Défis de l’éducation

Cet article se formule comme une réponse écrite suite à une discussion avec une amie (en 2009 ou 2010). Je reprends l’essentiel de ses propos et tâche d’y répondre.

Auteur inconnu, dans The Affectionate Parent’s Gift, 1828. Source.

Pour quelques références rigoureuses en complément de cet article, voir notamment ma fiche de lecture de l’ouvrage de Fournier, Troger (dir.), Les mutations de l’école (2005).

Voici un extrait du discours de mon amie :

« Aujourd’hui, on veut un enseignement où tout le monde est à égalité, où l’on s’amuse en apprenant… parce que l’on ne veut plus faire aucun effort, ni se faire chier… alors que la vie, c’est se faire chier et c’est la seule chose qui rend la vie vraiment intéressante.

Au niveau pédagogie, je suis conservatrice… Juste que le système de la vieille école permet de former des gens qui disposent d’un grand sens critique… »

1. De quelques idées reçues

Le niveau baisserait et les individus seraient les seuls responsables de leur réussite et de leurs échecs.

L’idée que « le niveau baisse » est une critique vieille de plusieurs millénaires (on a des traces de telles affirmations en Grêce antique) ; c’est le sempiternel « c’était mieux avant » [edit 2014 : sur la question, lire L’école à Papa ? C’était la cata !, et Bac : le niveau baisse… depuis toujours !, dans Le Nouvel Observateur].

[Cf. « La discipline a, en grande partie, disparu » et autres propos réactionnaires, dans la vidéo « Pompidou sur la révolte de la jeunesse universitaire et le PCF », INA.fr, 1968]

Est-ce pour cela qu’il ne faut pas s’inquiéter, être vigilant ? Non, bien sûr (comme en ce qui concerne le sentiment d’insécurité : qu’il ne soit pas neuf ne rend pas moins problématiques certains comportements). Mais il faut analyser davantage avant de prêter un jugement arrêté. Autrement dit, ce n’est pas parce que la critique sociale n’est pas nouvelle que la situation n’est pas effectivement en train d’évoluer. Cependant, il faut aller voir plus loin.

Malheureusement, on ne peut pas dire que « le système de la vieille école permet de former [équitablement] des gens qui disposent d’un grand sens critique » (si cela marchait si bien pour tous, la discussion n’aurait même pas lieu). Ce qu’on constate, c’est que ceux qui « obtiennent » ce « grand sens critique » sont les gens issus de classes favorisées, dans des écoles favorisées… parce qu’ils ont des parents qui leur ont donné une certaine éducation favorisée. Nous venons d’une école plutôt réputée, nos parents nous ont appris des codes, « jouaient » avec nous en nous posant des questions, des devinettes. Ils nous faisaient lire, ou nous recommandaient des occupations (soi-disant ?) « intelligentes » ; on regardait « Il était une fois la vie », « génies en herbe », « C’est pas sorcier » ou « les Niouzz/le JT », que sais-je ? Je force un peu le trait, mais la réalité n’est pas si éloignée de ce que disent Bourdieu et Passeron dans La reproduction. Voir notamment la situation en France.

L’éducation est inégalitaire dans les chiffres : au fond, elle ne fait que sélectionner ceux qui sont déjà favorisés. En ce sens, c’est presque une perte de temps, non ? Autant mettre directement les classes élevées aux formations de cadres, les moyennes aux boulots moyens et le prolétariat en maçonnerie, on économiserait plusieurs années de savoirs qui rentrent par une oreille et sortent par l’autre, on produirait de la richesse. C’est très bourdieusien, mais statistiquement toujours d’actualité. Nous baignons dans une idéologie selon laquelle les individus sont responsables en totalité de leur situation (volontarisme et méritocratie exacerbés). Dans les faits, ce n’est pas le cas.

2. Inégalités et savoirs morts

Les faits (statistiques d’échecs, de réorientation, comparaisons entre écoles, etc.) attestent la présence d’inégalités, mais aussi d’un pourcentage écrasant de « savoirs morts »

Ce qu’il y a, c’est qu’une forme d’intelligence est plébiscitée par l’école. J’ai été en maçonnerie, j’ai appliqué de nouvelles pédagogies (loin de ce que tu reproches ; c’est juste ce que je disais plus haut : les parents ne s’y retrouvent pas et les élèves colportent le discours entendu à la maison. Certains profs, parfois, s’y prennent n’importe comment, mais c’est encore autre chose, d’aucuns s’y prenant comme des manches quelle que soit la pédagogie recommandée. Il y a aussi quelques paradoxes qui ne sont pas neufs, cf. La pédagogie des travaux de groupe). J’ai été confronté à des gens vraiment intelligents, à des répliques et façons de voir le monde que je ne connaissais pas. Disons en gros qu’en général, on nous donne « de la matière » d’une façon qui n’offusque pas trop notre manière de voir le monde, alors on peut la « gober » facilement, pour la « rendre » (littéralement) à l’examen. Ce n’est pas nécessairement le cas pour ces personnes. Il y a ce qu’on appelle dans le jargon un « conflit cognitif », c’est-à-dire que certains savoirs vont à l’encontre de leurs « structures de pensée » initiales (ou préfères-tu défendre qu’ils sont génétiquement moins aptes ?). Plus que des « savoirs », ce sont des visions du monde que l’école véhicule.

Juste pour le fun, sais-tu encore :

  • expliquer la digestion d’un verre de bière, jusqu’à l’urine ?
  • situer l’Ouzbékistan ? Ou la Côte d’Ivoire ?
  • la formule chimique de l’acide acétyle salicylique ?

Rien de tout ça, en ce qui me concerne (enfin si, mais justement parce que je les ai relus ou « re-mobilisés » il y a peu). C’est un échec pédagogique immense. Du coup, il est légitime de se questionner : ne vaut-il pas mieux apprendre 100 pour retenir 80 qu’apprendre 200 pour retenir 40 ? C’est la question du long terme (des « savoirs morts ») qui est en jeu.

Sur la question du lien entre savoirs morts et les enjeux de l’apprentissage, cf. notamment : Isabelle Stengers et Philippe Meirieu : question du « savoir minimum » à dispenser à l’école

3. Des « pédagogies actuelles » et de la « culture de masse »

On peut faire confiance à certaines « nouvelles » pédagogies et à la culture de masse, mais pas en les utilisant n’importe comment

Maintenant, la problématique du travail/du goût de l’effort pose plus particulièrement question. Du côté des jeunes, il est sans doute probable que beaucoup préfèrent effectivement s’amuser à ne pas s’amuser (et d’autant plus à « se faire chier » comme tu dis). Du côté des professeurs, des parents ou des établissements scolaires, l’idée d’apprendre en s’amusant, en partant du savoir des jeunes, en étant un « mentor cool » plutôt qu’un prof…

Crois-moi, c’est un courant largement minoritaire. Ce que tu as par contre majoritairement, n’en déplaise aux idées reçues, c’est un tas de gens qui vont au contraire aller faire du tableau noir à l’ancienne et s’enfiler des tubes de Xanax parce que les élèves n’écoutent rien. Ma pire expérience d’enseignement, c’était en général, dans une école réputée, pas en technique ou professionnel : des jeunes filles qui pensent tout savoir sur la vie, qui ont une structure de pensée à laquelle il ne faut pas toucher (entendre que leur réflexion se limite à : « papa a dit que ») et qui savent qu’elles vont tout réussir. Là, tu es quasi obligé de faire du tableau noir, c’est un milieu « conservateur » comme tu dis. Franchement, je n’ai pas eu l’impression qu’elles retenaient plus que ça, que je les faisais réfléchir et encore moins d’avoir effleuré leur esprit critique…

« Mon père, il dit que vous faites de la merde ».

C’est ce que certains professeurs qui tentent d’être innovants (ou respectent simplement les programmes) entendent ou lisent dans les regards. Du coup, forcément que ces tentatives sont un échec, si d’office ni les jeunes ni les parents n’y sont réceptifs : on ne peut rien faire contre l’absence de volonté d’apprendre. Et là, curieusement, l’obstacle ne vient absolument pas des personnes a priori les « moins éduquées », mais des réticences d’un monde qui ne veut pas s’ouvrir à la différence : « Si ça a marché pour moi, c’est que ça marche ». Sauf que « moi », dans ce cas, c’est une effrayante minorité.

On peut pourtant faire de l’excellent travail en appliquant certaines des « nouvelles pédagogies » (j’ai bien dit « certaines », et dans certains contextes). J’ai moi-même envisagé de partir d’un manga ou d’un clip de rap pour mes cours. Sacrilège ? Sur le terrain, voilà ce que ça a donné (il faut bien choisir son milieu, être sûr qu’il y sera réceptif, et choisir aussi son support, donc tout dépend de la classe bien sûr) :

  • A partir de 20 minutes de manga, on peut introduire des questions sociologiques (ou psychologiques) sur la personnalité des personnages, sur leurs interactions, sur leurs façons de jouer un rôle dans l’espace social. Sur la peine de mort, sur le bien/le mal. 20 minutes, c’est un demi cours. Les 8h que tu feras ensuite sur ton sujet, tu pourras faire des liens avec le manga, que d’office ils auront retenu et regardé, que d’office leur motivation/attention aura capté à 100% au lieu de 20% en temps normal. Du coup, ils vont mieux retenir. Le truc n’est pas de faire un cours sur le manga, mais de s’en servir comme porte d’entrée, comme « machine à liens ». C’est vachement mieux que de devoir chercher mille exemples abstraits genre « ouais, alors, dans telle entreprise (ah, une classe sociale n’en a pas la représentation déjà, donc le lien ne marchera pas pour eux), les interactions c’est comme ça ». Et qui dit liens dit rétention d’informations.
  • La chanson de rap, c’est 3 à 5 minutes. Déjà, tu passes ça en début de cours, les élèves se demandent quoi. Ensuite, silence. Silence. Un truc rare. 5 minutes pour avoir 45 minutes d’attention, plutôt que 50 minutes d’endormissement (que notre amnésie révisionniste nous fait oublier : nous aussi, nous passions notre temps dans l’inattention, en classe… Sauf que la nôtre était peut-être plus silencieuse, et encore avec les gsm…). Et là, pareil, un cours sur les inégalités, sur les stéréotypes dans les clips, l’histoire de la situation féminine, une comparaison entre cultures, etc.

On pourrait même faire un cours en partant de la Star Ac’, sur les médias et les usages de leurs publics, par exemple.

Ce que tu appelles « la culture de masse » a sa place à l’école. Justement aussi parce que et en tant qu’elle est dénigrée. La littérature policière, avant, était dénigrée par les Académiciens. Aujourd’hui, elle fait partie des classiques. La BD, on se demande aujourd’hui si elle ne devrait pas être aussi reconnue comme de la littérature. Je me pose une question : ne réfléchit-on parfois pas plus en regardant un manga de 20 min qu’en lisant un Balzac ? Voltaire est assez trivial philosophiquement parlant (voire « humainement », belliqueux qu’il était), pourquoi a-t-il plus sa place que des auteurs, artistes ou philosophes contemporains ? La culture dont tu parles, que je vais appeler « culture favorisée » est favorisée, mais de manière arbitraire, en grande partie purement conventionnelle (je ne dis pas qu’il n’y a pas des choix réfléchis, mais justement dès lors c’est qu’ils ne sont pas indiscutables puisqu’ils ont été discutés). Il s’agit là de conventions qui établissent une hiérarchie fictive. Je vais pousser le bouchon un peu loin, mais prenons une série policière, c’est ce qu’il y a de plus « production de masse » actuellement (ouvre ta télé en prime time si tu n’en es pas convaincue). Et pourtant il y a moyen d’y voir des choses de la vie.

Tout est dans le regard que tu portes. L’esprit critique, pour moi, c’est apprendre à changer de regard, à revêtir celui des autres. S’ouvrir à la différence, à l’humilité et à la curiosité… Évidemment que le prof n’est pas là pour parler de Plus Belle la vie. Mais peut-être que (même) dans Plus Belle la vie (et crois bien que je ne supporte pas cette série), il y a des choses qui parlent de la réalité (ne serait-ce qu’en colportant des clichés). Les maths, ça construit des ponts. Cela vient de quelque part, dans un certain but. Le tout, c’est de faire appel au concret du monde pour les jeunes, pour faire des liens, pour qu’ils retiennent, simplement… M. Aréna a voulu supprimer le latin, il y a une logique derrière : celle de se concentrer sur des apprentissages plus généraux, moins superflus. C’est une mauvaise logique, car elle néglige carrément l’apport qu’un tel cours peut engendrer dans la vie concrète, justement. Mais d’un autre côté, un bon prof de latin sait faire des liens avec du concret, avec l’étymologie de tous les jours, avec une certaine culture, etc. C’est ça qui compte.

4. Le travail comme valeur et la question du sens

L’école doit-elle s’assujettir à une certaine idéologie ?

Alors, dernières choses à propos du travail comme valeur, cette fois dans l’absolu : c’est en effet quelque chose qui importe et qui me ferait presque changer d’avis. Je comprends que l’on puisse se dire : « nous, « de notre temps » on étudiait par cœur et on fermait sa gueule… Ils verront à l’université, puis au boulot ! ». L’idée, c’est qu’il faut les préparer à la vie, qui elle ne leur fera pas de cadeau. Je suis tiraillé, je t’avoue. Oui, je veux les faire bosser et réfléchir. Mais non, je ne veux pas leur faire apprendre des choses qui ne leur serviront à rien, par principe et parce que « la vie est comme ça » (justement, l’école n’a-t-elle pas un rôle à former dans la construction d’une société différente – voire, soyons fous, meilleure – ?). Ce que je constate c’est que :

  • une fois dans le « monde du travail » (pour peu que t’en chopes un), tu as une chance sur quatre de te faire embaucher comme fonctionnaire. C’est-à-dire que tu vas trier des papiers toute la journée, après tes dizaines d’années d’études. Après un mois, tu ne bosseras plus qu’une heure par jour, tu passeras le reste du temps sur Facebook. Il faudra 8 personnes pour faire le boulot d’une. La consécration de toutes ces années… Du gaspillage, simplement.
  • les technologies s’améliorent. Calculatrices, fiches Excel, bases de données (encyclopédies, par exemple). Les ordinateurs/machines font énormément de choses à notre place, nous déchargent de la pure rétention d’information. Du coup, n’est-ce pas mieux d' »apprendre à apprendre » (méthodes, techniques de recherche et d’utilisation) plutôt que des contenus désuets ? Bien sûr, il faut un contenu minimum, une base pour faire des liens… Mais c’est indéniable que la façon d’apprendre doit changer, au moins dans une certaine mesure. Tout cela est question de dosage, tu ne crois pas ?
  • des questions éthiques se posent enfin. Face à ce non-sens, à cet ennui dans l’emploi après les études, à cette non utilisation de nos facultés, de tout ce qu’on a appris… Face à ce milieu compétitif, de risque, de stress, d’efforts et d’ennuis… Comment se positionner ?
  • Voir aussi la question de l’uniformisation

5. En conclusion

Doit-on faire de l’école le chevalier servant de la société de consommation ? D’une société inégalitaire ? De valeurs de compétition ? Doit-on casser le cul aux élèves dès le plus jeune âge, pour leur apprendre des trucs qu’ils vont oublier à 80%, alors qu’à 20-30 ans ils vont se retrouver au chômage (40% des jeunes), à trier des papiers (25%) ou dans un boulot sans lien social ou sans considération ?

Ou au contraire, doit-on faire de l’école un lieu d’éducation à la coopération, à des valeurs, à des méthodes de recherche, d’usage, de réflexion et d’ouverture ? Et au final, peut-être malgré tout profiter d’un moment de vie avant d’affronter la dure réalité ? Évidemment, il faut s’y préparer, mais je crois que c’est une question de juste milieu.

Notons que le travail comme lieu d’épanouissement est une idéologie : à la base, on travaille comme nos ancêtres chassaient, pour manger et se loger. Ce n’est que depuis peu que l’on distingue travail et labeur.

La vérité sur l’emploi, le chômage et la pauvreté

« Choisir son métier et s’épanouir » ?

Enfin, on est encore dans un modèle où « choisir » un métier manuel est toujours vu comme un échec. Université = réussite ; maçonnerie, métiers du bois, plomberie, infirmière… = échec. Et pourtant, n’a-t-on pas au moins autant besoin de maçons que de psychologues, de plombiers que de journalistes, de garagistes que de « communicateurs en relations publiques », de bûcherons, d’infirmières, des cuisiniers, et j’en passe… que de juristes et de politiciens ?

Il faut aller aussi vers une revalorisation de ces choix (autant sociale que salariale), voire carrément s’opposer à un certain élitisme universitaire. Car quand certains métiers développent la société de manière constructive, d’autres y favorisent les conflits… Et sont malgré tout en surnombre…

On nous propose de « choisir un métier épanouissant ». Mais il ne faut pas se leurrer :

  1. le « choix » des métiers manuels (voire non universitaires) n’en est pas tout-à-fait un,
  2. le « choix » d’un jeune à 18 ans se porte aujourd’hui, souvent par défaut (…), voire facilité (et je dis ça car j’en ai fait partie), vers des fonctions « en vue », plébiscitées par « l’air du temps », « humaines »… Notons que beaucoup de ces personnes ont une vision des choses fort personnelle du métier en le choisissant, et n’en démordront au final jamais. Ainsi, on aura des « psychologues » qui préféreront inconsciemment toujours se baser sur leur introspection personnelle que sur leurs 5 ans d’études…
  3. ces jeunes de la seconde catégorie, qui ont ce luxe, ne s’épanouiront pas nécessairement au futur, soit parce qu’ils auront toujours eu des exigences trop élevées/à côté de la plaque (jamais contents), soit parce qu’ils vont tomber de haut, soit être au chômage (faut pas se leurrer, on a bien davantage besoin de secrétaires que de psychologues…), ou encore autre chose. L’état va d’ailleurs devoir, pour ces personnes, créer des tas d’emplois inutiles, souvent en rapport avec le contrôle et la surveillance (8 personnes pour faire le travail d’une, une tâche tellement ingrate, une neuvième pour les contrôler, etc. Hyper mauvais climat).

Il n’y a au final que les véritables « vocations » qui trouveront leur compte, mais dans ce cadre ultra restrictif uniquement.

En bref, ce choix dont je parle, n’en est pas vraiment un, pour la plupart des gens. L’épanouissement personnel est en réalité fort conditionné, soit par des « attentes trop hautes » de personnes ayant le cul dans le beurre, soit par une vision sociale dénigrante de certaines fonctions (comment s’épanouir en étant plombier si on est vu par celui chez qui on répare l’évier comme un perdant ?). Et malheureusement, la baisse du coût des études universitaires n’est pas la solution de démocratisation (en tout cas pas seule), car elle ne s’attaque pas à la racine du problème (au contraire ?)

En bref, je n’ai pas de « solution toute faite », mais je pense que la situation est infiniment plus complexe que n’en témoignent les prêt-à-penser. Entre les écoles qui jouent sur le « la délinquance augmente, le niveau baisse, il faut les faire travailler pour leur donner le goût de l’effort » (l’écrasante majorité, celles devant lesquelles les parents font la file, campent (!), pour inscrire leurs enfants !) et celles qui disent « il faut laisser s’épanouir dans une totale liberté nos petits chérubins » (à mon avis, même pas 1% des professeurs), il y a des tas de nuances, sachant les failles du système (chômage, offre de travail, dépression, crise de sens, produits « culturels » arbitrairement valorisés au détriment d’autres, reproduction d’inégalités, savoirs morts, etc.), la confrontation des valeurs (compétition, travail et consommation contre coopération, loisir et épanouissement), les évolutions techniques, et j’en passe. C’est loin d’être simpliste.

J’aime bien la fin de ton message :

« On ne sait pas qui on va rencontrer sur la route, ni comment ça va se finir, mais l’on part pour découvrir autre chose, se découvrir soi même… autrement ».

C’est pour ça que j’enseigne. Je pars aussi pour découvrir les autres, les élèves. Car j’ai à apprendre d’eux, humainement aussi. Ma question est simple : n’a-t-on pas aussi à en apprendre de la culture de masse ? De ceux qui regardent des choses différentes ? Pourquoi cela a-t-il un succès ? Quel est le discours de ceux qui la consomment ? Sont-ils ce public abruti sans esprit critique que l’on dénonce ? Je suis convaincu que non… Le tout, c’est de gratter, c’est d’aller voir derrière. Il y a des logiques, des façons d’être et de penser. Comme dans l’Islam, que tu as toi aussi côtoyé, et que d’aucuns critiquent aujourd’hui sans tenter de le comprendre. Moi je dis : parlons du Coran à l’école. Parlons aussi de la Nouvelle Star. Ne négligeons bien sûr pas Flaubert, Kant et Proust. Chaque personne, chaque production, chaque art a quelque chose à dire dans la société, dans une certaine mesure. Il faut juste le lire convenablement.

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Note : la catégorie « enseignement » creuse certains défis que posent les mutations actuelles du système : rencontre culturelle, questions de sens, éducation aux médias, etc. Voir notamment ma fiche de lecture de l’ouvrage de Fournier, Troger (dir.), Les mutations de l’école (2005).