Article rédigé par Carmen Michels (LinkedIn), dans le cadre du Master en éducation aux médias (Cours d’Enjeux culturels contemporains des médias et de l’éducation aux médias), janvier 2017.
Présentation de l’objet médiatique analysé
Contexte
Logo ! die Welt und ich (« Logo ! le monde et moi ») est un journal télévisé pour enfants. Le journal allemand a été créé en 1988 et est financé par la ZDF, qui est la deuxième chaîne de télévision généraliste publique fédérale allemande. Celle-ci dépense environ 5 millions par année pour Logo ! (l’abréviation de Logo ! die Welt und ich (ZDF, 2014). Le journal vise les enfants et les jeunes de 8 à 12 ans. La durée d’une émission varie entre sept et dix minutes selon l’actualité du jour.
Contrairement à d’autres journaux télévisés, Logo ! présente non seulement les nouvelles informations, mais explique aussi les liens et les dessous de l’actualité. Ce sont ces deux facteurs qui constituent la plus-value de ce journal. Logo ! fait de l’actualité adaptée au niveau des enfants, sans que ces derniers aient besoin de connaissances préalables concernant l’évènement traité. Un autre atout est que Logo ! arrive à expliquer de manière concise et pertinente des phénomènes ou des notions complexes. En utilisant un langage simple et des animations, la rédaction réussit à expliquer des notions comme, par exemple, la crise économique aux tout-petits. Pour certains sujets, la rédaction fournit aussi des fiches de travail correspondantes pour des instituteurs qui souhaitent aborder un sujet quelconque dans son cours.
Le journal, primé d’une multitude de distinctions ces dernières années, a cependant causé une polémique au mois de novembre 2015. Suite aux attentats de Paris, le journal avait décidé de diffuser une édition spéciale. Dans un de ces reportages, Logo ! avait essayé d’expliquer et de relever les causes de cet attentat ainsi que d’autres attentats commis sur le territoire français.
Extrait du reportage
« Mais beaucoup de personnes originaires des anciennes colonies ont immigré en France, dans l’espoir d’y retrouver une vie meilleure. La plupart de ces personnes vivent aujourd’hui dans des quartiers défavorisés et pauvres dans les banlieues des grandes villes. Les émigrants sont souvent au chômage et ne savent plus quoi faire, ce qui les rend fâchés. Souvent, leur religion, l’Islam, est la seule chose qui leur reste. À cette rage s’ajoutent les souvenirs des crimes que la France a commis durant le colonialisme dans leurs pays d’origine. Pour quelques-uns, la colère devient principale : ils sont prêts à devenir violents au nom de leur religion. Dans aucun pays, il y a autant de personnes qui s’affilent à l’État islamique qu’en France. L’État islamique combat chacun qui ne partage pas les mêmes croyances. Pour ceci, l’État islamique a souvent recours à la brutalité comme lors des attentats de Paris ».
Les critiques reprochent aux journalistes le fait que le reportage suggère de manière implicite que la haine des islamistes serait une conséquence du règne des colonies françaises. L’émission déduisait donc, en quelque sorte, que les Français sont coupables pour les attentats. En outre, ils critiquent le fait que les vraies causes et faits de l’Islam ainsi que les objectifs des terroristes ne sont pas vraiment développés. Les critiques adoptent un certain point de vue sur cette émission, on peut dire que leur critique est un perspectivisme, parce que c’est selon leur point de vue que cette émission pose problème, tandis que pour d’autres, le reportage ne donne pas lieu à des critiques.
Après la grande polémique créée par le reportage, la chaîne a décidé de le retirer du site internet, en expliquant vouloir le retravailler et en diffuser une nouvelle version. Mais, même une année après, on cherche en vain ce nouveau reportage.
Le problème que je souhaite analyser est la neutralité de l’info. Le reportage de Logo ! est seulement un exemple d’une problématique que les médias connaissent depuis toujours : la neutralité de l’info. La neutralité de l’information existe-t-elle réellement ou s’agit-il d’une utopie ?
Enjeux et présupposés dans le reportage
Dans cette partie d’analyse des présupposés du reportage, nous interrogeons en quoi celui-ci est problématique et peut avoir véhiculé un point de vue réducteur auprès des enfants. En simplifiant la réalité à une seule dimension, ils peuvent avoir favorisé une interprétation biaisée des idéologies de l’Etat islamique.
Sémantique, pragmatique et principe de coopération
Le reportage ne dit à aucun moment explicitement que les Français sont coupables des attentats commis dans leur pays. Mais, la sélection et l’agencement des propos avancés peuvent engendrer cette interprétation.
Si on analyse la sémantique du reportage (le sens des signes, les mots et les phrases, les liens entre ce qui est dit et la réalité), le reportage ne dit pas que les Français sont coupables des attentats. Or, si on prend, comme le fait la pragmatique en compte, les liens entre les signes et les usagers et, par conséquent, le contexte d’énonciation (lendemain d’un attentat qui a terrifié le monde), on peut supposer que c’est un message que vont retenir certains spectateurs.
La rédaction défend le reportage en disant que celui-ci ne dit à aucun moment de manière explicite que la France est coupable pour les attentats. Or, en réalisant le reportage, les journalistes ont ignoré le principe de coopération qu’implique tout document médiatique. Ce principe, évoqué par Umberto Eco, considère que le sens d’un média est le résultat d’une co-construction entre les émetteurs et les récepteurs d’un reportage. Il me semble que le ou les journalistes n’ont pas réfléchi aux possibilités d’interprétation du public. Sinon, ils auraient dû se rendre compte de l’opinion implicite que transmet le reportage. Il ne suffit donc pas seulement que les journalistes fassent attention au sens forgé par la corrélation des images et des paroles, mais ils doivent également veiller à l’interprétation que peut en faire le public.
Pharmakon
Le mot grec « pharmakon » est utilisé dans le monde des médias pour dire que les médias sont à la fois un remède et un poison.
Selon Bernard Stiegler, les médias sont bien plus un poison qu’un remède. L’audiovisuel a une capacité d’impressionner extrêmement puissante. Dans l’exemple choisi, les critiques se sont acharnés sur le côté vénéneux du reportage. Selon moi, il est faux de prétendre que le média est vénéneux : ce n’est pas le reportage, en tant que tel, qui constitue le danger, c’est l’agencement entre l’approche subjective « moniste » du reportage, la construction de la connaissance ou encore l’influence de l’opinion qui engendrent un risque potentiel (cf. « prêt-à-penser », ci-dessous).
Prêt-à-penser
Dans la Grèce ancienne, Socrate a reproché aux Sophistes d’utiliser le média de l’écriture non pas pour argumenter la capacité de réflexion des individus, mais pour manipuler et empêcher la capacité de réflexion des individus (Stiegler, 2008). Il reprochait donc aux Sophistes d’inciter leurs auditeurs à adopter des idées toutes faites, du prêt-à-penser.
Aujourd’hui, on fait ce même reproche à la télévision. Il existe des spectateurs qui assimilent l’idée comme elle a été fabriquée par les médias et qui l’intériorisent, par conséquent, sans réflexion majeure.
Afin de comprendre ce mécanisme d’assimilation, il est intéressant de prendre en compte le modèle d’apprentissage comme il est perçu par le constructivisme. Celui-ci se produit en quelque sorte en 3 étapes : représentations initiales préalables, conflit cognitif, jugement. Un des fondements de cette théorie est de considérer que les individus n’apprennent pas à partir de rien, on suppose que l’apprenant dispose de savoirs préalables plus ou moins développés. À ce savoir viennent se confronter de nouvelles données, qui peuvent affirmer, compléter ou contredire les savoirs préalables et/ou les préjugés. Dans un troisième et dernier temps, l’apprenant est amené à restructurer ses modèles mentaux en prenant ou non en compte les nouvelles considérations. En connaissance de ce processus, on peut supposer que les spectateurs dont le reportage vient conforter les préjugés risquent davantage de ne pas remettre en question le préjugé véhiculé. Les préjugés sont donc les conditions de possibilité de l’enrichissement de la connaissance, comme ils peuvent être des freins par rapport à celle-ci.
Si même des adultes tombent dans le piège et se conforment à des idées relayées par les médias, sans effectuer le moindre traitement critique de celles-ci, on peut deviner l’ampleur que constitue ce piège pour les petits. C’est pourquoi il est d’autant plus important qu’un journal télévisé qui vise des jeunes prête attention à ce mécanisme.
Le risque est donc que les représentations du monde diffusées à la télé aient un impact sur la manière dont nous le percevons et l’interprétons. Dans l’exemple du reportage Logo !, les jeunes risquent de justifier les attentats par le passé sans chercher d’autres aspects faisant partie de la réalité complexe. Les spectateurs qui acceptent le prêt-à-penser sont ceux qui ignorent le caractère non transparent des médias.
Non-transparence des médias
Ce concept a été défini par Jacques Piette (Jacques Piette, 2007). Selon lui, les messages ainsi que les idées véhiculées par les médias ne doivent pas être conçus comme de simples reflets de la réalité, mais comme des « constructions », des « représentations » de celle-ci.
Les médias ne peuvent donc pas être considérés comme de simples miroirs reflétant la réalité ni comme des fenêtres qui donnent un regard sur le monde. Pour transmettre des représentations de cette réalité, les médias sont amenés à faire des choix.
La télévision est doublement impliquée dans ce choix. Le format audiovisuel est comme son nom le sous-entend composé par de l’« audio » et du « visuel ». Dès lors, le journaliste choisit à la fois des images et des paroles qui coopèrent à forger le sens final du reportage diffusé. Les mots visent à raconter les faits et les images viennent illustrer ce propos.
Or, beaucoup de spectateurs n’ont pas conscience de la non-transparence des médias. C’est cette ignorance qui révèle un des enjeux du reportage en question. À cette ignorance s’ajoutent les présupposés journalistiques et la construction de connaissance.
Ce n’est donc pas le reportage seul, mais l’agencement de plusieurs facteurs, abordés dans la suite de ce travail, qui crée la problématique.
Prétention à l’objectivité
« Le journaliste est censé nous rapporter les informations telles qu’elles se sont passées et faire ainsi preuve d’objectivité » (Boukon ; Gillon ; CSEM, 2016, p. 278).
Cette phrase présente parfaitement des présupposés épistémologiques et moraux des pratiques journalistiques. Cela correspond à ce que Aubenas et Benasayag appellent « l’idéologie du fait vrai ». Cette prétention à l’objectivité occulte le choix d’un angle, d’une perspective particulière. Ce sont exactement ces présupposés qui posent problème dans le reportage choisi.
Logo ! die Welt und ich, est un journal télévisé, et un certain nombre de personnes présupposent que les reportages sont objectifs et ne relayent que des faits réels.
Dans la partie suivante, j’analyse le reportage en mobilisant les présupposés épistémologiques et moraux du journalisme.
Les critiques reprochent à Logo que le reportage est subjectif et transmet donc un point de vue précis. Mais l’objectivité existe-t-elle réellement dans le monde des médias ?
C’est une question à laquelle la philosophie cherche à répondre depuis longtemps. Est-ce que l’objectivité ne constitue pas plutôt une caractéristique propre à l’objet qui est indépendant de son penseur ?
D’un point de vue constructiviste, une observation constitue déjà un jugement : il paraît que dès qu’on extériorise un objet : dès qu’on parle, dessine ou réfléchit à un objet quelconque, on rentre dans la sphère de la subjectivité. Un reportage ne peut pas être considéré comme objectif parce qu’il s’agit d’une construction qui, dès lors, implique des choix. C’est ce qu’explique Jacques Piette avec l’idée de « non-transparence », expliquée ci-dessus.
Le sujet d’un reportage constitue déjà un premier choix. Pourquoi traiter tel sujet plutôt que tel autre ? La rédaction a choisi de parler des raisons qui expliquent pourquoi la France est devenue la cible des terroristes, alors qu’ils auraient pu parler des raisons générales qui poussent les terroristes à commettre de tels crimes ou des valeurs partagées par ces derniers. Mais la création d’un reportage implique aussi des choix au niveau technique : le choix du cadrage, la construction du reportage, le choix des images, la musique, la voix off : tous ces éléments impliquent des choix de la part du réalisateur.
Or, dans ce cas précis, ce ne sont pas les procédés techniques comme par exemple les images, la musique ou le cadrage de la caméra qui induisent l’interprétation que les Français sont responsables des attentats. Selon moi, les journalistes auraient dû multiplier les facteurs (pluralisme) et ne pas donner le colonialisme comme seule explication du fait que les terroristes ont commis cet attentat (cf. « monisme », infra).
Vérité/fausseté et vraisemblance
Je tiens à préciser que les informations que contient le reportage ne sont pas fausses : il est vrai que l’État français à l’époque a mené de longues guerres et, par conséquent, causé beaucoup de souffrances à la population africaine. Ce n’est donc pas la véracité des éléments présentés, mais le choix de présupposer que les faits d’aujourd’hui sont liés aux évènements du passé. Un autre élément qui pose problème découle des faits que la rédaction a choisi de ne pas relever. Le fait d’expliquer la motivation des terroristes radicalisés uniquement par leur souvenir des atrocités commises par les Français donne une vision biaisée et parcellaire de la réalité.
En ne présentant qu’un seul aspect d’une réalité complexe, on peut supposer que le reportage est moins fiable à la réalité. Or, le journal excuse ceci en expliquant qu’ils ont voulu vulgariser la thématique pour qu’elle soit compréhensible pour le jeune public.
Perspectivisme et monisme
Le terrorisme est une réalité complexe et sans doute difficile à expliquer en 2 minutes. Cette réalité comme toute autre peut être abordée de plusieurs façons. La rédaction a choisi d’expliquer aux enfants pourquoi des personnes deviennent radicales et commettent des attentats. Or, pour répondre à cette question, les journalistes donnent comme principale raison les conflits qui existaient entre les Français et les pays africains à l’époque du colonialisme, alors qu’ils auraient très bien pu expliquer ceci en présentant seulement les valeurs partagées par les terroristes : « la plupart des Musulmans sont des êtres humains comme toi et moi. Mais, dans leurs rangs, il y a une minorité qui déclare la manière dont nous vivons comme vilain/malfaisant. Ils jugent les personnes qui vont au cinéma où qui sortent le soir dans les discothèques comme inférieures et désirent tuer celles-ci. Or, leur religion connaît aussi des commandements, dont un des péchés majeurs est « tuer une vie humaine » (Sourate 4, verset 93).
Notons que cette proposition véhicule à nouveau un point de vue moniste, parce qu’elle véhicule l’idée partagée par certains extrémistes qui est de dire « ils en veulent à notre mode de vie ».
L’explication donnée dans le reportage n’est donc qu’une seule perspective. Il s’agit d’un exemple du perspectivisme non relativiste, parce que si Logo ! a choisi cette perspective, on peut donc estimer que la rédaction trouve que ce point de vue est plus pertinent que d’autres pour juger la réalité. Or, on ne peut pas savoir si cette posture est consciente et assumée par les journalistes impliqués.
En ne présentant qu’un seul et unique point de vue (monisme), les enfants pourraient croire qu’il n’existe pas d’autre explication que la perspective selon laquelle le monde occidental et, plus précisément la France, aurait provoqué ces attentats par les crimes commis dans le passé. La rédaction aurait dû soit préciser que ceci n’est simplement qu’un seul élément de la réalité complexe ou ajouter d’autres éléments pour nuancer davantage.
De plus, je trouve que les raisons géopolitiques qui sont liées à la problématique ne sont pas la chose la plus importante à savoir le lendemain d’un tel événement. Même si cette position est elle aussi le fruit d’une perspective particulière.
Constructivisme
Le constructivisme dit que le sujet joue un rôle actif dans la création des connaissances. Cette conviction pourrait calmer les esprits des détracteurs, car cette vision diminuerait la problématique du « prêt-à-penser » : l’idée selon laquelle les spectateurs intériorisent les idées sans réflexion majeure. Cependant, on peut se demander si le jeune public n’est pas encore trop jeune afin de construire lui-même une connaissance suffisamment nuancée et complexe par rapport à un domaine aussi sensible que le terrorisme. En effet, ce n’est pas parce que le sujet a un rôle actif dans la construction de ses représentations qu’il se construit nécessairement des représentations critiques et nuancées, et ce de manière autonome.
Il s’agit d’un sujet qui touche la sphère émotionnelle, l’enfant risque donc de réagir à chaud. La raison et la construction du savoir impliquent cependant de pouvoir prendre du recul face à une thématique. Il est donc improbable que les jeunes spectateurs, le lendemain d’un tel cauchemar, soient capables de prendre du recul pour forger une opinion critique concernant une telle thématique. Ceci dit, je présuppose ici un certain manque d’autonomie des enfants à se forger leur propre opinion de manière critique. Et, dans ce sens, les médias peuvent être considérés comme un pouvoir aliénant, ils ont la capacité de faire adhérer les citoyens à une opinion. L’enfant va donc se construire une opinion en fonction des éléments à sa disposition et de ses propres représentations initiales, mais celle-ci aura sans doute été fortement influencée et biaisée par l’approche du reportage.
Conclusion de l’analyse
Un document médiatique n’est jamais totalement objectif. Or, dans le cas présent, j’estime que la rédaction, en ne présentant qu’une seule perspective décomplexifie le sujet à tel point que les journalistes ne se sont pas rendus compte du monisme présent dans leur reportage. Dans ce cas, selon moi, le monisme est un mauvais choix, parce qu’il s’agit d’un sujet qui risque de stigmatiser des nations et/ou religions. Il faut donc, surtout si on essaye d’expliquer les causes des attentats, veiller à donner le plus de perspectives possibles. Je pense qu’ils n’avaient pas l’intention de faire croire aux gens que la France a provoqué ces attentats. Cependant, même en prenant en compte le contexte de production, le fait que les journalistes aient travaillé dans l’urgence, ceci n’excuse pas que les journalistes n’aient pas pris du recul pour remettre en question le résultat, leur reportage. Les journalistes du journal télévisé belge « les Niouzz » ont également dû travailler dans l’urgence et n’ont pas donné lieu à une telle polémique (Les Niouzz, lundi 16 novembre 2015).
Ce que je reproche à Logo ! est d’avoir fait l’économie d’une réflexion déontologique de leur reportage. Il semble qu’ils n’ont pas pris en compte le récepteur, ses attentes, ses représentations mentales ainsi que les effets des contenus diffusés. Selon moi, la rédaction d’un journal télévisé pour enfants porte, comme toute rédaction, une responsabilité par rapport au public, au contexte social et aux messages communiqués, surtout s’il s’agit d’une thématique aussi complexe et sensible que le terrorisme.
Dispositif pédagogique
L’importance que ce sujet a dans l’éducation aux médias
L’éducation aux médias vise à rendre chaque citoyen actif, autonome et critique face aux objets médiatiques, c’est pourquoi il me semble intéressant de décortiquer une manière courante de fonctionner de la part des médias, à savoir le fait de défendre, développer ou dévoiler un point de vue unique d’un évènement.
J’estime qu’il est utile, voire indispensable, de comprendre que chaque producteur médiatique opère des choix, tant au niveau des images, de l’information diffusée, de l’analyse apportée à un fait/évènement, pour finalement diffuser un produit fidèle à sa vision du monde, en laissant de côté, volontairement ou pas, les autres points de vue évoluant autour de ce même sujet. Un citoyen responsable doit prendre conscience de cet état de fait : les médias nous offrent une représentation de la société, pas la société dans sa réalité. Ceci dit, les usagers doivent comprendre la « non-transparence » des médias : le fait que toute information est produite et, par conséquent, construite et que l’usager ne peut donc pas appréhender cette information comme la réalité.
Ayant conscience de ce fait, l’usager médiatique peut donc veiller aux éventuels points de vue présents dans les médias et dans la vie de tous les jours. Dès lors, l’usager peut se rendre compte de ses propres points de vue adoptés dans la vie de tous les jours. Non seulement la réflexion mais aussi la mémorisation et, par conséquent, la communication du penseur dépend des points de vue sélectionnés inconsciemment.
Tension éducation – protection : du danger au risque
Selon moi, prenant en compte le contexte de l’énonciation (le lendemain des attentats) et l’âge des spectateurs, les spectateurs de Logo ! constituent, dans ce cas précis, un public fragile. Afin de protéger les jeunes du risque qu’ils « gobent » les informations sans réflexion majeure, je considère qu’il n’est pas possible de les protéger et faire en sorte qu’ils ne soient jamais confrontés à des points de vue véhiculés par les médias. Au contraire, il faut les rendre aptes à pouvoir consciemment prendre en compte les enjeux tels que les points de vue véhiculés dans les médias afin de pouvoir créer leur propre opinion.
En apprenant aux spectateurs que les médias sont des constructions et que, par conséquent, une représentation ne peut être totalement objective, on peut considérer que cet apprentissage transforme le danger en risque. On va en quelque sorte conscientiser le danger. Si l’usager connaît cet enjeu, il peut consciemment y prêter attention.
Dispositif
Public : adolescents à partir de 15 ans. J’ai choisi cet âge pour pouvoir traiter la problématique plus en profondeur.
Cadre : scolaire
Compétences sollicitées
- Analyse de documents médiatiques
- Questionnement à l’aide d’une grille d’analyse
- Eveil de l’esprit critique
- Exprimer ses propres opinions et pouvoir les confronter à d’autres
Matériel : extraits de fiction, documentaire, journaux télévisés
Pour développer la thématique, je propose divers supports médiatiques : des films, un documentaire et un journal télévisé. Parce qu’on retrouve la thématique des points de vue à la fois dans des films, documentaires mais aussi aux journaux télévisés.
Déroulement du cours
1. Exercice d’introduction « point de vue »
Demander aux élèves d’écrire 5 lignes sur ce qu’ils voient dans la salle de classe. Ensuite, demander à quelques élèves de lire ce qu’ils ont écrit.
Ceci permet de démontrer que même si chacun a vécu une même réalité (tout le monde se trouvait au même moment au même endroit), chaque élève pointe différents éléments et a donc un certain point de vue. La métaphore des lunettes permet d’illustrer le phénomène que la vision de la réalité change en fonction du paradigme qu’on adopte.
Chaque point de vue détient à la fois « un domaine de pertinence » et des « limites ». Ceci dit, chaque point de vue offre d’observer quelques éléments de manière efficace et peut, par conséquent, augmenter la connaissance. Or, il y a toujours également des choses que le point de vue choisi ne permet pas de voir. Cela dépend de l’objet qu’on regarde et des buts que l’on poursuit (Lecomte, 2010).
2. Clarifications des termes : fiction, documentaire et journaux télévisés.
Avant de visionner plusieurs extraits provenant de différents genres médiatiques, il m’apparaît essentiel de revenir un instant sur les caractéristiques qui différencient ces supports pour que ces derniers comprennent les nuances entre ces différents corpus.
3. Extraits
3.1. Extraits de fiction
Confronter plusieurs extraits de films « La belle au bois dormant » et « Maléfique ». Ces deux films racontent la même histoire, mais selon deux points de vue différents.
Maléfique : je choisirais plusieurs petites séquences qui montrent le passé de Maléfique : une gentille petite fille qui tombe amoureuse d’un garçon et qui, par la suite, est trahie par celui-ci. Ces différentes séquences expliquent la raison pour laquelle son cœur s’est transformé en pierre.
La belle au bois dormant : je choisirais l’extrait qui montre la scène du baptême de la petite Aurore qui se transforme en véritable cauchemar suite à l’arrivée de Maléfique qui lui jette un mauvais sort.
Ce que je souhaite mettre en avant : l’idée de qui est le méchant, qui est le gentil dépend de la position de la personne qui juge. Il est donc essentiel de connaître les deux points de vue pour être le plus objectif possible. Cet extrait montre clairement qu’en fonction de la manière dont on raconte une histoire, la perception entre le mauvais et le bon peut être complètement opposée.
Je trouve qu’il est bien d’introduire le sujet en utilisant des extraits de fiction. Ceci permet de présenter la matière de manière plus légère. De plus, cela permet de comprendre que les points de vue on les trouve dans tous les genres médiatiques.
3.2. Extraits d’actualité
Les journaux télévisés nous informent chaque jour au sujet des conflits actuellement en cours sur la planète. Dans ce cas-ci, je propose par exemple de visionner un reportage de la RTBF concernant l’action de la Russie en Syrie [début 2017] et de demander aux jeunes d’expliquer quelle est la position de la Russie dans le conflit syrien et comment la Russie justifie son action ?
Dans un deuxième temps, il est intéressant de leur soumettre un article provenant du site d’information russe « Russia Today » et de leur poser ensuite les mêmes questions.
Ce que je souhaite mettre en avant : les journalistes, qu’ils le veuillent ou non, véhiculent parfois des opinions, des points de vue concernant les conflits. Il est en effet courant que les citoyens adhèrent à la position prônée par leur gouvernement dans un conflit. Il me semble donc important d’avoir accès aux points de vue de tous les partis afin que chacun puisse juger une situation sur une base qui sera la plus objective possible.
4. Censure, politique…
Selon moi, il est important d’expliquer aux enfants que ce n’est pas toujours la responsabilité du journaliste si le reportage ne montre qu’un seul point de vue. Il est possible qu’il n’ait tout simplement pas accès à l’information ou qu’un gouvernement domine et dirige la couverture médiatique d’un conflit. Il me semble donc important d’aborder des notions complexes comme par exemple : la censure, l’orientation politique ou idéologique des journaux. On pourrait éventuellement montrer un extrait du documentaire « Why we fight ». Après la défaite au Vietnam, le gouvernement américain a décidé de changer sa façon de communiquer au sujet de la guerre. Ils ont commencé « to shape the news ». Les journalistes acceptent parce qu’ils ont besoin de ces personnalités politiques pour réaliser des interviews.
5. Grille d’analyse
- Qui a produit ces images ?
- Dans quel but ?
- Dans quel contexte ?
- Quel langage/code est utilisé ?
- Le média reprend-il au moins deux points de vue ?
- Ou y a-t-il un point de vue majoritaire ?
- Après avoir visionné un reportage ou lu un extrait ou encore vu un film
- Y a-t-il encore des questions auxquelles le média n’a pas répondu ?
- Multiplier les sources.
En proposant aux élèves une série de questions que ceux-ci peuvent se poser en regardant un reportage, on leur donne un outil qui leur permet de révéler des éventuels points de vue véhiculés par les médias.
Limites du cours envisagé
Le risque qui émane d’un tel cours est que les jeunes ne deviennent paranos et pensent qu’il faut être méfiant de tout à la fin du cours. L’enseignant doit donc veiller à nuancer et ne pas trop stigmatiser les médias comme étant des manipulateurs. Il faut leur faire comprendre que l’objectif n’est pas de se méfier de tout, mais de prendre en compte ce phénomène lorsqu’ils traitent des informations relayées par les médias. Ceci leur permet d’être eux-mêmes plus objectifs et d’adopter consciemment un point de vue.
Les étudiants peuvent prendre en compte le fonctionnement des médias, ils peuvent multiplier leurs sources, pourtant ceci ne les protège pas de manière absolue. Il n’existe pas de formule magique afin de solutionner la problématique. Parce que même en multipliant les sources, je ne sais pas si les sources me mentent. Mais au moins, on peut diminuer le risque en conscientisant les spectateurs et en leur donnant des « outils de défense ».
Esprit critique
Confronté à un document médiatique quelconque, l’usager doit donc essayer d’user de sa pensée critique afin de répertorier des éventuels partis pris.
Jacques Piette s’est interrogé sur la fonction critique dans le cadre de sa thèse. Il a utilisé un modèle qui s’inspire des courants de la théorie de la communication pour identifier ce que les éducateurs en média ont en tête quand ils utilisent le terme de l’esprit critique.
Dans le dispositif proposé, on a recours à l’esprit critique comme il est perçu selon le modèle sémiologique : l’objectif est que chaque citoyen parvienne à comprendre la façon dont s’y prennent les médias pour signifier et imposer certains cadres interprétatifs.
Cette perspective suppose donc que les citoyens, connaissant le fonctionnement des médias, deviennent plus critiques envers les productions médiatiques. Cette autonomie suppose l’autonomie du jugement.
Selon Gadamer, l’individu peut atteindre un plus grand niveau de compréhension s’il prend conscience des préjugés et perspectives à l’origine des représentations de chacun.
Position de l’éducateur aux médias
Position normative
Dans le dispositif présent ci-dessus, j’occupe une position normative. « Il faut que vous soyez attentifs aux points de vue véhiculés par les médias ».
Pluralisme
Le dispositif varie les méthodes : il mêle le modèle de l’empreinte et le modèle constructiviste interactif. Il y a une partie du cours qui demande à l’élève d’être attentif et de rester passif, tandis qu’il y a aussi beaucoup de moments où l’élève peut prendre la parole et construire sa propre connaissance en interagissant avec le reste de la classe. Il me parait évident d’opter essentiellement pour le modèle constructiviste interactif pour inciter les jeunes à prendre la parole.
De plus, le dispositif propose d’aborder la thématique selon différents genres médiatiques : la fiction et le journal télévisé.
Perspectivisme non relativiste
Je suis consciente du fait que si j’ai choisi d’aborder la thématique d’une telle manière, cela implique que je suppose qu’elle a plus de valeur que d’autres.
Retour quant à la pratique de l’éducation aux médias
Je souhaite conclure ce travail par un retour praxéologique, qui permettrait d’identifier les fondements, le sens et la signification de la pratique éducative proposée.
J’estime qu’il est important pour tout dispositif en éducation aux médias de prendre en compte que les têtes des étudiants ne sont pas des récipients vides. Il est important, que l’éducateur base son approche sur ce que les étudiants savent déjà. Autrement, on risque d’ennuyer l’étudiant et de perdre l’intérêt qu’il porte à son cours.
Selon moi, l’animateur doit également veiller à ne pas remplacer les idées reçues des apprenants par ses propres. Selon moi, un cours parlant des points de vues présents dans les médias, implique de la part de l’enseignant d’être clair avec ses propres tendances et préjugés, non seulement pour soi-même, mais également pour autrui. Il est donc important que les élèves peuvent reconnaître des éventuels présupposés de l’enseignant et comprendre que l’enseignant est lui-même un intermédiaire entre les médias et la réalité.
En tant que future éducatrice aux médias, j’estime qu’il faut éviter une position protectionniste vis-à-vis des médias. Il ne faut pas diaboliser les médias, mais approcher les phénomènes selon l’idée du risque pensé d’Isabelle Stengers. Selon elle, les étudiants doivent comprendre à quoi ils peuvent être confrontés dans les médias et apprendre comment ils peuvent y réagir.
Bibliographie
Bernard Stiegler (2008, mis en ligne 20 novembre). Interview par Eric Favey [Retranscription]. Récupéré le 20 décembre 2016 du site de Collectif Interassociatif Enfance et Media (CIEME).
Bouko, C., Gilon, O. et CSEM, (2016). Vivre ensemble dans un monde médiatisé : La neutralité.
Lecomte, J. (2010) Epistémologie : vulgarisation pour des élèves de secondaire. Récupéré le 25 décembre 2016.
Anonyme, (2014) Nachrichtenmagazine und Kosten: Profile und Kosten. Récupéré le 2 décembre 2016.
Anonyme. [OnlyTheTruthisTrue]. (2015, 20 novembre). ZDF Tivi Logo Nachrichten Frankreich Paris 13.11 Anschläge IS Kolonien [Vidéo en ligne]. Récupéré le 1 décembre 2016.
Les Niouzz « Lundi 16 novembre 2016 » Récupéré le 10 décembre 2016 (désormais plus en ligne).