Mes points de vue en matière d’enseignement présentés dans cet article concernent notamment :
- Une réflexion par rapport à la place des devoirs à l’école primaire (ébauche à approfondir, rédigée initialement en 2007).
- Des pistes de questionnement concernant la tolérance mutuelle et le respect dans les écoles secondaires, notamment d’un point de vue socio-culturel (religieux, générationnel, de genre, d’origine sociale…). Il est aussi question de libertés et de responsabilités (de l’élève, des professeurs et des parents).
- Par extension, la question d’un cours de philosophie / éthique / morale / citoyenneté ainsi que d’un cursus d’éducation aux médias (article).
- Un examen des problèmes liés aux programmes imposés par la Communauté française et aux (non-)libertés des professeurs.
L’argumentation développée ci-dessous mérite d’être nuancée, car tout est plus complexe, mais il conviendrait d’en discuter.
Pour une idée plus nuancée, voir également les articles Nouveaux défis, nouveaux cours : éducation critique et philo morale (2009), Défis de l’éducation (2009) et Cours de philosophie et éthique de la communication (2014).
1. En écoles primaires : la question des devoirs
Aucun d’entre ceux qui ont connu les devoirs à l’école primaire n’en est mort (du moins, pas directement, et que je sache). Certes, il faut préserver les joies de l’enfance, le temps libre après lequel on court étant plus âgé, d’autant que toutes les familles n’ont pas le même « temps libre », que les enfants ne bénéficient pas tous du même soutien à la maison. Ce temps libre est une condition de possibilité de la prise de recul : pour plusieurs penseurs, c’est d’ailleurs au sein du temps libre que nait la réflexion « à distance » (cf. skholè). Néanmoins, la question des devoirs se pose aussi au niveau symbolique, de ce à quoi nous accordons ou non de la valeur. C’est une réflexion profonde.
Sans tomber dans les discours (majoritaires !) des alarmistes « anti-enfants-rois », ces moralistes qui ont oublié qu’ils ont été jeunes (et ignorants (et le sont en grande partie toujours)), je pense qu’il est bon de fixer certaines limites, voire frustrations, dès le plus jeune âge, sans nécessairement sombrer dans l’autoritarisme. Il y a une tension entre le fait d’imposer des interdits et obligations, des règles, et le fait de développer l’autonomie et la liberté du jeune. Les doctrines qui proposent de ne travailler que sur l’une de ces deux dimensions sont régulièrement simplistes.
Il est difficile d’affirmer avec certitude que « le niveau baisse », qu’il y a un « nivellement par le bas » (discours populaires souvent méprisants) ou que des pratiques pédagogiques de « jeu » et avec moins de devoirs sont intrinsèquement moins efficaces dans l’absolu.
[Edit 2013] Cela pourrait être un argument en défaveur de l’échec scolaire et des devoirs, qui seraient à la fois inutiles et injustes, puisqu’ils contribuent à reproduire les inégalités. Or, en 2013 en France, on constate que les inégalités sociales n’ont pas disparu : elles ont juste été repoussées plus loin dans le cursus scolaire.
C’est un autre parti-pris didactique de ne pas non plus tomber dans un extrême inverse qui consisterait à dire qu’il ne faut que jouer et ne plus envisager aucun travail individuel / à domicile. De surcroît, habituer un élève à travailler un minimum chez lui peut être un moyen de le préparer aux études secondaires et peut contribuer à développer son autonomie. Enfin, apprendre par soi-même peut procurer du plaisir. Il est réducteur d’opposer plaisir et école, même si la question de se poser au niveau du sens : n’est-il pas préférable de laisser profiter l’enfant de joies dont il sera privé plus tard ? Encore faut-il penser l’éventuel accompagnement du jeune chez lui, les enfants ne bénéficiant pas tous des mêmes conditions plus ou moins favorables à leur apprentissage.
D’un point de vue didactique, il convient d’évaluer l’efficacité des méthodes mises en place. Certains pédagogues envisagent de faire des devoirs autrement, par exemple en faisant les exercices en classe et en proposant de découvrir la matière chez soi (classes « inversées »).
En somme, je crois que les « devoirs » peuvent être une manière de pallier l’échec scolaire, s’ils sont utilisés à bon escient, d’une manière qui a du sens. L’idée est de se situer dans un « juste milieu », de faire la part des choses, de constater la complexité du monde, et non dans des extrêmes idéologiques simplistes.
2. Les programmes [*] en primaire et en secondaire
Une comparaison entre différents systèmes, notamment suite aux tests PISA, invite à préserver un équilibre entre un solide tronc commun et la diversité des matières optionnelles (ainsi qu’un meilleur suivi/encadrement des élèves, et non simplement « abolir l’échec scolaire », comme certains l’interprètent de manière erronée en fonction des résultats PISA). Il semble donc intéressant d’améliorer la cohérence, l’unité de notre formation, sans tomber dans les dérives de « massification » qui réduirait l’institution scolaire à la transmission d’un savoir scolaire unique légitime uniquement à un moment donné (cf. Un bac pour tous ?). Une autre orientation pourrait être de revaloriser les filières techniques et professionnelles et de miser sur une spécialisation plus tôt dans la formation des individus.
Là encore, il s’agit d’un « savant dosage », qui pourrait également voir le jour au sein de cours de philosophie et/ou d’éducation aux médias par exemple (voir l’article suivant : Défis de l’éducation : éducation critique et philo morale). Certes, ce genre de thèmes est abordé dans d’autres cours, mais un des problèmes est qu’il s’agit d’initiatives éparses sur base de vagues consignes, ce qui en fait des cursus non-formalisés, parfois hasardeux (voire grotesques) d’un point de vue méthodologique. A contrario, le système de l’apprentissage de la philo en France, par exemple, semble parfois inique et passer à coté des enjeux de développer des compétences et attitudes critiques (« émancipation » versus « aliénation ») et permettant une société harmonieuse (où grosso modo les gens savent échanger / cohabiter).
Cela pourrait être de l’ordre de l’initiation non notée. Trop de gens ont été ou sont encore dégoutés par un système dont ils ne comprennent pas le mécanisme. Le cas échéant, il est à (re)penser dans ses fondements.
Il faut noter également que la législation en matière de « compétences à atteindre par l’étudiant » ne dispense aucunement de « connaissances à acquérir », ce qu’interprètent souvent à tort autant le sens commun que, malheureusement, certains pédagogues, politiciens et professeurs. Effectivement, le Décret « Missions » de 1997, même s’il est mal compris du fait de son manque flagrant de clarté, définit le terme compétence comme « aptitude à mettre en ouvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ».
En d’autres termes, il ne faut pas tomber dans un laxisme scolaire et mixer les approches plutôt que d’en rejeter une au profit de l’autre. Il n’en a en réalité jamais été question. Il faut donc cesser d’interpréter sans savoir et rechercher à s’approcher d’une logique qui unirait savoirs et finalités ; en bref, de rendre ces savoirs vivants et utiles (sans tomber non plus dans une logique utilitariste liée à la société de consommation, où la pertinence -l’efficience- prime sur la vérité, la culture, l’histoire, etc. ; n’est pas utile que ce qui sert en situation de travail).
3. En écoles secondaires
Je pense qu’il est important d’informer les jeunes par rapport aux différences socio-culturelles, notamment aux religions et à l’éthique, qu’ils soient dans une école confessionnelle ou non. Il faut par exemple que l’on cesse de considérer l’ensemble des musulmans comme des terroristes violents. Ainsi, plutôt que de se limiter aux cours de religion et de morale que l’on oppose traditionnellement, il s’agirait de plébisciter en plus un cours de philosophie pluraliste qui permette de présenter sans dénigrer de nombreuses tendances et préférences en termes de croyances. Le choix critique de l’élève reviendrait donc à pouvoir déterminer en toute connaissance de cause les enjeux d’une éthique personnelle nuancée. Il s’agirait en d’autres termes de favoriser l’engagement citoyen nuancé, la prise de position personnelle et le « vivre-ensemble » constructif, dans un monde plein d’influences plurielles.
Ces cours, pluriels, seront des propositions de cheminement : il ne s’agira pas d’inculquer des pratiques ou de prôner une religion ou laïcité, mais de se comprendre mutuellement !
C’est un point de vue relativement peu partagé, car cela fait peur d’inclure de la religion dans les écoles laïques (et vice versa), mais je pense par exemple que l’individu laïc peut justement développer son opinion critique envers les dogmes et pratiques déviantes à mesure qu’il en est bien informé, et inversement.
Cette démarche permettrait à tous les élèves d’en apprendre davantage sur l’autre, ainsi que de découvrir et comprendre des valeurs, parfois communes ou du moins convergentes. Cela peut aussi amener à éviter que des jeunes tombent dans l’extrémisme, à cause d’une mauvaise connaissance de leur religion. En bref, il s’agirait d’une ouverture philosophique (assortie par conséquent d’un espace de dialogue) au sein de l’école.
Pareillement : prôner une ouverture laïque et critique envers la religion dans des écoles catholiques ou proposant l’enseignement d’autres religions pose question.
Et pourtant, n’en a-t-on pas assez de ces clivages entre laïques et religieux ? Ne devrait-on pas tenter de dépasser des approches qui se basent sur la haine ou le mépris d’autrui, sur des vieilles guerres séculaires ? Ces comportements de fermeture ne témoignent-ils pas de la même attitude dogmatique ?
La proposition consiste à favoriser le respect du pluralisme des vues et des démarches : il n’est aucunement question d’introduire des « arguments d’autorité » dans les décisions à prendre en société. Simplement de mieux se comprendre mutuellement, s’ouvrir et dépasser les pensées préconçues.
Sur la liberté des professeurs
Je pense aussi qu’il convient de rétablir une certaine légitimité et une plus grande marge d’action pour les professeurs, non tant par rapport aux élèves, souvent diabolisés, que par rapport à un système bureaucratique auxquels ils sont parfois confrontés. L’idée est qu’une société qui forme des machines, robots administratifs, qui ne font qu’appliquer, enseigner ou ingérer des lois n’est pas ce que nous voulons. C’est une société humaine, libre, qui est visée. Je pense qu’il faut tempérer la responsabilité des professeurs, ainsi que leur devoir de réserve. Le professeur se doit d’être bienveillant, à l’écoute et « pluridisciplinaire », c’est-à-dire de favoriser l’ouverture aux différents points de vue. En d’autres mots, je pense que favoriser l’esprit critique (celui d’autrui, mais aussi le sien), c’est pouvoir dire « moi je pense ça », « moi, je vous présente Darwin, mais il existe d’autres visions du monde ». C’est pouvoir remettre en question ses croyances, jusqu’à celles les plus profondes (ici : la science, la logique, les droits de l’homme) et en découvrir les forces et les limites. Il n’y a qu’en suivant cette méthode que l’on peut pousser les jeunes à s’engager par eux-mêmes, à faire des choix responsables. Cela n’empêche pas de s’engager, au contraire. Cela pousse seulement à le faire de manière transparente et juste par rapport aux autres croyances.
Pour poursuivre cette argumentation qui me tient à cœur, lire aussi :
- « L’objectivité et la neutralité sont-elles possibles ? »
- « Pour une éthique de la discussion »
- « Faut-il révolutionner les pédagogies ? »
- L’ouvrage collectif (sous la direction de Bernadette Wiame) Enseignant et neutre ? (De Boeck)
[*] NB à propos des programmes : je pense qu’une marge d’action pour les professeurs doit être préservée et/ou rétablie vis-à-vis des programmes qui leurs sont imposés et qui sont parfois perçus comme de véritables boulets, car trop contraignants et difficiles à comprendre. Ces programmes sont d’excellentes initiatives pour réduire les inégalités, mais d’un côté, ils forcent les professeurs à une pseudo neutralité, à un pseudo sens critique et font donc croire que les avis du programme sont objectifs, alors que de l’autre côté, ces programmes sont politisés et ils imposent une matière unique à voir d’un point de vue qui laisse peu de place à l’altérité (on rejoint les idées développées dans Un bac pour tous ?).
Je trouve par exemple que chaque professeur devrait pouvoir donner son opinion (du moins ne pas risquer de sanction pour celle-ci), tout en précisant à chaque fois que cela n’engage que lui, et que ses propos sont susceptibles d’être tronqués par cette « non neutralité » ; cette neutralité illusoire et idéologique à laquelle les enseignants sont supposés se soumettre. En bref, justement, de resituer tout point de vue et toute théorie dans un contexte et une épistémologie. Un « fait scientifique », c’est toujours un homme qui le dit à partir d’un problème pratique qu’il a eu et d’un point de vue qu’il a adopté pour le résoudre/tenter de le comprendre.
Est-ce mieux en effet de prétendre être neutre tout en ne l’étant jamais totalement, ou bien de carrément assumer ce que l’on pense, tout en montrant les autres avis, et en insistant sur l’engagement inévitable que l’on est amené à prendre ?
Je crois encore qu’il vaut mieux être au clair avec ses croyances. C’est saper l’esprit critique que l’on veut inculquer aux jeunes que de leur présenter un point de vue (et même une confrontation de points de vues) comme étant absolument objectifs en tant que tels (un point de vue impliquant par définition la perception humaine).
Même dans les sciences, les mathématiques, il y a notamment des présupposés qui ne sont pas neutres, des croyances qui sont indémontrables (A=A est indémontrable, la théorie de Darwin est indémontrable, et est remise en cause, l’universalité de la théorie de Newton a été réfutée par Einstein, etc. Cf. la catégorie Vérité et épistémologie).
Enfin, si l’on considère que l’éducation est importante pour la démocratie, revendiquer une neutralité totale est une contradiction manifeste.
Votre article m’intéresse d’autant plus que je prépare actuellement un article dont le titre « Le scandale de l’enseignement » annonce la couleur (et fait suite à l’exposé d’autres scandales)… J’approuve votre défense de la « liberté » des Professeurs et votre souci de « solidarité » entre les élèves, mais je suis aussi pour un aménagement des horaires et programmes, dont le poids est inversement proportionnel à la place de l’enseignement français dans le monde dit occidental… 1ère amorce d’une discussion…
Qu’entendez-vous par là, cher ami ? Je ne suis pas certain de comprendre : l’aménagement signifie allégement ou renforcement ?
L’un et l’autre …Autrement dit, plus de « souplesse » et « d’autonomie », pouvant conduire à alléger ce qui n’est pas essentiel, et à renforcer en cas de nécessité (par exemple soutien à des élèves plus lents)…