Pendant le confinement lié au coronavirus, et par la suite encore, on a beaucoup entendu parler de théories du complot.
J’écrivais déjà à leur sujet dans mon 1er livre, paru en 2012 [résumé].
Depuis, j’en parle avec beaucoup de précautions d’usage sur Philomedia (une dizaine d’articles). J’ai d’ailleurs toujours attiré l’attention sur l’importance de prendre des pincettes lorsque l’on évoque les « théories du complot » (de même à propos du terme « fake news »), comme vous pourrez le lire dans ce dossier « Esprit critique et complotisme » de l’Université de Paix asbl (cf. aussi cette intervention vidéo).
Complot, théories du complot et complotisme
Un complot fait référence à un fait de manipulation avéré. On parle de complot pour évoquer une réalité historique où un petit groupe a manipulé l’opinion publique, par exemple à l’aide d’un faux témoignage. Un complot (ou une conspiration) est un projet concerté en secret par un groupe restreint (éventuellement avec une intention malveillante ou tout du moins égoïste).
Une théorie du complot correspond à l’idée selon laquelle une instance secrète tire les ficelles. C’est la vision d’un fait ou d’une partie de l’Histoire comme le produit d’un groupe occulte. On ne peut pas décider si le complot est vrai ou faux.
Le complotisme (ou conspirationnisme) décrit une attitude qui implique la recherche systématique des complots, partout, tout le temps.
Ce terme fait référence à l’attitude de méfiance systématique envers les informations provenant d’institutions « officielles » (la presse traditionnelle, les gouvernements ou politiciens, les industries pharmaceutiques, etc.) en postulant qu’elles « mentent » et que des individus ou des groupes « tirent les ficelles » de manière plus ou moins secrète, dans l’ombre.
Dans l’une de ses formes communes, le complotisme suggère que l’on ne peut pas savoir où se trouve la vérité, que l’on ne peut se fier à rien (par exemple, parce que la vérité nous serait cachée ou inaccessible en tout cas). C’est une version « soft » du complotisme, mais elle est probablement tout aussi redoutable que des approches plus « affirmatives » du conspirationnisme. Elle est en tout cas très insidieuse, parce qu’elle donne l’impression de ne « rien affirmer ». Comment contredire quelqu’un qui soutient qu’on ne peut être surs de rien ? Comment contredire ce qui est formulé comme un appel au questionnement ? Ce n’est pas possible : on est dans le registre de l’indiscutable.
Autrement dit, ici, nous faisons la distinction entre une théorie spécifique qui postule un complot en particulier (exemple : tel attentat a été commandité par une instance secrète) et l’attitude qui revient à interpréter la réalité selon un « prisme » ou un « raisonnement » complotiste, qui s’accompagne généralement d’une rhétorique spécifique.
Dans l’Histoire, des complots ont existé. Il n’est pas question de dire que toutes les théories du complot sont fausses. Je le dis d’ailleurs depuis des années : il faut faire attention à éviter que le vocabulaire « théorie du complot » (comme le terme « fake news ») serve juste à discréditer les propos dissidents ! Il convient de faire la part des choses entre les critiques légitimes et la rhétorique fallacieuse. De plus, comme l’écrivent Aurore Van De Winkel et Baptiste Campion :
Les personnes qui soutiennent des théories du complot sont fréquemment présentées comme des personnes ignorantes et/ou ou malveillantes (voire hostiles à la nation), ce qui peut s’avérer contreproductif (Van De Winkel, 2013). En effet, les personnes incriminées, s’identifiant le plus souvent elles-mêmes comme adeptes du doute critique, ne se reconnaissent pas dans ces identités-étiquettes et y voient paradoxalement une confirmation de la justesse de leurs opinions. Il s’ensuit une rupture du dialogue et un enfermement de chacun dans sa communauté de jugement, ce qui nuit à la cohésion sociale et encourage la propagation de ces scenarii alternatifs.
Lire aussi : « Complotisme » : (més)usages médiatiques (Acrimed, 2020)
Lire aussi : Alain Adriaens, Complotismes : et si c’était de la colère… (Pour.press, 2020)
Le raisonnement et la rhétorique complotistes ne sont pas valides
Il est possible de dire la vérité en utilisant de mauvais raisonnements.
Ci-dessous, voici une vidéo illustrant un des problèmes des « raisonnements » complotistes.
Chère @christineboutin j'ai fait cette petite vidéo pour expliquer pourquoi la logique complotiste est aussi compliquée à contrecarrer. Et en lisant votre tweet, je me dis qu'elle peut vous être utile. https://t.co/Q4bOmAlR0K pic.twitter.com/If4A0KTATP
— Julien Pain (@JulienPain) March 11, 2020
C’est un contenu clair et simple à propos du principe de la charge de la preuve, ou encore à propos du fait de prétendre ne rien affirmer, mais tout remettre en doute. C’est à celui ou à celle qui affirme quelque chose de fournir les preuves de ce qu’il ou elle tient pour vrai. Ce qui est affirmé sans preuve peut être rejeté sans preuve. Pour le dire positivement : lorsque quelqu’un tient un discours, il est normal qu’il exprime ce sur quoi il base ses propos de manière transparente.
[Mise à jour juillet 2024] Voir aussi cet exemple de Clément Viktorovitch.
Le mode insidieux de l’insinuation
L’ennui avec les attitudes complotistes, c’est qu’elles prennent les habits du doute en prétendant ne rien affirmer. Il est rare que des thèses soient énoncées telles quelles : elles sont implicites, elles sont formulées sous forme de questions ou d’appels à la méfiance. Il s’agit d’insinuations, de sous-entendus. Le « bon sens » a souvent bon dos : le public est appelé à « ne pas être dupe » et à remettre les choses en questions. L’attitude complotiste biaise le raisonnement en suggérant des conclusions de manière indirecte. Des données brutes peuvent être présentées de manière rigoureuse, mais le complotisme ne se contente pas de celles-ci : elles sont extrapolées pour « coller » à la posture de la méfiance systématique.
On comprend aisément que « prouver le contraire » dans le cas d’hypothèses complotistes peut demander une énergie folle : il suffit au complotiste d’inventer toutes les hypothèses les plus farfelues (ça pourrait être possible !) et de contraindre ses opposants à prouver le contraire. C’est comme si je découvrais un crime, puis que je remettais en doute votre innocence et vous demandais de la justifier, puis que je disais « mais peut-être que vous auriez pu téléphoner à quelqu’un qui l’a fait », et ainsi de suite.
Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne : c’est à celui qui a des hypothèses d’étayer ses suppositions avec des observations factuelles et des arguments logiques/constructifs, afin de faire la part des choses. On peut spéculer à l’infini sur tout et n’importe quoi, quand on prétend douter de tout. A ce titre, toutes les hypothèses ne sont pas équiprobables : à une prétention extraordinaire, le niveau de preuve requis doit lui aussi être plus élevé.
Sur la notion de « preuve », sur le doute méthodologique rationnel et pour approfondir les considérations ci-dessus (comme « une thèse extraordinaire demande des preuves plus qu’ordinaires », par exemple), on pourrait rêver et imaginer que des individus cessent des spéculations stériles et idéologiquement orientées et lisent cette thèse de Richard Monvoisin (2010) à propos de l’esprit critique vis-à-vis des médias.
La rhétorique complotiste pose d’autres difficultés. En 2017, j’ai bossé à ce sujet pour l’Université de Paix asbl. Avec une ancienne étudiante, Carmen Michels, nous avons construit tout un dossier éducatif pour en parler.
Lire aussi : Analyse critique de l’argumentation complotiste (Université de Paix asbl)
Lire aussi : David-Julien Rahmil, Comment reconnaître une pensée complotiste en 7 étapes ? (L’ADN – Tendances, 2020)
Lire aussi : La logique face aux mauvais arguments (2014)
[Mise à jour 2024] Non, « poser une question » n’est pas nécessairement faire preuve d’esprit critique. On dit qu’il n’y a pas de mauvaise question, mais c’est sans compter sur les questions rhétoriques. Certaines questions n’ont que l’apparence de questions : ce sont en réalité des insinuations déguisées.
[Mise à jour 2020] Avec Action Médias Jeunes asbl, nous avons développé des séquences pédagogiques pour lutter contre les fake news, dont l’une d’entre elles concerne la rhétorique (déjouer les arguments fallacieux) : Critique de l’info : l’Outil Ultime
« Il est sage de douter et de ne pas tout gober » !
Je suis de cet avis. Le doute est un outil méthodologique précieux afin de se forger une opinion critique.
Néanmoins, derrière les apparences d’un « doute sain », ce n’est généralement pas un comportement qui invite à fait la part des choses de manière nuancée qui est proposé, ni une attitude relevant de la science ou du dialogue constructif et qui permettrait de cheminer vers une vision plus juste des faits.
Lire aussi : Non, le complotisme n’éclaire pas le débat (Olivier Sartenaer, Le Vif, 2020)
Il est dangereux de laisser entendre que l’on ne peut pas savoir la vérité sur les faits. Par cette posture, le complotisme justifie de s’en remettre à nos ressentis, à nos intuitions ou à nos valeurs personnelles, en niant la possibilité d’une construction commune. Au lieu de faire la part des choses en se confrontant au réel, il s’agit de postuler que la vérité nous est inaccessible, et donc de jeter l’opprobre sur tous les discours, même les plus argumentés et étayés.
Le tout, souvent accompagné d’une posture de victime soi-disant muselée.
Bien sûr qu’il est sain de suspendre son jugement tant qu’on ne sait pas, le temps d’une démarche d’enquête (surtout qu’il y a plein d’incertitudes en cette période, et qu’en réalité, il y a des controverses y compris au sein des communautés scientifiques, par exemple), mais ce n’est pas ce qui est proposé dans les discours complotistes. Ceci jette le discrédit sur toute la communauté et c’est très malsain.
Lire aussi : Pourquoi le relativisme n’est pas une posture épistémologique valide, et est même nuisible sur le plan moral (2019)
Nous sommes obligés de nous fier à d’autres : comment décider à qui ?
Nous sommes les héritiers d’une Histoire durant laquelle il y a effectivement eu des machinations et des secrets à grande échelle, et par ailleurs nous ne disposons pas des moyens de faire nous-mêmes tous les tests ou toutes les enquêtes. Nous devons donc nous fier à ceux qui y travaillent, et les expériences étayées par des protocoles restent notre meilleur moyen pour ce faire.
[Exemple basé sur une publication Facebook d’un média complotiste*] Média X : « les médias racontent vraiment n’importe quoi ! Ils nous mentent ! Regardez cette émission de LCI où les invités démontrent combien les chiffres sont manipulés par les médias » !
* Lors de la première diffusion de cet article, j’avais incrusté ici une publication Facebook émanant d’une page manifestement complotiste. J’ai choisi de la retirer pour deux raisons. D’abord, pour ne pas lui donner davantage de visibilité et de clics. Ensuite, parce que les complotistes « durs » ont une certaine tendance à vouloir faire taire ou attaquer ceux qui les critiquent. C’est d’ailleurs un truc cocasse, quand on y pense : souvent, les « extrêmes » se disent muselés, censurés, attaqués, alors même qu’ils ne cessent de déverser leur litanie à tout va. Or, dès que quelqu’un « ose » les contredire, ils menacent directement de porter plainte en justice et en gros de faire taire leurs opposants ! Belle ironie. Cf. ma publication à propos de la liberté d’expression.
Autre exemple de la « logique » à géométrie variable de certains individus se disant victimes/muselés par « le système », l’usage de procédures-baillons : « Nous sommes censurés et diffamés alors nous allons poursuivre en justice afin de faire taire tous ceux qui disent des choses que nous n’aimons pas ».
La publication ci-dessus est une illustration commune de ce complotisme larvé. Le « média » X titre « les journalistes racontent n’importe quoi ! ». La publication de X montre des images d’une émission de LCI (chaine du groupe TF1) dans laquelle sont invités des contradicteurs qui commentent des graphiques à propos de l’évolution de l’épidémie de coronavirus. Les invités s’attardent surtout sur le graphique dont la présentation pourrait être fallacieuse s’il était le seul fourni par la présentatrice, afin d’en critiquer l’usage. Leur discours consiste à dire qu’il ne faut pas se focaliser sur l’augmentation des cas diagnostiqués, étant donné que davantage de tests sont réalisés (c’est rassurant : ces experts maîtrisent au moins la règle de trois). En gros, dans l’émission de LCI, des invités critiquent la présentation biaisée des informations par des journalistes. Ils sont invités sur un plateau télé pour ce faire, dans une émission qui propose ces chiffres au regard d’autres données plus complètes. Notons qu’il est assez ahurissant de constater que souvent, la presse traditionnelle contribue elle-même à entretenir un climat de méfiance à son égard, en mettant en scène sa propre dénonciation.
En bref, on a donc un diffuseur de contenus (X) qui se base sur le contenu d’une émission de télé (LCI) avec lequel il est d’accord (!) pour alimenter sa thèse que la presse raconte n’importe quoi ! La controverse, présente sur LCI, est utilisée à son encontre, alors que l’émission donne justement la parole à des voix contradictoires (je parle aussi de ce phénomène dans « On ne peut plus rien dire » – La liberté d’expression (2020)). A noter qu’une visite sur le site de X donne à voir tout le sérieux de ce média « alternatif »… Son but est clairement orienté par le buzz populiste à tout prix.
A ce titre, je constatais déjà en 2012 des attitudes pour le moins curieuses chez certains individus « à qui on ne la fait pas ». En effet, ceux-ci rejettent des discours uniquement parce que ceux-ci proviennent de médias officiels ou de politiciens, qu’ils estiment corrompus ou du moins en conflits d’intérêts (et parfois à raison).
A ce titre, les injonctions comme « faites vos propres recherches », « réveillez-vous » ou encore les appels au « bon sens » sont malheureusement souvent des indices de complotisme. Lire aussi : Faites (mieux) vos propres recherches (Lapresse.ca, 2020), Nos conseils pour identifier les discours complotistes et ne pas tomber dans leurs pièges (Le Monde, 2020), Spécificités du discours complotiste (2021)
Lire aussi : Médias : « Manipulation » ! « On nous prend pour des cons » ! (2018), T’as laissé ton « esprit critique » au placard ! (2017) et « Tout comme les trains, la presse déraille peut-être moins souvent qu’elle ne roule correctement, mais personne n’en parle » (2013)
Néanmoins, en parallèle, ces personnes relaient volontiers des contre-discours simplistes, émanant de personnalités ou de collectifs encore moins respectables (sites de « réinfo » et autres). Le complotisme profite souvent malheureusement davantage à ces acteurs-là qu’à l’émergence d’une collectivité citoyenne éclairée.
La priorité de tels acteurs n’est clairement pas d’informer, mais de rallier à leur cause. Pour eux, tout ce qui va à l’encontre des discours « officiels » est bon, peu importe que ce soit vrai ! Leur but est de convaincre, non de dire la vérité. Cette simple affirmation devrait suffire à ne pas relayer de telles sources, et pourtant… !
Lire aussi : “Fake News” : Pourquoi partageons-nous des contenus faux ? (2019)
Lire aussi : Dossier : lutter contre les discours faux et haineux (2018)
Autrement dit, le simple fait que ce soit un média purement idéologique qui publie ces contre-discours devrait suffire à discréditer ces contenus. En effet, le but de ces médias n’est pas d’informer, mais de faire passer leurs idéologies. Peu importent les faits (d’autant plus si on ne peut rien dire à leurs sujets). Il y a un conflit d’intérêts manifeste ! S’il faut cesser d’écouter les scientifiques soi-disant parce qu’ils sont tous « à la solde de Big Pharma », pourquoi faudrait-il davantage écouter des personnes qui s’expriment dans des médias d’obédience politique antidémocratique ?
Lire aussi : Information, émotions et désaccords sur le web – Comment développer des attitudes critiques et respectueuses ? (2018) et Plaidoyer pour la nuance (2020)
Bien sûr, il y a des lobbies et je travaille à fond pour expliquer comment le financement des médias peut avoir une influence sur leurs contenus, par exemple. Il ne faut pas en déduire que la vérité est inaccessible, mais au contraire être d’autant plus attentifs aux critères qui font que certaines personnes qui s’expriment ont plus de crédibilité que d’autres… (Le saviez-vous ? On peut critiquer les incohérences politiques et les conflits d’intérêts sans sombrer dans un complotisme niais). Il faut accorder plus de confiance aux individus qui nous donnent des éléments tangibles et concrets, nous permettant de leur déléguer le travail de vérification. Ce travail de vigilance demande lui aussi du temps, mais c’est un moindre mal lorsqu’il s’agit de s’informer à propos de sujets complexes.
Je développe ces critères dans plusieurs articles sur ce site et dans mon premier livre. Dans quelques semaines, je présenterai ici un outil gratuit rédigé avec ACMJ asbl qui offre une synthèse pour améliorer nos capacités critiques d’enquête, de raisonnement, pour éviter des biais cognitifs ou encore afin de mener un dialogue constructif.
Lire aussi : Désinformation et éducation aux médias : entretien (2017)
Lire aussi : Comment je m’informe sur Internet
https://www.facebook.com/trentemillejours/photos/a.212168409498297/584597272255407/
Commentaire de Pascal Gillardin, reçu par mail, le 28/09/2020
Monsieur Lecomte,
Bonjour.
J’adhère globalement à votre billet du 30/08/20 « EN QUOI LE COMPLOTISME EST-IL PROBLÉMATIQUE ? ».
Je me permettrais d’y ajouter ces quelques réflexions sommaires plus sceptiques.
La multiplication des médias de masse et la tentation du sensationnalisme constituent certes un tremplin pour les théories du complot, valides ou non. Le public averti, disposant des outils culturels du savoir et de l’esprit critique adéquat, semble par ailleurs statistiquement plus rare que les victimes, globalement moins cultivées, du sensationnalisme. Ces données sociétales tendraient ainsi à favoriser les « théories abusives du complot », plus faciles, par rapport aux « complots avérés », réclamant une investigation plus professionnelle. Lapalissade.
En conclure que les actuelles théories du complot, véhiculées massivement sur la toile, seraient généralement (et surtout a priori) non valides ne présente par contre, au stade actuel, aucune validité scientifique.
Présenter une liste, même longue, de théories non fondées du complot pour épauler cette thèse éventuelle constituerait un sophisme assez grossier. En logique, le particulier ne constitue aucunement un argument valide en faveur de l’universel.
Une démarche scientifique pertinente se fonderait plutôt sur un échantillonnage (autant que possible non biaisé) de ces théories et la présentation d’un éventail statistique des éléments observés.
Une option de recherche pourrait présenter, par thème :
– la proportion valide/non valide des théories du complot,
– la propagation respective, en termes d’audimat, de ces théories.
Il s’agit là d’un matériau minimal préalable à toute conclusion sociologique.
Sinon, le discours analytique sombre aisément dans la démagogie et la pseudoscience, quelle que soit la position sociologique déduite de la diffusion de ces théories du complot. Et jusqu’à présent, n’ayant pas encore eu l’opportunité d’observer les résultats d’une telle étude sociétale fondée sur des données statistiques rigoureuses, je me permets d’en conclure que les auteurs se positionnant actuellement par rapport aux théories du complot sont globalement de peu de crédibilité scientifiques.
Le complot est historiquement indissociable de l’art politique depuis des millénaires et la thèse candide selon laquelle la politique actuelle serait éthiquement propre et exempte de toute tendance complotiste relève manifestement de la fantaisie.
Les complots ont en fait muté vers des formes plus subtiles, acculés par l’étalage médiatique.
D’autre part, l’emprise croissante du capitaliste sur la gestion politique laisse supposer que les complots actuels seraient moins « grossiers » à une lecture strictement politique et plus centrés sur les coulisses du gros business, coulisses qui intéressent moins le sensationnalisme grand public et restent ainsi peu éclairées par la une de l’actualité (écrite, télévisuelle ou numérique).
En ce qui concerne par exemple le traitement médiatique de l’épidémie covid19, l’existence d’une bulle financière sur le business des vaccins est un fait. Son ampleur chiffrées reste encore globalement peu mesurée. Les lobbies financiers qui spéculent sur cette bulle sont en parallèle intimement liés à ceux qui investissent dans les médias de masse. Business is business.
A titre d’exemple, en Belgique, une part importante des capitaux qui financent et influencent la presse écrite et télévisuelle appartiennent à une dizaine de familles de l’hyper bourgeoisie. Le docteur Yves Van Laethem, champion confirmé des intrigues et conflits d’intérêts avec le big pharma et le business des vaccins, y a été choisi comme « porte-parole covid » par le gouvernement MR (pro-capitaliste) de crise. Ses interventions médiatiques omniprésentes (RTBF et RTL) s’appliquent à une promotion implicite ou explicite systématique du mythe non-scientifique (au stade actuel des recherches) de « vaccin covid19 ». La durée actuellement observée de l’immunité covid19 individuelle reste peu compatible avec un projet de vaccination générale de la population. Par contre, entretenir aujourd’hui ce mythe toujours non scientifique permet d’entretenir artificiellement le business des vaccins.
Globalement, dans les médias de masse francophones (français et belges), j’observe actuellement un traitement journalistique qui relaie majoritairement ce mythe de l’arrivée prochaine d’un vaccin covid19 (malgré le discours divergent de nombreux scientifiques de référence), fondant à terme un projet de vaccination de masse … et a contrario, une couverture presqu’inexistante de l’actualité scientifique, qui observe un exceptionnel phénomène de mutation du covid19 (nettement plus marqué que pour les précédents coronavirus). Cet important phénomène de mutation rend d’autant plus aléatoire ce mythe d’un vaccin covid19 à large portée et fragilise conjointement la bulle financière (boursière mais aussi en investissements dans les labos de recherche). Cette information qui, surtout depuis septembre, fait la une de la recherche scientifique reste curieusement (vade retro ! « curieusement » est un adverbe de la littérature complotiste !) assez discrète (euphémisme) des médias traditionnels. On peut également comprendre que les intérêts privés des « virologues officiels » entrent souvent en résonance avec les fonds investis dans les labos (privés ou universitaires), avec qui ils bossent au quotidien (quand ils ne paradent pas sur les plateaux TV).
Durant la phase ascendante de la courbe épidémique, les médias et le discours gouvernemental ont agités des graphes semi-logarithmiques qui mettaient en évidence l’efficacité des mesures… courbes qui ont ensuite « curieusement » disparu lors de la sortie de confinement fin mai, début juin. Ces graphes auraient exposé au public la désinvolture politique qui consiste à maintenir un taux de reproduction trop proche du plafond exponentiel de valeur 1,00. Ces graphes semi-logarithmiques restent toujours absents des médias. Cette stratégie de communication reste fallacieuse et associable à l’art du « complot ».
Alors, en effet, cette forme de « complotisme » reste en apparence moins « diabolique » que le ton général des diverses théories du complot des adversaires de l’ordre (ou du désordre) capitaliste mondial… mais elle existe bien, sous des formes plus subtiles (voire plus perverses) dans les faits. Et stratégiquement, les diverses théories du complots les plus grossières et les plus ineptes constituent en réalité des diversions bien utiles au auteurs de ces magouilles politico-médiatico-financières, plus sournoises mais bien réelles. Le big pharma a réussi au fil des années à placer ses pions dans les rouages politiques décisionnaires ou à orienter des politiciens peu crédibles (Maggie) vers des décisions budgétaires peu rationnelles (pour l’intérêt des citoyens) mais très lucrative pour le business médical et pharmaceutique.
Cela aussi reste observable par l’étude sur les dix dernières années des décisions ministérielles (peu relayées médiatiquement, bien que parfois ubuesques) en faveur du big pharma. Le phénomène sociétal de lobbying est devenu une réalité sociale légale et réglementée par un cadre juridique. La dérive « complotiste » capitaliste devient évidemment avérée, au regard de la sémantique, lorsque ce lobbying sort de son cadre légal et se voile en divers « dessous de table ». Sinon, il s’agit simplement du cynisme ordinaire de la politique et du capitalisme… mais non étiqueté de « complot ».
Il existe pourtant un complotisme plus perfide et pourtant peu dénoncé par les médias de masse, qui se dilue en fait en amont dans la législation laxiste elle-même qui encadre ce lobbying car on y devine la porte ouverte vers des dérives prévisibles. Ce lobbying se montre d’autant plus pervers qu’il se pare du label juridique de « légalité », alors que la législation a elle-même été biaisée à sa création par un lobbying moins explicite. Le lobbying ciblé sur les représentants parlementaires n’est ni un « secret », ni un fantasme de complotiste.
Alors en effet, cette dérive lobbyiste échappe en théorie à l’étiquette sociologique de « complot », puisqu’elle est légale et « exotérique ».
Mais la relative non couverture médiatique de ces « magouilles plus ou moins légales » les classe bien en pratique comme expressions d’un art consommé du complot, selon une tradition politique multiséculaire qui s’adapte aux structures modernes de la politique, de l’économie et de la communication.
Finalement, de nombreux citoyens émettent l’éventualité d’un agenda tacite derrière la gestion politique et médiatique officielle de la crise covid19. Cette hypothèse reste floue et non confirmée par une investigation rigoureuse, certes. Et pour combler cette lacune, ces citoyens inquiets adhèrent souvent à la première théorie fantaisiste qui se présente à eux, théorie concoctée hors pertinence scientifique et parfois par des lobbies idéologiques pas plus recommandables que les lobbies capitalistes auxquels cèdent souvent les décideurs politiques.
La réponse sociologique qui consisterait à déceler l’absence de fondement rationnel de certaines de ces théories du complot n’a que peu de validité scientifique, déjà, du fait que le particulier (même répété) ne fonde pas l’universel.
Mais surtout, elle reste peu pédagogique car le citoyen ressent bien (de manière informelle) la présente d’une logique sous-jacente non affichée, surtout quand le discours politique officiel s’égare en décisions ubuesques et auto-contradictoires.
Cette logique sous-jacente se fonde simplement sur le cynisme capitaliste ordinaire et la « logique » du marché.
Tant que l’investigation sociologique se permet le luxe peu scientifique de se dispenser de la mise à plat de ces magouilles réelles du capitalisme ordinaire, en coulisses de cette crise covid19 (et du reste), ce silence journalistique exempt de tout courage intellectuel continuera de faire les beaux jours de la suspicion complotiste, elle aussi ordinaire.
Alors, bien sûr, la critique sociologique arguera que ce cynisme capitaliste ne constitue pas la manifestation d’un volontarisme planifié émanant d’une instance mondiale centralisée (selon l’hypothèse complotiste d’un « nouvel ordre mondial »), la manifestation du capitalisme mondialisé relevant plus du désordre que de l’ordre. Mais il arrive dans les faits qu’une certaine synergie ponctuelle des lobbies capitalistes fonctionne, involontairement, « comme si » un agenda tacite centralisé guidait sciemment la déviance sociétale observable durant les divers épisodes de crise.
Un des grands défis de la sociologie d’investigation se situe actuellement dans le décorticage de cette synergie capitaliste factuelle, qui se manifeste insidieusement durant les grandes crises sociétales contemporaines.
En l’absence de cette lecture élucidante, de nombreux citoyens accepteront par défaut le confort intellectuel factice des multiples théories du complot, plus ou moins rationnelles.
Bien à vous,
Ma réponse à ce commentaire
Monsieur Gillardin,
Bonjour,
Je vous remercie pour votre message et pour votre lecture minutieuse de l’article que j’ai rédigé.
Je me permets à mon tour de formuler quelques compléments audit article, dans la mesure où je vois dans votre message une opportunité de clarifier mes positionnements.
Tout d’abord, je précise que je n’affirme pas que la pensée critique correspond au fait d’être plus ou moins « cultivé » (je ne pense pas avoir écrit cela où que ce soit).
Ensuite, dans votre mail, vous écrivez :
« En conclure que les actuelles théories du complot, véhiculées massivement sur la toile, seraient généralement (et surtout a priori) non valides ne présente par contre, au stade actuel, aucune validité scientifique. Présenter une liste, même longue, de théories non fondées du complot pour épauler cette thèse éventuelle constituerait un sophisme assez grossier. En logique, le particulier ne constitue aucunement un argument valide en faveur de l’universel ».
Au cas où il y aurait un doute à cet égard, j’insiste sur le fait que je n’écris pas que telle ou telle théorie du complot n’est pas vraie. Au contraire, je dis qu’en l’état de théorie, on ne peut décider si telle ou telle thèse est vraie ou fausse : elle est à vérifier sur base d’éléments observables. C’est une hypothèse, et je ne prétends nullement que certaines théories du complot présentes sur la toile ne sont pas vraies, ni dans cet article, ni ailleurs.
Je précise aussi que certains complots ont existé dans l’Histoire : il n’y a donc pas de raison de rejeter toute hypothèse de complot. Nous nous rejoignons tout à fait à ce sujet.
En revanche, j’attire l’attention sur le fait qu’une posture / une rhétorique complotiste particulière (que je prends la peine de définir) est non valide en logique, et ce entre autres pour la même raison que celle que vous évoquez pour contester la thèse selon laquelle toutes les théories du complot seraient fausses (la généralisation abusive), mais également d’autres (l’inversion de la charge de la preuve et l’impossible vérifiabilité de certains propos, les corrélations fallacieuses, etc.).
Notez également la distinction entre vrai et valide : je ne dis aucunement que telle ou telle théorie ne dit pas la vérité (autrement dit, elle peut être un discours qui correspond à la réalité), mais bien qu’un certain type de raisonnement n’est pas valide (tout comme vous soulignez que l’on ne peut tirer de conclusions générales a priori sur base du particulier).
Je ne pense pas que le reproche de tenir un discours spéculatif sous couvert de sociologie s’applique à ma démarche. Vous invitez à faire la part des choses entre ce qui est vrai ou faux, et je suis de cet avis. Mon propos est de dire qu’il est possible de croire des choses vraies pour de mauvaises raisons. Voici un exemple :
Tous les chats sont des mammifères.
Or, tous les félins sont des mammifères.
Donc, tous les chats sont des félins
Vous constatez qu’il s’agit d’un usage fallacieux du syllogisme avec une conclusion vraie. C’est de cela dont traite mon article. Dans l’attitude complotiste consistant à douter de tout et entres autres à inverser la charge de la preuve, la logique est viciée, quand bien même elle mènerait à des théories reflétant la réalité. J’invite à ce titre justement à examiner les faits pour ce qu’ils sont.
« Le complot est historiquement indissociable de l’art politique depuis des millénaires et la thèse candide selon laquelle la politique actuelle serait éthiquement propre et exempte de toute tendance complotiste relève manifestement de la fantaisie ».
Je tiens à m’assurer qu’il est clair que cette « thèse candide » ne correspond aucunement à mon propos.
Il est possible d’enquêter sur des complots (des faits de manipulation avérés) dans une démarche qui ne soit pas complotiste (posture paranoïde voyant des complots partout). Pensons aux « lanceurs d’alerte » ou aux personnes qui dénoncent des abus dans différents domaines ; des collusions politiques, économiques, etc. Il est bien évidemment possible de tenir de tels discours sans être pour autant « complotiste ». Je pense que le terme « complotiste » est régulièrement utilisé à mauvais escient, « à tout-va », et que critiquer la société / les médias / la politique / l’économie / … ne veut pas nécessairement dire être complotiste.
Vous expliquez ensuite le fait que les « complots actuels » seraient moins « grossiers » seraient peu éclairés par l’actualité. Vous étayez votre propos avec des exemples d’intérêts financiers qui peuvent être en concurrence avec une information fiable.
Si vous n’avez pas encore visité mon site, j’attire votre attention sur le fait que je me penche régulièrement sur la question du financement des médias et des effets (directs ou indirects) de ceux-ci sur leur indépendance et leur fiabilité. Le dernier en date concerne l’emprise d’un modèle économique sur le fonctionnement des médias sociaux. Cf. notamment :
Plus largement, et ce depuis mon premier livre relatif à la fiabilité des médias d’informations (2012) (et même auparavant), je m’intéresse à la question de savoir quel crédit nous pouvons accorder aux discours auxquels nous sommes confrontés, et je tâche de le faire avec nuance et à travers un examen des faits. Je ne me positionne aucunement en « chien de garde » du système établi (et si vous voulez la transparence sur le financement de ce site…).
Concernant votre propos relatif à la possibilité (ou au mythe) d’un vaccin face à l’épidémie de coronavirus covid19 actuelle, je ne me prononce pas sur le fond du dossier. Je ne connais pas l’état des avancées scientifiques sur la question, ni les controverses au sein du domaine médical. S’il est clair que l’industrie pharmaceutique a des intérêts à commercialiser un vaccin, je ne suis pas en mesure d’affirmer ou de réfuter la thèse selon laquelle il s’agit d’un horizon réaliste ou non.
Concernant le traitement médiatique de la question, il me semble que les controverses sont relayées, mais je ne suis pas capable d’affirmer précisément dans quelle mesure. Je peux simplement vous dire que malgré mon suivi relativement peu soutenu des actualités liées au coronavirus covid19, j’étais au courant de la thèse de ses mutations difficilement compatibles a priori avec la mise en place d’un vaccin efficace (ce qui, de mon point de vue, subjectif, n’empêche pas de chercher).
J’attirerais simplement votre attention sur les deux faits suivants :
J’ajouterais que la question de la création d’un vaccin est clivante, ce qui en fait un sujet très vendeur…
Ne nous méprenons pas : cela étant dit, je suis à 100% d’accord qu’il existe un système (économique/financier, politique, idéologique) qui conduit à des dérives qu’il convient de critiquer.
Mon propos, comme vous le lirez peut-être dans mon plaidoyer pour la nuance, est justement qu’il convient de faire la part des choses, c’est-à-dire de s’en tenir aux faits, et non à des représentations fantasmées.
Dans ces éléments factuels, on peut aisément prouver des faits de collusions économiques et politiques, entre autres. Je ne pense pas que l’on puisse me reprocher de faire l’impasse sur cette dimension, que j’ai abondamment documentée. Je m’échine à faire autant de pédagogie sur mon site afin de « démystifier » le fonctionnement des médias, de manière à construire une critique solide et étayée de ceux-ci.
De même, je suis à titre personnel très engagé lorsqu’il s’agit de documenter des faits de désinformation et/ou de manipulation des opinions. Il serait faux de me faire dire que je nie l’existence de faits de manipulation avérés.
Un problème des mots « complots » et « complotisme » est que ces termes sont utilisés à toutes les sauces, de sorte qu’il est difficile de s’entendre sur une définition commune. Si je tente de vous paraphraser, vous me dites que les « complots » actuels sont une forme de « complotisme » plus insidieuse que celle des complots grossiers que l’on voit dans les films ou dans les livres d’Histoire. Ce faisant, vous utilisez le terme « complotisme » pour décrire une autre réalité que celle dont je parle dans mon article en utilisant le même signifiant. En réalité, nos propos ne me semblent pas incompatibles. A mon sens, comme au vôtre si je vous comprends bien, il existe bel et bien toujours des faits de manipulation avérés, plus ou moins discrets / occultes, et entre autres liés au fonctionnement politique, idéologique, médiatique et financier (capitaliste) de différents acteurs sociaux.
Vous écrivez par exemple : « Le phénomène sociétal de lobbying est devenu une réalité sociale légale et réglementée par un cadre juridique ». Il ne me semble pas complotiste de mesurer et d’informer à propos de ce phénomène.
« La dérive « complotiste » capitaliste devient évidemment avérée, au regard de la sémantique, lorsque ce lobbying sort de son cadre légal et se voile en divers « dessous de table » ».
Plusieurs dérives sous forme de faits de manipulations avérés sont effectivement documentées ; je ne nie certainement pas cela non plus. Je n’étiquette pas de « complotiste » quelqu’un qui pointe des dérives factuelles en ce sens. L’influence du lobbying sur la réglementation, notamment au niveau supranational, ne fait pas partie de mes thèmes de prédilection, mais je sais qu’elle est abondamment documentée. On peut déplorer en effet un désintérêt du grand public (et des médias qui les « représentent ») concernant la gravité et la finesse de ces phénomènes, et en même temps il me semble qu’il existe une opinion publique plutôt « défiante » vis-à-vis d’un tel système. Demandez autour de vous : peu de personnes me semblent informées sur le fonctionnement constitutionnel de l’Etat belge, sur les lois qui le régissent, etc. Pour autant, les critiques envers le système politique ne sont pas rares. Pour différentes raisons, la plupart des citoyens ne sont pas correctement informés de problèmes qui le concernent. Pour autant, cela ne conditionne pas nécessairement leur opinion de manière favorable.
Comme vous, je déplore régulièrement la « non-couverture » ou la mauvaise couverture (biaisée, simpliste, sensationnaliste…) médiatique de faits sociaux qui me semblent d’une grande importance.
« Finalement, de nombreux citoyens émettent l’éventualité d’un agenda tacite derrière la gestion politique et médiatique officielle de la crise covid19. Cette hypothèse reste floue et non confirmée par une investigation rigoureuse, certes ».
Cette hypothèse ne relève pas nécessairement d’une « logique complotiste » telle que je l’entends dans mon article. Comme je l’écris à maintes reprises, j’ai toujours attiré l’attention sur l’importance de prendre des pincettes lorsque l’on évoque les « théories du complot ». Ces mots sont les miens :
« Lutter contre les théories du complot pourrait être un instrument de propagande : « il ne faut surtout pas remettre en cause la version officielle, sinon on est discrédité ». Un système totalitaire pourrait avoir tout intérêt à « réprimer » tous les discours qui le remettent en cause. Il en est de même pour différents groupes d’intérêt ou lobbies ».
Ce n’est pas parce que l’on remet en question un discours dominant que l’on est nécessairement complotiste. Cela dépend de la manière de le faire. Il y a une différence entre attester de conflits d’intérêts (arguments factuels étayés) et professer des opinions hâtives sur base d’un doute absolu et généralisé, et donc finalement sans objet (« il faut douter de tout », « rien n’est fiable » ! – cf. aussi ma critique du relativisme). Je fais attention aux inférences et aux conclusions généralistes hâtives. Pour moi, il demeure possible d’évaluer que des discours sont plus vraisemblables que d’autres.
« La réponse sociologique qui consisterait à déceler l’absence de fondement rationnel de certaines de ces théories du complot n’a que peu de validité scientifique, déjà, du fait que le particulier (même répété) ne fonde pas l’universel ».
J’ai bon espoir que vous ne pensez pas (ou que vous ne pensez plus) que mon propos consistait à balayer toutes les thèses étiquetées de théories du complot d’un revers de la main. Au contraire, j’invite à considérer que l’on peut parler de faits de manipulation avérés, et de manière générale investiguer sur des faits, sans être pour autant taxé ou taxable de « complotiste » au sens d’une personne qui verrait des complots partout et tout le temps. D’un point de vue épistémologique, on pourrait justement rapprocher ça d’un appel à une forme d’empirisme humble : l’observation des phénomènes, ni plus ni moins, sans inférence abusive ou « modèle » métaphysique englobant.
« Tant que l’investigation sociologique se permet le luxe peu scientifique de se dispenser de la mise à plat de ces magouilles réelles du capitalisme ordinaire, en coulisses de cette crise covid19 (et du reste), ce silence journalistique exempt de tout courage intellectuel continuera de faire les beaux jours de la suspicion complotiste, elle aussi ordinaire ».
J’espère là aussi avoir démontré que ma démarche s’inscrit dans une le sillage d’une investigation sociologique approfondie, abordant précisément des problématiques telles que les dérives liées au fonctionnement (capitalistique) des médias, notamment. Voyez que c’est l’objet de toute la première partie de mon premier livre, en 2012.
« Et pour combler cette lacune, ces citoyens inquiets adhèrent souvent à la première théorie fantaisiste qui se présente à eux, théorie concoctée hors pertinence scientifique et parfois par des lobbies idéologiques pas plus recommandables que les lobbies capitalistes auxquels cèdent souvent les décideurs politiques […]
Un des grands défis de la sociologie d’investigation se situe actuellement dans le décorticage de cette synergie capitaliste factuelle, qui se manifeste insidieusement durant les grandes crises sociétales contemporaines. En l’absence de cette lecture élucidante, de nombreux citoyens accepteront par défaut le confort intellectuel factice des multiples théories du complot, plus ou moins rationnelles ».
Je partage totalement cet avis.
Je pense en outre que l’étude de ce système passe aussi par l’étude de notre rapport (en tant qu’individus) à ce système, et également que le complotisme n’est pas seulement le fait de personnes « crédules », mais est aussi le résultat de trahisons et de manipulations plus ou moins conséquentes. Je fais l’analogie d’un couple dans lequel l’un des partenaires aurait trompé son conjoint : il me semble « humain » que la personne (qui se sent) trompée développe une méfiance profonde, difficile à surmonter. Pour la dépasser, il faudra que son ou sa partenaire lui donne des éléments pour rétablir la confiance. Dans le climat de méfiance actuel vis-à-vis de la presse, il me semble tout aussi humain d’avoir de telles exigences à leur égard.
La métaphore du couple. Lorsqu’une personne est trompée par sa conjointe ou son conjoint, même si l’autre se comporte ensuite de manière irréprochable, il y a une difficulté à “refaire confiance”. Pour cette raison, j’insiste vraiment sur l’idée que la confiance est une question “à long terme” et que celle-ci est toujours fragile. Ce serait une erreur de la considérer comme acquise une fois pour toutes.
Je vous remercie encore pour votre message.
Je ne vous promets pas de répondre de manière aussi développée à d’éventuels apports supplémentaires de votre part, mais je lirai vos retours si vous en avez suite à cet échange. Tout ceci me permet en effet de clarifier mon positionnement.
Respectueusement,
Julien Lecomte
Réponse de Pascal Gillardin
Bonsoir Monsieur Lecomte,
Merci d’avoir répondu promptement et de manière aussi détaillée à mon commentaire assez brouillon.
Avant de lire avec attention votre réponse, je tiens à souligner que je me suis, selon toute apparence, exprimé de manière bien trop ambigüe. Franchement désolé.
Mon intention n’était nullement de poser une critique ciblée de votre billet en particulier, mais plutôt de mettre en garde contre une certaine tendance candide actuelle à désamorcer à priori toute théorie du complot, comme si la sur-institutionnalisation du monde occidental actuel pouvait constituer une panacée démocratique aux manipulations multiséculaires des assoiffés de pouvoir.
Rassurez-vous, je ne vous associe pas à cette tendance. Désolé pour le flou de mon propos.
Ce treillis inextricable d’institutions constitue parfois au contraire, via simple instrumentalisation détournée par divers lobbies, un outil d’autant moins démocratique qu’il montre ainsi patte blanche.
Une organisation associant un fort pouvoir symbolique à une forte fragilité financière comme l’OMS, par exemple, constitue une proie idéale à cette instrumentalisation.
J’ai eu l’opportunité d’être secrétaire d’une association locale et ai pu observer de l’intérieur comment une institution respectable pouvait être détournée à l’occasion par des lobbies idéologiques qui cherchaient à vernir leur image.
Si j’ai laissé sous-entendre que je vous prêtais, à vous et votre billet, certains propos ou intentions qui ne sont pas les vôtres, veuillez donc m’excuser pour mon texte trop peu explicite.
Permettez-moi donc de prendre le temps de lire, avec attention et intérêt, votre réponse avant toute poursuite de cet échange.
Bonne soirée,
Commentaire de Pascal Gillardin, reçu le 02/10/2020 (suite aux échanges précédents)
Monsieur Lecomte,
Je ne vous oublie pas.
Votre texte et votre site invitent à la cogitation.
Comme ce thème plus particulier du « complot » (sous diverses acceptions) restait encore peu exploré de ma part, je prends le temps de tenter d’éclaircir mon regard afin de vous proposer un point-de-vue plus structuré que mon premier mail.
Pour mieux cerner le phénomène, il est nécessaire de fouiller au préalable certaines notions encore ambiguës comme intelligence, conscient/inconscient, intentionnalité, communication explicite, causalité partielle, bien/mal, mécanisme psychique de déni, etc., au risque de passer à côté de l’essentiel.
Le terme de « complot » reste encore (selon mon opinion) une prénotion (et vous tenter de le définir plus scientifiquement et rigoureusement).
Pour ma part, je chercherais plutôt à établir une topologie plus générale, où le « complot » (sous l’une ou l’autre acception) ne serait qu’une option particulière. Sous cette topologie, la proximité d’un phénomène sociétal proche du « complot » proprement dit pourrait alors y être assimilé abusivement, du point-de-vue de la rigueur sémantique.
L’intérêt d’une telle topologie serait de caractériser malgré tout des phénomènes socialement inquiétants et démocratiquement critiquables… même s’ils n’entrent pas strictement dans la catégorie du « complot »… mais s’en approchent « topologiquement ». Sinon, il suffirait alors à une organisation peu démocratique de jouer sur cette limite topologique du « complot » pour éviter d’en assumer l’étiquette tout en conservant un fonctionnement proche du complot et en retirant des résultats similaires.
Cette étiquette de « complot » me paraît trop réductrice.
Voilà où s’oriente, entre autre, ma réflexion.
Vous comprendrez que cela puisse prendre « un certain temps ». Désolé.
Par exemple, partant du fait que la plupart des phénomènes intelligents qui fondent l’intelligence consciente individuelle humaine apparente sont inconscients (soit cérébraux en coulisses de la conscience sans y affleurer directement, soit inconscients non-physiques dans la relation psychique nouménale cerveau/conscience, notamment dans la « transfo de la structure neuronale 3D en percepts visuels synthétiques 2D recto avec relief » mais aussi et surtout dans l’ensemble du psychisme, soit d’autres processus nouménaux inconnus … mais cela sort du cadre de ce mail), l’étude des phénomènes de pouvoir se doit d’envisager l’hypothèse que dans certaines circonstances, ces formes d’intelligences individuelles inconscientes puissent communiquer entre elles à l’insu des personnes conscientes elle-mêmes, donnant naissance à des phénomènes sociaux inconscients.
Un certain occultisme (qui me laisse dubitatif quant à ses interprétations et croyances) évoque la notion « d’égrégore ». Les maçons belges, globalement matérialistes, peinent à fouiller cette notion, qu’ils emploient alors de manière réductrice, en la limitant à une sorte de « culture consciente commune » (à la loge…). Mais une ontologie moins réductrice que le physicalisme peut élargir cette notion « d’égrégore » (certaines sociétés ésotériques le font), au-delà de cette simple « production culturelle », à une forme active d’intelligence fondée, non seulement sur une éventuelle communication « biologique inconsciente des cerveaux » mais aussi au niveau nouménal (non physique) entre les psychés inconscientes des membres du groupe… souvent à leur insu.
Un tel groupe social (secte, parti, association, communauté …) pourrait alors fonctionner socialement comme un « complot », sans en avoir conscience. Cette absence « d’intentionnalité consciente » ne permettrait donc plus d’y apposer l’étiquette théorique de « complot », qui suppose une volonté consciente liée à un projet.
Il me semble que le capitalisme dans son ensemble pourrait fonder de telles synergies collectives inconscientes, à l’insu de ses protagonistes. La lecture extérieure, omettant l’hypothèse d’une intelligence collective inconsciente et non intentionnelle, tendra alors à classer ce fonctionnement comme l’expression d’un « complot »… et en cherchera en vain les traces matérielles probantes.
Cette absence de rouages « physiques » explicites, permettant d’élucider ce supposé « complot », fera bien rire les journalistes peu curieux qui en concluent trop facilement à l’existence d’un « fantasme délirant » dans la culture complotiste populaire.
Ce journalisme (souvent matérialiste et intellectuellement peu subtil) péremptoire et prétentieux aurait tendance à m’agacer… d’autant plus qu’il renvoie abusivement la disqualification intellectuelle sur les auteurs de la théorie naïve du complot. Répondre à la naïveté populaire par la bêtise journalistique ne fera jamais avancer le schmilblick.
Au regard d’une investigation scientifique post-physicaliste, toute théorie du complot devrait plutôt inviter à ré-évaluer cette hypothèse en coulisses… tout en réclamant une rigueur analytique extrême pour éviter le piège des interprétations paranoïdes.
Une mouvance contemporaine, tentaculaire et invasive, est à étudier dans ce sens : le « réenchantement du monde » (Frédéric Lenoir, Jean Staune, Trinh Xuan Thuan, la Templeton Fondation…).
Cette mouvance para-religieuse est d’autant plus inquiétante qu’elle tend à redéfinir, selon ses propres croyances arbitraires, la dualité bien/mal et la dualité vrai/faux.
Ce manque d’analyse critique par rapport à ces deux dualités essentielles a comme conséquence que ces acteurs s’imaginent investis d’une « mission », celle de rétablir mondialement le « bien », face à la modernité, le « mal », sans l’approbation d’autrui car « les autres » sont évidemment dans l’ignorance et l’égarement.
Cette mouvance de « réenchantement du monde » fonctionne alors selon des procédés proches du « complot », à la différence qu’il n’ont pas la « volonté de nuire » … selon leur redéfinition arbitraire du bien et du mal.
D’ailleurs un « complot » est rarement inspiré par la volonté de « nuire » mais par celle de modifier la société et ses rouages dans la direction d’un « bien » redéfini par le groupe… même si ce « bien » est perçu par « les autres » comme un « mal » (ou moins bien).
Le réductionnisme monétaire capitaliste (MR …) fonctionne aussi de manière similaire, là aussi sans « volonté de nuire » théorique.
En fait leur idéologie tend à réduire la notion de « bien » collectif à son expression strictement monétaire.
Le reste est enfoui, par un effroyable déni psychique, dans la boîte fourre-tout des « externalités négatives ».
Selon l’adage, l’argent gère tout… sauf ce qui est essentiel à la vie.
Mais comme ces externalités négatives sont évidentes à ceux qui les subissent au quotidien, ces victimes ne peuvent imaginer que l’agenda des dirigeants capitalistes soit inspiré d’une définition (même arbitraire) du bien.
Le « bien » redéfini en termes monétaires (PIB, bilan…) présente une forte tendance schizoïde qui tend à éluder ces externalités négatives qui deviennent pourtant de plus en plus évidentes.
Les dirigeants capitalistes ne fomentent pas des « complots » au sens strict mais leur définition aveugle et irréaliste du « bien » fait de leurs projets des processus sociétaux proches du processus du complot.
Les idéologies matérialistes et physicalistes, d’une manière générale, peuvent aussi être étudiées sous cet angle.
Voir à ce propos des écrits (discutables sous leur aspect d’ésotérisme naïf mais éclairants) comme ceux de René Guénon (Le règne de la quantité…). Les idéologies religieuses dans leur ensemble (le matérialisme et le physicalisme y sont assimilables) doivent aussi devenir des objets d’étude sous ces aspects.
La disqualification sociale multimillénaire de la femme se fonde notamment sur une structure symbolique dogmatique (la « symbolique gravitationnelle ») qui s’est imposée dans les croyances, la culture, les pratiques sociales, religieuses et politiques… depuis le néolithique ! Même en effaçant les croyances religieuses ancestrales véhiculant ces structures symboliques, elles persistent encore dans la culture et l’inconscient collectif planétaire.
Sans mettre en évidence ce fond symbolique implicite toujours présent, toutes les tentatives culturelles et politiques explicites pour rétablir l’égalité symbolique et sociale homme/femme resteront inopérantes. Ceci est une autre histoire…
Sinon, votre site m’a aussi fait découvrir accessoirement le site « encyclo-philo » (au comité scientifique solide) assez intéressant, concis et pratique. Merci.
Bonne journée,
Bonjour Monsieur Gillardin,
Je vous remercie pour ce mail, encore une fois très riche !
J’apprécie énormément des réflexions que vous développez. Concernant la polysémie problématique du terme « complot », je vous rejoins totalement. A mon sens, c’est un terme qui est en effet souvent dévoyé, et qui mériterait que des distinctions plus fines soient faites. Vous évoquez de fait des instances dont le fonctionnement pourrait s’apparenter à des complots, et où en même temps l’intentionnalité manipulatoire est absente. Je crois en effet que ce type de fonctionnement est plus fréquent que celui de « complots grossiers ».
C’est une raison pour laquelle je pense, comme vous je crois, qu’il est important de démystifier les fonctionnements concrets de différentes sphères sociales (médias, politique, groupements sociaux, etc.).
Je crois en effet que les opinions plus ou moins « populaires » (en un sens non péjoratif) à propos de la manipulation sont fantasmées dans une certaine mesure. On en vient à oublier le caractère fondamentalement humain et systémique de ce qui est en réalité. C’est à la fois beaucoup plus simple (pas besoin de faire appel à des entités transcendantes abstraites pour comprendre ce qui se vit) et plus complexe (la réalité s’examine en fonction des interactions des êtres, et non seulement de caractéristiques inhérentes à ceux-ci – exemple : « les gentils vs les méchants »). Je crois que plusieurs paradigmes des sciences humaines et sociales se situent dans cet état d’esprit.
Je ne suis pas certain de bien comprendre les distinctions ontologiques/métaphysiques que vous appliquez. Je suis d’avis qu’il existe des réalités (par exemple, symboliques) au-delà d’une forme de réductionnisme matérialiste (traduction : on ne peut pas tout réduire à la dimension matérielle des choses). J’entends que c’est votre opinion également. De plus, il me semble comprendre que vous allez « un pas plus loin » dans cette réflexion, mais sans arriver à en cerner tous les enjeux.
Concernant votre analyse critique de différentes mouvances, la grille de lecture que vous proposez me paraît intéressante aussi ; si on veut vraiment comprendre comment ces mouvements fonctionnent, on ne peut les réduire à une forme d’intentionnalité consciente, mais plutôt à un processus plus fin et plus « diffus »…
Encore merci pour vos interpellations stimulantes (je vous avais dit que je n’y répondrai peut-être pas de manière détaillée, mais quand je vois l’ampleur de vos développements, j’aurais culpabilisé de ne pas y donner une suite digne de ce nom)
Bonne journée également,
Réponse à l’invitation au dialogue de Samuel suite à mon passage sur La Première au sujet du complotisme
Malheureusement, Sam a supprimé sa vidéo de Youtube.
Hep !
J’ai envie de témoigner de ce qu’on a vécu Sam et moi suite à cette vidéo 🙂 !
Je suis le pote Julien dont il est question et suite à son invitation, on a pu dialoguer de manière super constructive.
J’ai envie d’en témoigner parce que ça me réconforte et me donne de l’espoir, dans le contexte actuel. En effet, en ce moment, il y a beaucoup de crispations et je vois passer énormément de « dialogues de sourds » et des postures très radicales, peu ouvertes au dialogue.
Sam, je te remercie car tu m’as rassuré sur le fait qu’il était toujours possible d’échanger de manière bienveillante, ouverte et sereine (or c’est un des trucs qui me tiennent le plus à coeur – Comment dialoguer de manière constructive ? (2019) – Pour la nuance (2020)).
Sur le fond, on se rejoint sur plusieurs points majeurs.
Je suis notamment d’avis qu’il faut être très prudent par rapport à l’étiquette de « complotiste », car celle-ci est utilisée à tout-va.
C’est un argument très commode pour disqualifier quelqu’un sans prendre la peine d’argumenter et de discuter !
J’exprime cet avis depuis plusieurs années quand je suis amené à me positionner sur le sujet. Je l’ai fait aussi par rapport au terme « fake news » (par exemple ici + cf. LORDON, 2017 et ACRIMED, 2020).
Comme Samuel, je pense que le terme “complotiste” est régulièrement utilisé à mauvais escient et que critiquer la société / les médias / la politique / l’économie / … ne veut pas nécessairement dire être complotiste. Ce n’est pas parce que l’on remet en question un discours « officiel » que l’on est nécessairement complotiste (j’écris cela ici notamment).
Moi-même, j’ai partagé de nombreuses observations critiques à propos des médias, notamment (entre autres dans mon 1er livre, dont le sous-titre est d’ailleurs proche du nom de la chaine de Sam =)).
Je suis aussi totalement d’accord sur le fait qu’il est désagréable de se faire apposer une étiquette de l’extérieur, surtout si celle-ci empêche en réalité une discussion ouverte et respectueuse.
J’ajouterais que ce que j’ai tâché d’exprimer sur La Première, c’est aussi que derrière une posture qui serait effectivement complotiste, il peut y avoir des préoccupations légitimes.
Je pars du principe que les individus ont souvent de bonnes raisons de se positionner comme ils le font, même lorsque je ne suis pas d’accord avec eux.
A ce titre, je ne trouve pas que l’émission soit si creuse que ça, dans la mesure où l’on y parle de la distinction entre des complots avérés et une posture extrême spécifique (il ne s’agit pas de nier qu’il puisse y avoir du lobbying ou d’autres dérives observables, par exemple), on y parle de raisons d’adhérer à cette posture (des « déraillements » de la presse, mais aussi d’inquiétudes et de préoccupations sur le plan socioéconomique, entre autres…), etc.
En revanche, je suis pleinement d’accord sur le fait que mon intervention dans cette émission est très lacunaire : dans un format de 15 minutes (et encore, c’est un format « long » dans les médias !), on ne peut pas aller dans le fond des choses, et du coup on en reste fort en surface, voire dans la caricature.
Je rejoins aussi Sam lorsqu’il exprime son inquiétude par rapport à une situation exceptionnelle qui engendre un « état d’urgence » qui s’accompagne de « pouvoirs spéciaux ».
L’un de mes enjeux en acceptant de participer à cette émission, c’était aussi de promouvoir un outil de critique des sources développé sur le terrain, afin que les individus puissent se faire leur propre opinion. Sur le sujet de la désinformation et des complots, clairement, il y aurait beaucoup plus à dire et à développer.
Merci à toi, Sam, d’avoir pris la peine d’amener – je reprends tes mots – de l’intelligence, de la bienveillance et de la douceur dans ce débat complexe et ce contexte délicat !
Réponse à la publication d’un pote qui réagit au ban de Trump sur Twitter
Voici ses mots : « Tous ceux qui ne sont pas pour le système se font censurer des réseaux sociaux. Dans une époque où la liberté d’expression est sensée être un droit fondamental ».
Ma réponse : Tu entends quoi par « être pour le système » ? Trump est un patron financier, et il a été président élu de la 1ère puissance économique et militaire mondiale, avec des médias à son service (il a tous les canaux qu’il veut pour se faire entendre, genre la Fox)… Du coup, je vois mal comment on peut être plus « le système » que Trump j’avoue.
Sinon Twitter c’est un média privé, donc je ne vois pas non plus trop ce que ça a à voir avec la liberté d’expression. La plateforme t’offre un service et en échange tu acceptes ses règles : si t’es pas d’accord avec ses règles, rien ne t’empêche de t’exprimer ailleurs. C’est pareil si tu vas chez un pote : à un moment il peut te foutre dehors parce qu’il est pas d’accord avec toi, il fait ce qu’il veut chez lui.
Enfin, y a quand même certaines limites à la liberté d’expression, genre racisme, antisémitisme, négationnisme…
Après, je suis d’accord qu’il faut garder l’esprit critique sur le pouvoir que prennent des plateformes comme Twitter ou les GAFAM. Elles ont un grand pouvoir d’influence. Ici, ces actions vont plutôt permettre à Trump et cie de dire « ouin ouin on est censurés de partout regardez » et leur donner encore plus de visibilité (on appelle ça l’effet Streisand), comme le démontre ton post.
Suite à cela, le pote a réagi en contre-argumentant longuement. Je vous joins ma réponse.
Oulah, je ne m’attendais pas à une réponse aussi travaillée ! Merci à toi.
Je n’ai pas voulu être condescendant en soulignant que Twitter est une société privée (du coup je te demanderai de ne pas l’être avec moi en présumant que je veux faire comme un mouton à gober tout ce que disent les médias mainstream). C’est juste que Trump a un pouvoir d’expression considérable, dans les médias mainstream ou ailleurs, alors ça me fait sourire de lire qu’il serait censuré. Le faire bannir de Twitter est une manœuvre politique comme une autre, rien de plus. Et ça va même faire du tort aux opposants de Trump au final, le confortant dans sa stratégie de communication.
Par contre, là où je te rejoins, c’est que les médias européens (en tout cas belges francophones et Français) sont particulièrement anti-Trump (et ce depuis le début, tout comme ils se foutaient de Bush aussi), alors qu’une quasi moitié de la population américaine le soutient, voire l’adule. On avait le biais contraire avec Obama, perçu comme beaucoup plus progressiste qu’il ne l’était (Certains médias avaient révélé justement ses positions sur les questions militaires… Ironique alors qu’il a eu le Prix Nobel de la Paix en 2009 !). J’en parlais dans mon premier livre en 2011, en disant que nos médias ne relayaient majoritairement qu’un seul point de vue, comme si Obama n’était pas imprégné par les valeurs US et n’avait pas hérité d’une force armée puissante qu’il a continué à gouverner dans le sillage de ses prédécesseurs.
Je ne te rejoins pas par contre quant à son traitement médiatique aux States. Il a tribune libre dans plusieurs grands médias (la Fox a toujours été ouvertement républicaine par ex et c’est un rouleau compresseur aux US), tout comme chaque grand homme politique, tout comme en Belgique ou en France. Je ne fais pas ici de discours pro-Trump ou anti-Trump, je relativise juste ce qui se passe sur le « microcosme Twitter ». Trump reste un mec de pouvoir influent, relayé par des tas de canaux, dont des médias « alternatifs » tout aussi puissants (voire davantage) que des médias ayant pignon sur rue. Pour les discours racistes, antisémites, je disais juste cela pour dire que la liberté d’expression ne veut pas dire « pouvoir tout dire impunément ». Tout comme j’aurais pu prendre l’exemple de la diffamation, de la calomnie, etc. C’était juste pour souligner que c’est pas un truc absolu (et à mon avis ça doit pas l’être).
Je suis d’accord quant à ta critique de la polarisation des débats : on en avait déjà parlé toi et moi d’ailleurs. Ca me fait chier aussi, comme toi, qu’il n’y ait pas de demi mesure entre « gober le discours des médias mainstream » et « tout rejeter en bloc ». Soit t’es dans « le camp du bien » soit t’es dans « le camp du mal ». Je déteste cette vision des choses. J’en ai parlé avec deux autres potes qui se faisaient traiter de complotistes et ça les faisait chier aussi. Je lutte contre ça et je vais peut-être même écrire un livre là-dessus pour remettre la nuance et le dialogue constructif au centre de l’esprit critique.
Je précise que dans mes articles ou interventions sur le complotisme ou les « fake news », la première chose que je dis à chaque fois, c’est qu’il faut faire gaffe que ce mot soit utilisé pour disqualifier tous les propos dissidents. On assiste trop souvent à ça : si t’es pas d’accord avec le discours dominant / officiel, tu es traité de complotiste. C’est évidemment très dangereux !
Je suis aussi d’accord sur la critique envers ces sociétés privées qui prennent le pouvoir sur les débats publics. J’ai longuement écrit à leur sujet aussi… Tout comme j’alimente une critique des médias depuis plusieurs années.
« Alors si pour toi dire Amen à tout comme un Ouin ouin sans remettre les choses en question, ça te va. C’est ton plus grand droit ! Bonne chance à toi. C’est pas pour moi ! »
Ne m’attribue donc pas de telles intentions stp 😉
Moi ça me tue qu’on nous divise tu vois ? Genre en fait on est d’accord sur la majorité des trucs mais on est mis dans des cases parce qu’on dit tel ou tel truc, et c’est monté en épingle. Je trouve que c’est de la merde. Dans ce que tu dis, je suis d’accord avec 90% je dirais. Après tu vois j’aime le débat et comprendre les autres points de vue que les miens, donc voilà.
Quand tu veux pour poursuivre en message privé si tu le souhaites, c’est clair que c’est plus confortable pour discuter. Je voulais surtout dire ici publiquement que je ne suis du genre ni à mettre des étiquettes simplettes (surtout sur un pote), ni d’être méprisant.