L’être humain est-il fondamentalement « bon » ou « mauvais » ? Existe-t-il des individus naturellement « gentils » et d’autres naturellement « méchants » ?
Dans cet article, nous développons l’idée qu’une approche morale « essentialiste » de l’humanité comporte intrinsèquement des risques de dérives si elle est utilisée à des fins d’organisation sociale. Autrement dit, il s’agit de montrer les enjeux d’adopter une posture existentialiste « par défaut » à l’égard des individus.
Qu’est-ce que l’essentialisme ?
L’essentialisme considère que les choses et/ou les hommes peuvent être appréhendés en fonction d’une « nature », d’un « fond » permanent, qui ne change pas, une identité « fixe » en quelque sorte. L’essence constitue l’ensemble des éléments constitutifs d’une chose.
Selon une approche essentialiste « forte », il existerait donc une « nature » humaine. Pour certains essentialistes, comme Rousseau, « l’être humain est bon par nature ». Pour d’autres, comme Hobbes, « l’homme est un loup pour l’homme » (l’être humain est par nature belliqueux, égoïste…).
Par convention, dans la suite du texte, nous distinguons un essentialisme que nous appellerons « fort », un essentialisme « faible » et un essentialisme « minimaliste ».
Essentialisme « fort » : « tous les humains ont telle caractéristique commune innée, par nature. Tous les humains sont fondamentalement bons / mauvais (dès la naissance) ».
> Une caractéristique immuable innée commune à tous les humains.
Une vision essentialiste « faible » consiste à considérer que certains êtres humains sont « bons » par nature, tandis que d’autres sont « mauvais » par nature. Certains naissent « anges », d’autres naissent « démons ». C’est inné, c’est comme cela.
Essentialisme « faible » : « les humains peuvent être catégorisés en fonction de différentes caractéristiques innées, par nature. Certains humains sont fondamentalement bons. Certains humains sont fondamentalement mauvais ».
> Différentes caractéristiques immuables innées, permettant de différencier les humains entre eux.
Une vision essentialiste « minimaliste » consiste à considérer que certains êtres humains, arrivés à un certain stade de leur « développement personnel » sont devenus « bons » ou « mauvais » une fois pour toutes. On ne peut plus les changer, « ils sont comme cela » désormais. Un criminel reste un criminel, par exemple.
Essentialisme « minimaliste » : « les êtres humains peuvent acquérir définitivement certaines caractéristiques qui constituent leur identité profonde. Certains humains deviennent plutôt bons, d’autres plutôt mauvais : cela devient leur identité ».
> Différentes caractéristiques immuables acquises, permettant de différencier les humains entre eux.
Dans l’absolu, ces positions philosophiques ne sont ni réfutables, ni démontrables (même si l’on peut argumenter en leur faveur ou en leur défaveur).
Néanmoins, au niveau moral (bien – mal) et appliquées en politique, les approches essentialistes posent de sérieux problèmes. En effet, si l’on considère que les êtres humains sont « gentils » ou « méchants » par nature, ou même en un sens minimaliste que certains humains peuvent devenir mauvais une fois pour toutes, cela ouvre la voie à des politiques de plus en plus sécuritaires, arbitraires et totalitaires.
Des cas d’essentialisme intrinsèquement problématiques
Essentialismes « forts »
Les essentialismes « forts » posent de sérieuses difficultés en termes de liberté et de responsabilité humaines. En l’occurrence, si nous sommes toutes et tous « bons » ou « mauvais » par nature, pouvons-nous y faire quelque chose ? Pouvons-nous nous affranchir de ces déterminations, ou simplement les « subir » ? Si un ange reste un ange et un démon reste un démon, dès lors l’action humaine est définie à l’avance et nous ne pouvons rien y changer. Se pose également la question de la responsabilité individuelle, si notre « nature profonde » ne dépend pas de nos actes, de nos choix, mais est déterminée dès la naissance, à moins de considérer que cette « nature » est en réalité très « souple » et finalement pas si « déterminante » que cela.
En d’autres termes, ces approches – y compris un essentialisme rousseauiste – ont donc un côté pessimiste, fataliste, sauf à considérer qu’ils ne soient pas des essentialismes « absolus » et que les êtres humains peuvent changer, collectivement et individuellement, notamment à travers la civilisation, la culture, etc. De fait, si l’être humain est très « vulnérable » au changement, sa « nature » est-elle véritablement déterminante ?
Autrement dit, un essentialisme « fort » présuppose que nous sommes déterminés une fois pour toutes (ou alors il rejoint une forme d’existentialisme qui postule que nous ne sommes finalement pas si déterminés que cela). Nous ne pouvons par conséquent rien faire (qui ne soit pas pré-inscrit en nous) pour « mieux agir », pour rendre le monde « meilleur », par exemple. Peu importe donc l’action humaine, la politique, l’éducation, le social… Nous ne serions au final que des pantins, déjà « préformatés », donc rien n’aurait de sens, cela ne sert même à rien d’en discuter. Nous n’aurions aucun réel pouvoir là-dessus. En termes d’ouverture à l’action, l’essentialisme « fort » est celui qui permet le moins d’exercer notre humanité : tout étant déjà écrit, il n’y a rien que nous puissions faire.
Questions de liberté – Questions d’éthique
Essentialismes « faibles »
Y a-t-il des individus fondamentalement « mauvais », ou « irrécupérables » ? Existe-t-il des « monstres » ? Si oui, où est la frontière entre les humains et les monstres (ou du moins des humains « inférieurs », intrinsèquement « plus ou moins bons » que d’autres) ? Que faire avec ces derniers ? Quels sont les impacts de ce questionnement ?
Les différents types de racisme sont, à la base, des essentialismes « faibles ». Ils considèrent qu’une race est par nature supérieure à une autre. S’il y a des individus que l’on peut caractériser comme étant des « sous-humains », de moins bons humains, pourquoi ne pas les asservir (les êtres humains « inférieurs » devraient être soumis aux êtres « supérieurs ») ou s’en débarrasser ? L’idéologie nazie s’appuie sur de telles considérations, de même qu’elles ont pu servir de justification de l’esclavage, par exemple.
Notons qu’il existe des faits d’ordre biologique, par exemple, qui contredisent non seulement la « supériorité » d’une race sur une autre, mais aussi plus largement la pertinence de la notion de race pour parler des humains (cf. Race humaine (Wikipedia)), voire de l’ensemble des espèces d’un point de vue scientifique (cf. Race (Wikipédia)).
Autrement dit, considérer qu’une race est supérieure à une autre par nature est erroné, en plus d’être moralement dommageable. Nous pensons que les dérives totalitaires ne sont toutefois pas uniquement le fruit d’un type d’essentialisme en particulier (ici, le racisme), mais que l’essentialisme en tant que tel peut générer de telles dérives.
(Notons qu’adhérer à la théorie de l’évolution des espèces, par exemple, n’implique pas nécessairement d’adopter une forme d’essentialisme en morale).
A un niveau politique, le nationalisme se fonde souvent sur ce type d’essentialisme hiérarchisant moralement les peuples : « par nature, notre nation est supérieure aux autres ». Il en est de même des communautarismes : « par essence, une communauté est meilleure que les autres ».
L’eugénisme est également un essentialisme « faible », qui a lui aussi donné lieu à des applications politiques abjectes. Cette doctrine considère qu’il y a des êtres humains « supérieurs » génétiquement parlant. Selon une telle perspective, les personnes en situation de handicap ou souffrant de maladies incurables feraient partie d’une catégorie de population « déficiente ». Sur base de caractéristiques apparentes, physiques notamment, l’essentialisme moral donne une « valeur » aux gens : certains sont « meilleurs » et d’autres « moins bons ». L’identité individuelle est réduite à une particularité et évaluée, échelonnée moralement, en fonction de ce critère. De nouveau, les applications politiques sous-jacentes à une telle manière de voir les choses ont déjà pu être observées : élimination des « faibles », soumission d’individus à d’autres, exclusion sociale…
Le sexisme est un exemple supplémentaire d’essentialisme « faible ». Le sexisme considère que les différences physiologiques justifient nécessairement des différences psychologiques ou comportementales. A un niveau d’organisation sociale, il est générateur d’inégalités : situations de domination, violences, de discriminations, amenuisement des libertés par des normes (« les hommes doivent être comme ceci, les femmes doivent être comme cela »), etc. Les individus sont donc réduits à des rôles, des manières d’agir. Cela réduit leur liberté et permet de justifier des traitements inéquitables.
De nombreuses autres discriminations sont liées à des formes d’essentialisme moral, comme par exemple les discriminations sur base de l’orientation sexuelle. Concrètement, sur base d’une caractéristique donnée (la préférence sexuelle), là encore, il s’agit d’inférer un jugement normatif sur ce qui est « mieux » ou « moins bien ». Non seulement, l’orientation sexuelle « naturelle » correspondrait à l’orientation hétérosexuelle, mais en plus, cette orientation « naturelle » serait meilleure que les autres (argument fallacieux de l’appel à la nature). De nouveau, en plus d’être fausse sur un plan factuel (il y a d’autres formes de sexualité, y compris dans le monde végétal et animal), cette croyance participe à une forme d’essentialisme qui en soi est problématique. Il détermine a priori des catégories d’êtres plus ou moins bons « par nature » et de ce fait justifie des inégalités et des actes de violence notamment.
Continuons encore en parlant d’exclusion sociale, de QI (la « douance ») ou encore de « mauvais élèves ». Typiquement, l’image du « cancre » est celle du « bon à rien » par nature. Il est intrinsèquement « inférieur » : « on ne pourra rien en faire ». Ainsi, c’est celui que l’on coiffe du « bonnet d’âne ». Certains seraient naturellement intelligents, doués, ou au contraire sous-doués. Ces manières de voir le monde ont malheureusement tendance à se muer en prophéties autoréalisatrices, c’est-à-dire qu’en collant une étiquette à une personne et en se comportant avec elle en fonction de cette étiquette, il est globalement plus difficile pour elle de se comporter autrement. Autrement dit, dans les faits, cette manière de réduire les gens à une « nature » plus ou moins bonne renforce l’exclusion et l’échec de certains enfants ou adultes.
L’identité et l’essence : deux notions problématiques
Stigmatisation : on imagine qu’un élève qui a des difficultés à l’école est « un mauvais élève ». On lie ça à son identité : il ne peut donc pas changer. Il est mauvais et restera toujours mauvais. Ce type de jugement est souvent ressenti par la personne stigmatisée, étiquetée, et des études (Goffman, Paugam) attestent des conséquences néfastes que cela peut avoir (cercle vicieux vers de plus en plus d’échec). Une étude suggère par exemple que le stéréotype selon lequel « les filles sont moins bonnes en maths que les garçons » impacte négativement les résultats des femmes confrontées à ce stéréotype à un test de mathématiques jugé « difficile ». Il en va de même pour les personnes « pauvres » (qui sont en statut de pauvreté), ou encore les personnes « criminelles » (qui ont commis des actes criminels), auxquelles on colle implicitement l’étiquette « tu es comme ça (et ton identité se réduit à cette dimension), tu ne changeras pas ». Cf. également : labelling theory, effet Pygmalion (ou effet Rosenthal et Jacobson), Quelques regards sur l’exclusion sociale.
> Cf. aussi Qu’est-ce que l’intelligence ?
Prenons enfin un cas plus complexe à « délier » d’un essentialisme moral : les « criminels ». Très concrètement, une approche que nous qualifions ici d’essentialisme faible considère que les personnes qui commettent des crimes sont par nature criminelles. C’est inscrit dans leur identité. Le problème d’une telle approche, c’est qu’elle omet tout un tas d’autres variables qui expliquent la criminalité (même si ces variables explicatives ne l’excusent en rien) : l’histoire familiale, les inégalités sociales, l’influence d’autrui… Une ironie est que lorsque l’on juge quelqu’un pour un crime, celui-ci est mis en prison (les humains moralement déficients sont écartés de la société, à défaut d’être éliminés), or de nombreuses études ont montré combien un certain type d’univers carcéral pouvait renforcer les tendances criminelles de certains individus. C’est le cas aussi de la radicalisation extrémiste violente. Dans pas mal de cas, une approche purement essentialiste de la criminalité aboutit donc à des mesures contreproductives.
Le cas du harcèlement scolaire (Université de Paix asbl, 2017)
Dans l’imaginaire collectif, le « harceleur » est un « sale gamin », criminel en puissance. Il y a une approche simple et caricaturale qui voit dans celui qui harcèle un « méchant » : il a moins d’empathie, il aime faire souffrir, il va à l’encontre des lois et aime mettre le désordre. Aucun parent ne voudrait que son enfant soit auteur d’intimidations envers un autre individu.
Or, on pourrait se demander s’il existe des profils d’intimidateurs, et si ceux-ci sont davantage prédestinés à devenir des criminels à l’âge adulte. Pour Dan Olweus, les faits de harcèlement scolaire constituent un indicateur prédictif de la criminalité future d’un individu. L’ennui est que ceci est une prophétie autoréalisatrice : lorsque l’on étiquette ou stigmatise des individus ou catégories d’individus, ceux-ci ont tendance à se conformer à leurs étiquettes. Ceci est un phénomène bien connu en psychologie, en sociologie, en psychologie sociale…
Les observations actuelles ont plutôt tendance à montrer qu’il n’existe pas un profil-type de harceleur, si ce n’est en fonction de variables contextuelles (place dans le groupe, climat de classe, etc.). Il existe des individus intimidateurs qui ont un parcours scolaire exemplaire, qui sont engagés pour des causes bienfaisantes, etc. De ce fait, en réalité, voir en eux des criminels potentiels ou avérés aurait un effet plus contreproductif qu’autre chose. Dans Les conduites déviantes des lycéens (2000), Robert Ballion montre d’ailleurs que les sensibilisations moralisantes ont un effet négatif quant aux addictions aux drogues. Voir dans la jeunesse des « violents » ou « drogués » potentiels et s’adresser à elle sur cette base n’est donc pas efficace, au contraire.
Nous pourrions multiplier les exemples en parlant des forts et des faibles, des beaux et des moches…
Attention, tous ces propos ne remettent aucunement en cause l’existence de différences individuelles parfois constitutives, au contraire. Le problème consiste à croire que ces différences sont naturelles et immuables (quand dans la plupart des cas c’est faux), de les connoter moralement et de déduire de tout cela des mesures qui stigmatisent, discriminent, justifient des violences…
L’identité selon Brubaker
Le discours politique a parfois intérêt à « convaincre les gens qu’ils ne font qu’un ; qu’ils constituent un groupe fermé, spécifique et solidaire […], c’est là une partie normale et nécessaire de la politique, et pas seulement de ce que l’on appelle d’ordinaire la « politique identitaire » », nous dit Rogers Brubaker (BRUBAKER Rogers, traduit par JUNQUA Frédéric, 2001).
Le politicien a pour objectif de rassembler les personnes afin de les persuader à une certaine action ou à adopter un certain point de vue. Son but est de mobiliser les gens « sous un même drapeau », pour soutenir ses décisions.
Cette approche de l’identité est très courante. Nous l’abordons comme une sorte de « profil-type », de « fiche signalétique » d’un individu ou d’un groupe. L’identité serait un « noyau dur », correspondant à l’intersection de ces caractéristiques. Nous supposons par là qu’un homme noir, homosexuel et au chômage appartient à un groupe différent qu’une femme blanche, fonctionnaire et hétérosexuelle.
En bref, l’identité serait déductible des particularités sexuelle, de classe, religieuse, ethnique… La grande erreur, c’est de croire que nous sommes face à une classification purement objective, qui permettrait d’analyser les comportements ou idées de tout un ensemble de personnes. Ces catégories de pratiques, qui sont le fruit de l’action quotidienne ou politique de manière très située, à un moment donné, ne doivent pas être considérées comme des « catégories d’analyse ». La dérive, c’est d’utiliser ces notions de race, de sexe, de classe sociale, etc. pour expliquer [et juger] de manière systématique des façons d’être et de penser des personnes ou des groupes à qui l’on « attacherait » ces étiquettes. En d’autres mots, le problème consiste à réifier ces catégories, c’est-à-dire à en faire des ensembles purement objectifs, figés, bien délimités, et à y « classer » les gens pour expliquer leurs manières d’être. En effet, l’histoire nous montre que ces catégories sont relatives, et non pas absolues.
L’identité au sens fort, c’est le noyau dur, la pierre. Elle fait référence à un aspect central de l’individu ou du groupe. Cela peut être une similitude fondamentale, partagée ou éprouvée, par les membres d’un groupe. C’est un caractère solide, qui ne s’altère jamais. C’est ce qui est profond. C’est le tronc de l’arbre, qui reste le même quelles que soient les saisons, alors que ses fruits et ses feuilles poussent ou tombent. Cette conception de l’identité est celle dite « essentialiste ». Cette vision des choses suppose que nous avons tous en nous quelque chose de permanent, qui subsiste malgré tous les changements. Quand nous disons à quelqu’un après plusieurs dizaines d’années qu’il est « toujours resté le même », nous présumons qu’il y a « en lui » quelque chose qui n’a pas changé et qui ne changera sans doute jamais.
C’est cela l’approche « réifiante » de l’identité, celle qui attribue des façons d’être et des façons de faire fondamentales à une catégorie de personnes. Par ce biais, on peut affirmer par exemple que « les noirs » ne sont pas ponctuels, que les personnes qui ont un bas revenu sont plus ou moins déviantes, etc. C’est la porte ouverte à des affirmations et catégorisations du type « les noirs homosexuels qui sont au chômage risquent plus de commettre un crime que les autres catégories de personnes ». De tels discours sont monnaie courante en politique, mais sont inadmissibles dans le champ scientifique.
Essentialismes « minimalistes »
Les essentialismes que nous qualifions ici de « minimalistes » considèrent que les êtres humains peuvent acquérir des caractéristiques de manière profonde, définissant ainsi qui ils sont une fois pour toutes. Contrairement à une approche essentialiste « faible », il ne s’agit donc pas nécessairement de caractéristiques « innées », déterminées à l’avance, « naturelles ». Suite aux critiques émises à l’égard de formes d’essentialisme plus fortes, celui-ci admet que l’environnement peut contribuer à « façonner » les individus, mais considère toujours que ceux-ci acquièrent tôt ou tard un « fond » immuable. Comme si, à un moment donné, on atteignait un point de non-retour, souvent avec l’idée qu’il existe des prédispositions à tel ou tel développement identitaire. En d’autres termes, « l’identité » d’une personne reste ici quelque chose d’assez figé, « impossible à changer » à partir d’un certain moment, et que l’on peut prédire.
Les « criminels » et les « radicalisés ». Selon une approche essentialiste minimaliste, on ne nait pas criminel, mais cela n’empêche que l’on peut considérer qu’une fois qu’une personne a commis un crime, c’est désormais une « mauvaise personne », et ça le restera. Il en est de même pour les individus « radicalisés ». Là encore, il s’agit de les éliminer ou au moins de les isoler du reste de la société. Ce sont devenus des monstres irrécupérables.
A noter que cette manière de voir les choses est plus perméable à la nuance qu’une approche essentialiste plus « dure ». En effet, si des individus lambda ont pu devenir des « monstres », pourquoi des monstres ne pourraient-ils pas (re)devenir des individus lambda ? S’il y a des processus qui aboutissent à transformer les personnes, est-il inenvisageable que l’on puisse faire le chemin dans l’autre sens ? Une réponse essentialiste consisterait à considérer que certains individus sont davantage enclins à devenir des monstres, qu’ils sont davantage que d’autres des « monstres en puissance ». Nous reviendrons sur cette thèse dans la discussion sur l’application politique de celle-ci.
Autre exemple d’essentialisme minimaliste : de plus en plus, des algorithmes sont utilisés pour prédire les comportements des individus, notamment sur base de leurs fréquentations et habitudes. Des apprentis sorciers n’hésitent pas à utiliser ces données (des « signaux faibles ») pour tâcher de prédire des comportements… Et occasionner par ce biais, une fois de plus, des discriminations.
Etre mauvais payeur, c'est contagieux. Un super exemple de gouvernementalité algorithmique pour @arouvroy
Et ça intéresse les banques françaises, beaucoup beaucoup.https://t.co/2CD8Sx2LcC pic.twitter.com/VSYYQEacOS
— Mais où va le web ? (@MaisOuVaLeWeb) January 17, 2018
Dans un autre article, nous développons combien la surveillance de masse et ses principes contribuent à des discriminations, ainsi qu’à des déséquilibres de pouvoirs. Comme le pointent plusieurs observateurs, un problème est que ce fonctionnement est hautement discriminant envers certaines catégories de population plus « fragiles » (voire particulièrement « dominées », des minorités ethniques ou culturelles, par exemple), plus « critiques » envers le système (des manifestants, entre autres), etc.
Les essentialismes « faibles » ou « minimalistes » peuvent être réfutés au cas par cas (ou au moins critiqués quant à leur efficacité fonctionnelle lorsqu’ils guident l’action politique), mais au-delà de leur réfutation particulière, c’est l’essentialisme moral en tant que tel qui pose question : postuler qu’il existe des êtres supérieurs et inférieurs de manière arbitraire implique de facto un traitement inéquitable et/ou amenuisant les libertés des individus.
> [Mise à jour 2020] Cf. cette excellente vidéo à propos de l’essentialisme et son rapport à l’inné/l’acquis, la nature/la culture.
Les dérives de l’essentialisme moral en politique : comment il mène à des mesures iniques et totalitaires
Qu’est-ce que l’existentialisme ?
L’essentialisme pose plusieurs problèmes.
D’abord, nous venons de le voir : certains courants essentialistes absolus ont mené à des dérives dramatiques. De manière moins radicale, ils peuvent mener à des discriminations plus ou moins marquées : « il y a plus de criminels parmi telle catégorie de la population », ou encore à des formes d’égocentrisme.
A une échelle moins large, plusieurs observations scientifiques tendent à montrer l’effet auto-réalisateur des catégorisations.
Mais ce n’est pas tout.
Au sens faible, une approche essentialiste considère que certains individus sont intrinsèquement « mauvais », « dangereux », « inférieurs ». Au sens minimaliste, l’essentialisme moral considère que certaines personnes sont plus enclines à devenir mauvaises ou dangereuses…
Si nous voulons protéger une société de la criminalité / de la déviance, dès lors, selon une approche essentialiste, d’abord, il convient de se débarrasser des monstres qui ont commis des crimes. Dans les sociétés les plus radicales, ces individus sont considérés comme des sous-humains qui méritent la torture et/ou la mort. Ils doivent être éliminés. Dans des sociétés un peu plus soft, on se contente de les mettre à l’écart, de les isoler du reste de la société. Un criminel reste un criminel. Il est intrinsèquement dangereux.
L’essentialisme, qu’il soit fort, faible ou minimaliste, pose la question délicate du « diagnostic » : à partir de quand peut-on considérer qu’une personne est ou n’est pas essentiellement mauvaise ? Il semble périlleux de décider de cela en amont, sur base de caractéristiques indépendantes de l’action de l’individu (par exemple, selon sa génétique). Dans le cas d’un essentialisme minimaliste, qu’est-ce qui détermine le « point de non retour » ? Quand peut-on décider que l’identité morale d’un individu est « acquise » ? A partir de quand peut-on décider qu’une personne est devenue bonne ou mauvaise ? Combien d’actes, de quelle nature… ?
Allons plus loin. Le problème de ce type de politique visant à « se débarrasser des monstres », c’est que ça ne protège pas beaucoup, sauf à considérer que cela a un effet dissuasif efficace dans le cas d’un essentialisme minimaliste. En effet, il ne s’agit que de mesures a posteriori, après que les crimes ont eu lieu.
Par prudence / précaution, protéger la population ou augmenter la sécurité nécessite d’anticiper les crimes. Or, si l’on considère qu’il y a des catégories de gens qui sont par nature criminelles ou enclines à le devenir, dès lors on pourrait très bien envisager de les éliminer ou de les enfermer avant même qu’elles aient commis le moindre crime. A tout le moins, on pourrait les mettre sous surveillance, leur imposer de ne pas fréquenter certains lieux, etc. De nombreux régimes politiques justifient une restriction de libertés de tout ou partie de la population par un objectif d’augmentation de la sécurité. Des phénomènes de ghettoïsation peuvent aussi se produire, ce qui participe généralement au renforcement des inégalités.
Vouloir anticiper les crimes en se débarrassant des monstres potentiels ou en devenir, cela pose déjà un sérieux problème moral : peut-on punir quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas (encore) commis, voire qu’il ne commettra peut-être jamais ? Combien d’innocents soupçonnés d’être des sorciers ont péri par le passé, sous l’inquisition, par exemple ? Combien ont été victimes du « délit de faciès », accusés d’être déviants à cause de la forme de leur crâne ? Peut-on se permettre d’éliminer des innocents pour protéger la majorité de la population, sachant que ce pari risqué n’est même pas nécessairement efficace en ce sens ?
Un parallèle peut être fait avec le « paradoxe de la tolérance » selon Karl Popper. L’essentialisme moral suppose une forme d’intolérance a priori contre une ou plusieurs catégories de population. Pour Popper, une société tolérante implique de ne pas tolérer l’intolérance, de la désapprouver voire de la condamner. En effet, il estime que si l’on donne une chance aux courants « ouvertement intolérants », « ouvertement persécuteurs (contre une ou des catégories de la population) », dès lors ceux qui prônent la tolérance finissent par être écrasés, voire détruits, et la tolérance avec eux. Une société basée sur une intolérance fondatrice ne peut supporter l’idée même de tolérance, et se voue donc quelque part au totalitarisme. Un essentialisme moral qui définirait a priori des catégories de personnes « intrinsèquement mauvaises » porte en lui-même cette intolérance.
Cf. aussi : Karl Popper – Le paradoxe de la tolérance. Source : Pictoline.com. Pour en savoir plus : Wikipédia – Faut-il tolérer l’intolérance ? (Philomag, 2017)
Enfin, historiquement, à chaque fois qu’un régime a tâché d’appliquer une approche sécuritaire tâchant d’anticiper et prévenir les crimes sur des bases essentialistes (surveiller / contrôler / éliminer des catégories de la population), des exceptions sont venues montrer l’inefficacité des mesures prises.
Concrètement, cela n’a jamais permis d’abolir la criminalité. En corollaire du prix à payer (impliquant potentiellement d’éliminer ou restreindre la liberté d’innocents), il y a une infertilité relative.
C’est là que le totalitarisme s’installe de plus en plus profondément.
Imaginons que tous les criminels potentiels sont mis en prison. Le lendemain, il y a un crime commis par une personne en liberté.
Le problème, c’est qu’un système qui en arrive à ce point, en général, ne va pas revenir en arrière, mais au contraire s’entêter dans des mesures de plus en plus radicales : « nous n’avons pas enfermé assez de gens ». C’est ce qui se passe avec les caméras de surveillance. Elles ne permettent pas d’abolir totalement la criminalité, ni même d’ailleurs de punir tous les criminels. Comme ce n’est pas suffisamment efficace, on en rajoute davantage. Les mesures axées sur le contrôle et la privation de liberté de catégories de la population n’arrivent jamais à enrayer toutes les déviances, sauf qu’au lieu de revenir en arrière sur base de ce constat, les décideurs s’obstinent dans ce type de décisions, d’autant qu’en plus celles-ci résonnent avec un certain sens commun.
Eliminons et contrôlons les méchants.
Cela ne marche pas ? Frappons plus fort. Durcissons les contrôles.
Certains criminels passent hors du filet ? Frappons une plus grande partie de la population.
Et ainsi de suite…
Sachant que de telles mesures peuvent en elles-mêmes amener des pans entiers de population à la déviance…
Pour une approche existentialiste (modérée)
Voilà pourquoi nous pensons plus fertile, à un niveau d’organisation sociale, d’opter pour une approche philosophique existentialiste en morale. Plutôt que de dire que l’être humain est bon ou mauvais par nature, ou prédisposé à être l’un ou l’autre, l’existentialisme postule que nous ne sommes rien par nature. Nous sommes indéterminés : ni bons, ni mauvais. De plus, ce n’est pas parce qu’une personne commet des fautes aujourd’hui qu’elle ne peut pas choisir de se définir autrement dans le futur.
Qu’est-ce que l’existentialisme ?
L’existentialisme est une thèse qui dit en bref que l’être humain n’est jamais vraiment « quelque chose » de fini, mais qu’il se construit au fur et à mesure de ses actes. C’est le fameux « l’existence précède l’essence » de Sartre : cela veut dire que notre action humaine précède « qui nous sommes ». Selon l’existentialisme, nous nous définissons au fur et à mesure de nos actes, et nous pouvons toujours choisir d’en poser de nouveaux qui dessinent un chemin différent. Cela veut dire que l’on peut toujours changer, selon notre volonté : chaque individu se fait lui-même [en morale].
[…]
C’est lorsqu’elle observe et commente le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann qu’Arendt développe le concept de « banalité du mal ». L’idée d’Arendt n’est pas de dire qu’Eichmann n’a pas commis des actes atroces ou encore qu’il était juste idiot, mais bien de pointer le fait qu’il n’a pas posé d’acte moral pour se définir autrement. Elle ne banalise pas les actes commis, au contraire. Son questionnement est de comprendre comment un être « banal », « médiocre », a pu commettre des actes qui figurent parmi les plus atroces de l’humanité.
L’enjeu de cette thèse est primordial, parce qu’il remet au centre la question de la responsabilité.
On pourrait dire qu’Eichmann n’était qu’un sale monstre et que de sa bouche ne sortaient que des mensonges (approche essentialiste).
A contrario, on pourrait retranscrire son plaidoyer et se dire qu’effectivement, il a été pris dans un engrenage vicieux qui l’a totalement dépassé, et qu’il n’a fait qu’appliquer les ordres.
Hannah Arendt prend un autre parti, parce que dans ces deux-cas, Eichmann n’est pas responsable de ses actes : c’est juste un diable, un aliéné ou un irresponsable (dans son essence), qu’on peut juste éliminer en espérant qu’il n’y en ait plus d’autres.
Par contre, si on considère qu’Eichmann n’était qu’un homme ordinaire qui n’a pas exercé de jugement éthique, alors on peut aussi tenter de développer les moyens pour éviter que cela se reproduise. Pour Arendt, il est en effet possible d’entrainer son sens moral, de prendre l’habitude de l’exercer.
Lire aussi Etat des lieux de la finitude humaine (en éthique), L’être humain selon le regard d’expériences en psychologie sociale, Introduction à la psychologie sociale, La fragilité des valeurs humaines, L’absurdité : l’être inhumain.
« Au fond, le plus gros problème réside dans ce qui est classiquement connu depuis Hannah Arendt sous le nom de « banalité du mal » […] ; c’est ce principe selon lequel nous sommes finalement tous capables du pire, que les circonstances dans lesquelles nous sommes placés sont pour beaucoup dans nos décisions, et que sans doute notre liberté réelle est moins large que notre liberté philosophique.
[…] si on considère que Michelle Martin est libérable, cela veut dire qu’on pense qu’elle peut changer. Que tout être humain peut changer. Mais si tout monstre peut redevenir humain, ça veut dire aussi nécessairement, dans l’autre sens, que tout être humain peut devenir un monstre. Quel sentiment désagréable, non ? Quelle idée insupportable, même : cautionner la versatilité humaine, ce n’est pas sans risque. N’est-il pas plus soulageant et plus simple que les anges restent anges et les monstres restent monstres, plutôt que d’accepter la nuance qui nous rappelle notre fragilité d’humains en sursis permanent » ?
De Smet, François, Michelle Martin et la banalité du mal 2.0 (chronique radio pour La Première, 2010). Lire aussi Quand Michelle Martin revisite la « banalité du mal » (ou « Michelle Martin est-elle humaine ? »).
Bien sûr, une approche existentialiste « forte » en morale a également des limites. Nous ne pouvons nier totalement des caractéristiques communes à tous les êtres humains et qui ont des influences sur nos actes, comme par exemple notre mortalité, notre corporéité, ou encore à des catégories de population, comme tout ce qui peut de près ou de loin « prédéterminer », aliéner ou du moins baliser nos choix. Plus largement, nous ne pouvons négliger des formes de nécessité qui « balisent » la contingence de l’action humaine.
De plus, que penser de certaines psychopathologies, par exemple ? Quid de ceux que l’on appelle des « psychopathes », dont on ne peut apparemment pas (encore) « soigner » l’esprit ? N’y a-t-il pas malgré tout des êtres humains criminels « par nature » (pervers, sadiques, etc.), « irrécupérables » ? Que dire tout simplement à propos d’habitudes, de schémas de comportements qui se répètent et « s’automatisent » en quelque sorte ?
Néanmoins, si l’on considère qu’il existe des « bons » et des « mauvais » par nature, alors ceux-ci ne pouvaient être tenus responsables de leurs actes. Pas de responsabilité sans liberté. De même, nous avons vu le caractère « autoréalisateur » et enfermant des étiquettes essentialistes. Il y a donc un certain sens à postuler la liberté humaine (de se définir soi-même, de poser des actes « bons » ou « mauvais », de décider de son « identité »).
Dans cette optique, la question n’est plus de savoir si nous sommes libres ou déterminés, mais dans quelle mesure nous le sommes. Quand sommes-nous réellement libres ? Quand avons-nous l’impression de l’être alors que nous sommes aliénés ? Qu’est-ce qui nous empêche d’agir et de nous définir autrement ? Quelles sont les limites à notre volonté (les circonstances, les contextes, les choses que nous ne pouvons choisir…) ?
Comment, enfin, agir sur ces dimensions pour développer un agir plus « humain » ?
Avec une telle approche, nous pouvons augmenter le champ d’intervention politique et sociale et agir sur les contextes, circonstances et processus qui contribuent au fait que des êtres humains se comportent en « monstres ».
Commentaire de Tzitzimitl (Esprit Critique)
Je ne vais pas essayer de faire croire que j’ai lu votre article en entier, je manque de temps, mais j’en ai lu une bonne part, et je suis embêté par un point.
Si j’ai bien compris, j’ai l’impression que dans votre article vous assimilez tout déterminisme à de l’essentialisme, et que vous ne voyez donc comme alternative à l’essentialisme que l’affirmation de la liberté humaine face aux déterminismes (et donc l’existentialisme).
Or, personnellement je suis fondamentalement anti-essentialiste précisément parce que je suis déterministe et je ne crois pas au libre-arbitre.
Pour moi l’essentialisme a plus à voir avec le finalisme qu’avec le déterminisme. L’essentialisme, c’est considérer qu’il y a une forme idéale aux choses, et nous assigner comme but obligatoire de nous y conformer. Et la plupart des essentialistes défendent justement l’idée du libre-arbitre pour expliquer pourquoi les gens peuvent choisir d’aller contre l’essence des choses, faire des actes contre-nature, et donc condamnables. Si l’essence des choses était un destin inéluctable contre lequel le libre-arbitre ne pouvait rien, personne ne pourrait faire des choses contre-nature !
Le déterminisme affirme au contraire que le libre-arbitre est illusoire, non pas parce que la nature aurait un but ou irait dans une direction particulière, mais simplement parce que les événements sont les conséquences logiques des causes qui les précèdent. Nous sommes donc entièrement déterminés, mais à aller dans aucune direction particulière.
Les finalistes et les essentialistes inversent le sens de la causalité : pour eux les conséquences (le but) déterminent les causes. Ou dit autrement, il y a une cause finale (le but), qui détermine des conséquences qui la précèdent.
La nature a pour but final que les choses soient telles que le veulent leurs essences, alors la nature tend à s’y conformer.
Pour les déterministes il n’y a pas de cause finale, les causes précèdent toujours les conséquences et par conséquent la direction que prendront ces conséquences est fondamentalement contingente.
L’essentialisme désigne une « bonne » direction, et accuse les gens qui ne la suivent pas de déviance. Le déterminisme affirme qu’il n’y a aucune direction privilégiée.
Et que de toutes façons nous n’avons pas le choix de prendre d’autres décisions que celles que nous prenons au moment ou nous les prenons, car nos choix sont déterminés par qui nous sommes au moment de prendre la décision, et parce que qui nous sommes est la conséquence logique de ce qu’on a vécu.
On peut se choisir un but subjectivement et le défendre politiquement, et ce choix pourra changer le monde dans la limite du possible. Mais faire des choix n’est pas exercer un libre-arbitre : si on a fait tel ou tel choix, c’est que des causes nous ont déterminé à le faire.
Comme le disait Spinoza : on se croit libre parce qu’on a conscience de désirer et de vouloir, mais on n’a pas conscience des causes de nos désirs et nos volitions.
Bonjour et merci beaucoup pour votre commentaire, ainsi que pour votre travail de vidéaste.
Oui c’est exact : je propose de postuler l’indétermination en philo morale (pas dans l’absolu) au sens où l’on ne serait pas déterminés en amont à être/devenir « bons » ou « mauvais ». Il y a en effet quelque chose de l’ordre de la cause finale là-dedans.
Après, un de mes enjeux est non pas de dire que nous ne sommes pas déterminés dans l’absolu, et certainement pas en reniant un déterminisme biologique. De fait, votre propos sur le glissement entre la prise en compte de causes « mécaniques » (qu’elles soient naturelles ou culturelles) et un essentialisme finaliste est vraiment intéressant.
Ma réflexion consistait également à concilier la prise en compte des déterminations causales de nos comportements avec une approche non-essentialiste. A la base, je ne m’attaquais d’ailleurs qu’à un essentialisme en morale, mais votre propos m’ouvre de nouvelles perspectives quant à une remise en cause plus large de l’essentialisme : il n’est pas nécessaire de postuler un fond métaphysique immuable pour prétendre dire des choses plus vraies que d’autres sur le réel.
Concernant le déterminisme en morale, la question que je (me) pose consiste moins à savoir si on est libre ou déterminé que dans quelle mesure nous le sommes. Je crois qu’il y a du sens à postuler une certaine forme d’indétermination fondamentale au niveau de la moralité. De même, je suis d’avis que la croyance dans une forme de libre-arbitre a quelque chose de fertile (c’est une forme d’espoir, en quelque sorte, par rapport à notre pouvoir de changer le cours des choses). Du reste, je pense (et suis donc d’accord) que beaucoup de choses contribuent à nous déterminer, y compris au niveau de nos comportements (tout en rejoignant l’excellente réflexion sur le fait que cela n’implique pas nécessairement un essentialisme, vous l’aurez compris).
Il reste que votre commentaire fait apparaître dans mon article une lacune dans la distinction entre essentialisme et déterminisme, que je n’étais pas parvenu à identifier aussi clairement auparavant, la frontière entre les deux notions étant poreuse dans l’usage. A défaut de le réécrire entièrement, je pense que ces commentaires peuvent permettre aux lecteurs avisés de se faire une idée plus approfondie des enjeux de la réflexion proposée ici.