelles pratiques de recherche d’info des jeunes. Les compétences informationnelles et documentaires des adultes sont loin d’être homogènes (cf. notamment La critique schizophrénique des médias sociaux (2018) et T’as laissé ton « esprit critique » au placard ! (2017)). Comment faire pour favoriser une culture de la citation plutôt que le plagiat ? Comment aider les jeunes à séparer le bon grain de l’ivraie quand nous-mêmes nous éprouvons des difficultés à le faire ? Comment transmettre des compétences info-documentaires par rapport auxquelles nous ne nous sentons pas totalement au clair, alors que ces attentes pèsent implicitement sur nous ?
En somme, je ne pense pas qu’il faille cesser d’inciter les élèves à se renseigner autrement que par Internet. N’est-ce pas une des fonctions de l’école que d’éveiller les jeunes à mettre à distance leurs représentations et leurs pratiques spontanées, de les inviter à prendre le temps d’en explorer d’autres (cf. skholè) ? En même temps, dans cette logique et depuis plus de 10 ans (notamment mon mémoire en 2009), il me tient à cœur de partager des méthodes concrètes pour développer un regard critique sur l’information, notamment en ligne.
Pour aller plus loin à ce sujet, je vous invite à consulter : Critique de l’info : l’outil ultime (2020).
[*] Jean-Luc Sorée me fait penser que le mot « support » aurait été vraisemblablement plus adapté pour formuler cette problématique que le mot « format ».