Par Quentin Ruyant, Docteur en philosophie des sciences
Quentin Ruyant est un ancien ingénieur en développement logiciel, passionné de philosophie des sciences et de l’esprit. En 2017, il a présenté sa thèse de doctorat sur l’empirisme modal. Depuis plusieurs années, il vulgarise par ailleurs des pans entiers de philosophie des sciences dans différents articles de blog, que je relaie régulièrement dans l’espace Documentation de ce site, notamment.
- Philosophie des sciences – Blog de vulgarisation pour la philosophie des sciences
- Blog Un Grain de sable
- Blog Physics and the Mind
- Thèse de doctorat : L’empirisme modal
- Modal Empiricism – Blog consacré à la thèse de Quentin Ruyant, en anglais
Dans cet article, il propose de résumer son travail de thèse.
Ma thèse a porté sur la défense d’une position originale philosophie des sciences : l’empirisme modal.
Les théories scientifiques sont-elles vraies ?
On peut avoir une attitude plus ou moins sceptique vis-à-vis du contenu des théories scientifiques (ou des croyances en général) : les théories scientifiques sont-elles vraies ou seulement utiles ? Décrivent-elles une réalité qui existe indépendamment de nos représentations ou se contentent-elles de rendre correctement compte des phénomènes observables et de faire des prédictions ?
Ces différentes attitudes sont souvent basées sur des intuitions, par exemple : les théories changent sans cesse, pourquoi devrait-on prétendre avoir atteint la vérité aujourd’hui ? Elles sont abstraites et éloignées de notre expérience courante (après tout, personne n’a jamais vu d’électron), notre expérience courante n’est-elle pas finalement plus fiable et certaine ? Il n’y a que les observations qui confirment les théories. D’un autre côté, la science est couronnée d’un incroyable succès prédictif et technologique : elle permet de découvrir de nouveaux phénomènes étonnants, des choses qu’on n’aurait pas imaginées possibles avant les théories. Comment expliquer ce succès autrement que par le fait que la science permettrait d’atteindre quelque chose de la nature de la réalité ? N’est-ce pas un indicateur de vérité ?
Lire aussi :
Philosophie des sciences – La science, ce ne sont que des théories ?
Philosophie des sciences – Les électrons existent-ils ? (1)
Philosophie des sciences – Les électrons existent-ils ? (2)
Le rôle de la philosophie dans ce domaine est de donner corps à ce type d’intuitions : d’abord poser clairement le problème, puis donner à ces intuitions sceptiques ou optimistes la forme d’arguments, enfin débattre et essayer de trouver des solutions plus ou moins sophistiquées qui répondent à ces arguments.
Aujourd’hui, le débat sur le réalisme scientifique (la question de savoir si les théories sont vraies, décrivent correctement la réalité) est assez bien balisé et les arguments qui structurent le débat sont bien connus (j’en évoquerai certains à la fin de cet article).
Ce débat prend la forme d’une opposition entre deux grandes familles de positions : l’empirisme et le réalisme.
L’empirisme et le réalisme en philosophie des sciences
L’empirisme est une famille de positions philosophiques mettant l’accent sur le rôle de l’expérience dans l’acquisition de connaissances.
Ainsi on peut qualifier les positions suivantes d’empiristes :
- II n’existe pas de connaissance innée du monde, notre esprit à la naissance est une page blanche, tous nos concepts sont forgés au contact de l’expérience.
- Nous ne disposons pas d’intuition rationnelle qui nous ferait accéder à des « vérités premières » d’ordre métaphysique sur la réalité. La raison ne fait qu’organiser nos concepts acquis, établir des relations entre idées, forger des habitudes ou attentes sur les expériences à venir.
- Ce qui ne peut être confirmé ou infirmé par l’expérience, ce qui n’est pas en lien direct avec l’observation, est toujours douteux, en particulier ce qui relève de la métaphysique.
En somme, l’empirisme est une attitude sceptique qui met l’accent sur l’expérience et l’observation, et ceci l’amène à mettre en doute les postulats qui vont au-delà de l’expérience directe.
Ce doute peut concerner par exemple les entités postulées par les théories scientifiques : les électrons pourraient être utiles pour rendre compte de nos observations expérimentales, mais on devrait rester agnostiques quant à leur existence réelle (peut-être qu’une future théorie physique ne les postulera plus).
Ce doute concerne aussi traditionnellement l’idée qu’il y aurait de la nécessité dans la nature : par exemple, que certains phénomènes devraient se produire ou que d’autres sont impossibles (qu’un objet pesant doit tomber quand on le lâche), parce qu’ils seraient gouvernés par des lois de la nature, ou parce que ce serait leur essence, leur nature, de se comporter ainsi.
Pour les empiristes (comme Hume au 18ème siècle), cette idée est trop métaphysique : nous n’avons pas accès à l’essence des choses, nous n’observons jamais de telles relations de nécessité, nous n’observons pas directement de lois de la nature ni de rapports causaux, seulement des régularités dans nos observations, et donc nous devrions nous contenter de rendre compte de ces régularités observables sans prétendre aller au-delà.
Les empiristes célèbres sont Locke, Hume, et plus récemment Carnap et Quine.
Hume en particulier allait jusqu’à être sceptique à propos de l’induction (le raisonnement qui consiste à généraliser sur base d’observations particulières) : nous voyons le soleil se lever chaque matin, et forgeons certaines attentes quant au fait qu’il se lèvera demain, mais ce type de généralisation ne relève pas véritablement de la connaissance : il s’agit simplement d’acquérir certaines « habitudes de l’esprit ».
Les empiristes contemporains sont rarement aussi radicaux. Ils acceptent généralement que l’induction est une inférence valide. Mais ils partagent un certain scepticisme vis-à-vis de l’idée de nécessité dans la nature, des entités inobservables, des positions métaphysiques (comme le déterminisme ou le réductionnisme) ou plus généralement de tout ce qui va au-delà de l’observation et ce qui est utilisé pour expliquer ces observations plutôt que simplement en rendre compte.
C’est ce qui oppose l’empirisme au réalisme, qui se veut plus optimiste quant à nos possibilités de connaître la réalité.
Dans le domaine particulier de la philosophie des sciences, on peut caractériser l’empirisme comme l’idée que le but de la science n’est pas de produire des théories ou explications vraies, ce n’est pas de décrire la nature fondamentale de la réalité, c’est seulement de produire des théories empiriquement adéquates, c’est à dire des théories rendant compte de manière synthétique de tous les phénomènes observables.
L’empirisme peut y être conçu comme une manière de rendre compte de l’activité scientifique, des « règles du jeu » de la science à un niveau collectif (au-delà des croyances de tel ou tel scientifique) : ce qui compte, l’arbitre ultime en science, c’est seulement l’adéquation empirique, et non la vérité, car cette dernière est en principe inatteignable.
Lire aussi :
Philosophie des sciences – Scientisme et empirisme
L’empirisme modal, une position intermédiaire entre empirisme et réalisme
J’ai proposé dans ma thèse une position originale dans le débat sur le réalisme scientifique qui est une position empiriste : l’empirisme modal.
Cette forme d’empirisme se veut légèrement plus proche du réalisme que les versions traditionnelles d’empirisme, de manière, je pense, à constituer un compromis acceptable dans le débat (je mentionnerai les arguments du débat plus loin).
En tant qu’empirisme, elle reste centrée sur la notion d’observation, mais sa principale caractéristique est d’accepter l’idée, traditionnellement rejetée par les empiristes, qu’il y ait du possible et du nécessaire dans le monde (et pas seulement « dans nos têtes ») : le but de la science est de rendre compte de tous les phénomènes observables possibles, au sens de possibilités physiques.
En d’autres termes, tout en privilégiant l’observation de phénomènes particuliers, l’empirisme modal se rapproche du réalisme en considérant que les théories peuvent rendre compte de manière adéquate de tous les phénomènes observables possibles, et donc de formes de nécessités dans le réel.
Ce qui est nécessaire est en effet compris par les philosophes comme ce qui vaut pour tous les possibles. En philosophie, le terme « modal » désigne les notions de possibilité et de nécessité. C’est pourquoi la position décrite ici s’appelle l’empirisme modal.
Une grosse partie de mon travail s’est concentrée sur l’analyse de la notion d’adéquation empirique. On peut comprendre l’empirisme modal comme une théorie de ce qu’est l’adéquation empirique, ou la correspondance entre théories et faits observables. Autrement dit, comme l’idée qu’une théorie doive rendre correctement compte de tous les phénomènes observables possibles, et non seulement des phénomènes effectivement instanciés.
L’adéquation empirique : un rapport de correspondance entre les théories et les phénomènes observables possibles
Les empiristes contemporains (comme van Fraassen) comprennent l’adéquation empirique comme le fait, pour une théorie, d’être capable de produire un modèle de l’univers qui contiendrait l’ensemble des phénomènes observables. Il s’agit des phénomènes passés, présents et futurs, et ceci comprend même les phénomènes qui ne sont pas effectivement observés (ce dont on peut rendre compte par induction). La notion de possible n’y est pas incluse.
Selon van Fraassen, c’est la bonne façon de rendre compte des « règles du jeu » de la science.
Selon moi, cette façon de comprendre l’adéquation empirique n’est pas la bonne.
Par certains aspects, elle est trop ambitieuse, en demandant aux théories de produire un modèle de l’univers. L’expérimentation est située, et il suffit donc qu’une théorie soit capable de produire des modèles dans chaque situation qu’on peut expérimenter pour être empiriquement adéquate. Pas besoin d’un modèle de l’univers : il suffit de modèles théoriques adaptés à chaque situation.
Lire aussi :
Philosophie des sciences – Théories et modèles
Sous d’autres aspects, cette notion n’est pas assez ambitieuse. Je pense qu’une théorie doit rendre correctement compte de tous les phénomènes possibles, et pas uniquement de ceux qui se produisent effectivement, différents modèles théoriques correspondant à différentes situations expérimentales possibles.
[Note : le fait de ne pas exiger de la théorie qu’elle puisse produire un modèle de l’univers permet d’offrir cette souplesse, ces deux points sont donc liés].
L’intervention dans l’expérimentation en sciences
Je me suis appuyé, pour défendre ce point, sur le rôle de l’intervention dans l’expérimentation. L’expérimentation en sciences n’est pas une activité passive consistant à enregistrer des observations. C’est une activité qui consiste à créer des situations expérimentales qui ne se produiraient pas forcément naturellement, à contrôler certains paramètres…
Lire aussi :
Philosophie des sciences – Observation et expérimentation
Selon moi, cela montre que ce qui motive les scientifiques (leurs « règles du jeu ») est de rendre compte de tous les phénomènes possibles, tous ceux qu’on pourrait produire.
Si les scientifiques voulaient seulement rendre compte des phénomènes effectivement instanciés dans l’univers, ils ne prendraient pas le risque de produire de nouveaux types de phénomènes. Ils se contenteraient de confronter passivement les théories aux phénomènes naturels qu’ils peuvent déjà observer.
[Note : il s’agit en fait de l’extension d’un argument de van Fraassen, initialement destiné à étendre l’adéquation empirique aux phénomènes qui ne sont pas effectivement observés : je propose une extension à ceux qui ne sont pas même instanciés].
L’idée, en somme, est la suivante : pour chaque situation expérimentale que nous rencontrons, on peut envisager plusieurs interventions possibles et plusieurs résultats concevables suite à ces interventions. Le rôle de l’expérimentation est de nous dire lesquels, parmi ces résultats concevables, sont en effet des possibilités physiques. On procède par induction : nous observons un échantillon qu’on pense représentatif des possibilités physiques, ce qui nous permet de généraliser et ainsi d’acquérir une connaissance de ce qui est possible ou non.
Lire aussi :
Idée reçue : les théories scientifiques font des prédictions
Proximité et différences avec le réalisme
En quoi cette position de distingue-t-elle d’un réalisme ?
L’empirisme modal estime qu’il y a un rapport d’adéquation entre les théories et les phénomènes du monde
Après tout, en étendant cette adéquation à ce qui est possible et impossible, il affirme que nous connaissons des choses qui se rapprochent fortement de lois de la nature gouvernant les phénomènes.
N’est-ce pas donc que nos théories décrivent certains aspects « métaphysiques » de la réalité, sa nature ?
Si c’est ce qu’affirme l’empirisme modal, il se rapproche fortement d’une position réaliste qui a également été proposée comme compromis entre réalisme et empirisme dans le débat philosophique : le réalisme structural, qui affirme que nos théories ne sont pas strictement vraies, mais qu’elles décrivent correctement la « structure nomologique » de la réalité, c’est-à-dire les relations de nécessité physique entre phénomènes.
Je m’étais intéressé au réalisme structural pour mon mémoire de Master, et ce n’est donc pas un hasard que je défende une position proche dans ma thèse.
Selon moi, il y a des différences importantes.
L’empirisme modal se passe de postulats métaphysiques explicatifs des régularités observées
La première est méthodologique. Dans l’empirisme modal, la justification des théories est entièrement inductive : on généralise sur la base d’observations. Il n’est jamais question d’expliquer les phénomènes ou leurs régularités par des postulats qui dépassent nos observations (l’existence de lois de la nature), mais seulement de rendre compte de ces phénomènes de manière synthétique. Il s’agit seulement de l’ensemble des phénomènes possibles.
L’idée de nécessité est relative à notre contexte, à nos capacités et à nos outils d’observation
La seconde différence, qui est liée, est que l’ensemble des phénomènes possibles dont il est question se limite aux possibilités qui nous sont accessibles depuis notre position dans le monde. Il n’est jamais question d’avoir atteint la totalité des phénomènes possibles.
Ainsi la loi de la chute des corps de Galilée qui stipule que les corps accélèrent vers la Terre à 9.8 m/s² est bien une loi de nécessité : elle vaut pour un ensemble de chutes de corps pesant possibles, mais elle reste limitée à un contexte qui limite l’étendue de ces possibles : il faut être à la surface de la Terre, et une catastrophe cosmique faisant perdre à la Terre une partie de sa masse invaliderait la loi. Autrement dit, les lois de nécessité que nous pouvons connaître restent relatives à nos capacités, à notre contexte, il ne s’agit pas de lois métaphysiques valant absolument.
L’avantage de cette position est qu’elle permet de répondre aux arguments qui structurent le débat sur le réalisme scientifique. C’est donc le moment de s’intéresser à ces arguments.
L’empirisme modal offre des réponses aux difficultés du réalisme
Il existe plusieurs raisons de douter du réalisme.
Il y a ce qu’on appelle la sous-détermination par l’expérience : plusieurs explications concurrentes sont toujours disponibles pour rendre compte des mêmes phénomènes, alors pourquoi croire l’une plutôt que l’autre ?
Les scientifiques utilisent différents critères pour sélectionner les théories, au-delà de la concordance avec les observations : par exemple, la simplicité (rendre compte d’un maximum de phénomènes par un minimum de principes). Mais qu’une explication soit simple n’indique pas forcément qu’elle soit vraie.
D’un point de vue empiriste, peu importe : ce qui compte, c’est que les explications concordent aux observations, et les hypothèses simples sont plus pratiques.
Un autre problème pour les réalistes est le changement théorique : les hypothèses scientifiques sont successivement abandonnées et remplacées par de nouvelles. Les anciennes hypothèses sont strictement fausses (il n’y a pas de flux calorique ni d’éther luminifère dans le monde comme on le croyait), alors pourquoi croire que celles que nous adoptons aujourd’hui sont vraies ?
Encore une fois, peu importe pour l’empiriste : les hypothèses du passé étaient empiriquement adéquates et celles d’aujourd’hui le sont encore plus. Nous progressons bien, si pas vers plus de vérité, vers plus d’adéquation empirique.
[Note : selon moi, le réalisme structural, qui a été proposé pour répondre à cet argument du changement théorique (parce que les structures nomologiques ne seraient pas perdues lors des changements de théories), n’y parvient pas aussi bien : les lois sont relativisées à des contextes lors des changements de théories, donc nous n’avons pas de raisons de croire qu’elles valent absolument. Il faut donc être empiriste modal].
Le principal argument en faveur du réalisme est qu’il permet d’expliquer le succès des sciences et des technologies, non seulement pour prédire les phénomènes que les théories prétendaient expliquer au moment de leur conception, mais aussi quand on étend ces théories à de nouveaux domaines d’expérience ou quand on augmente considérablement la précision de nos mesures. Pour les réalistes, ce succès serait un miracle si nos théories ne parvenaient pas à capturer certains aspects importants de la réalité, de véritables lois de la nature par exemple pour le réalisme structural.
Selon moi, l’empirisme modal permet de dissoudre cet argument : les nouvelles prédictions des théories, selon cette forme d’empirisme, n’ont rien de « miraculeuses ». En effet, l’application de théories à de nouveaux domaines correspond à des possibilités a priori, et puisque pour l’empirisme modal, le fait que la théorie continuera de fonctionner dans de nouveaux domaines d’application est justifié par une induction sur les possibles, ça n’a rien d’un miracle. En outre, ce « miracle » peut échouer quand on étend trop le domaine d’application (la théorie de Newton ne rend pas bien compte des trous noirs), ce dont la notion de nécessité relative permet de rendre compte.
Les théories scientifiques offrent une carte des possibilités physiques dans le monde
En somme, j’ai défendu dans ma thèse que la bonne façon de comprendre le contenu des théories scientifiques est la suivante : les théories nous renseignent sur ce qui est possible ou non relativement à nos interventions et observations expérimentales.
Elles ne se contentent pas de synthétiser des régularités effectives comme le propose l’empirisme classique, ni ne décrivent la nature de la réalité comme le veulent les réalistes, mais nous offrent des cartes des possibilités physiques qui s’offrent à nous dans le monde.
Quel est le sens de cette discussion ?
On peut se demander quel est l’enjeu de ces débats, quelle contribution apporte ma thèse à notre compréhension du monde.
Derrière cette question se pose celle de l’utilité de la philosophie en général.
Pour ma part, j’ai peu de scrupules à affirmer que la philosophie n’a pas besoin d’avoir une utilité particulière autre que de répondre à une curiosité intellectuelle.
En l’occurrence, il s’agit d’une curiosité à propos du fonctionnement de la science et de ce qui garantit son succès. Ceci dit, j’ai aussi tendance à penser que la curiosité intellectuelle est mal placée quand elle concerne des questions déconnectées de tout enjeu pratique…
Et justement, on peut voir les positions empiristes comme des positions qui tentent de ramener les débats philosophiques à des questions concrètes, tangibles, en rapport à l’expérience, et à se méfier des spéculations métaphysiques sans aboutissants.
Si donc il pouvait y avoir une contribution indirecte à ma thèse, ce serait de proposer une compréhension des questions qu’il est légitime ou non de se poser dans un esprit pragmatique, notamment dans le cadre de la science.
Lire aussi :
Le paradoxe du rapport entre philosophie et science
La philosophie inutile ? Dépassée par les sciences ? Sur les malentendus du positivisme naïf
A mon avis l’empirisme traditionnel est trop radical en la matière et s’accompagne d’une vision trop passive des sciences, comme enregistrant des régularités. Le but des sciences est de nous renseigner sur les possibilités tangibles qui s’offrent à nous, relativement à notre position dans le monde, et sans doute d’étendre ces possibilités, au moins de nous en fournir une carte pour nous y orienter. On comprend bien dans ce cadre le rapport des sciences aux technologies.
Mais que ce soit en science (en physique fondamentale notamment) ou en philosophie (en métaphysique), on devrait se méfier des théories qui prétendent atteindre l’absolu et qui spéculent de manière abstraite sur la nature de la réalité, et se ramener tant que faire se peut à des choses pratiques et tangibles.
Voilà ce que pourrait être le message à retenir.
Commentaire envoyé par Hubert Houdoy
Le personnage de Robinson Crusoé n’illustre-t-il pas la centralité de l’adéquation empirique pour l’humanité, sachant que Robinson est une humanité à lui tout seul, dont la folie individuelle ne peut se diluer dans le délire d’un groupe ?
Se connaître et connaître le monde ne passent pas forcément par des pratiques différentes. En tout cas, pour Robinson Crusoé, ces deux processus d’acquisition de connaissances n’en forment qu’un.
« L’homme ne se connaît lui-même que dans la mesure où il connaît le monde (Goethe) ».
Robinson lutte contre la folie ou le délire, mais ne pratique pas la psychanalyse (c’eût été bien avant l’heure). Il est néanmoins évident que, comme Alexander Selkirk (octobre 1704, 2 février 1709), il a évolué au cours de son séjour
L’adéquation empirique de ses représentations et de ses émotions est cruciale pour un naufragé solitaire comme Robinson Crusoé. Or Robinson doit non seulement s’adapter à ce qu’il observe, mais aussi à ce qui n’est que potentiel. Une trace de pas sur le sable le fait fantasmer sur la possible venue de cannibales. Ceci réveille ses angoisses. Il y répond par une volonté de massacre. Nous pensons que c’est cette contrainte sélective (pour échapper tant à la mort qu’à la folie et à la fureur homicide) qui lui permet d’acquérir l’humanité dont il fait preuve lorsqu’il retrouve des humains, généralement hostiles (cannibales, marins mutinés). L’adéquation empirique de Robinson est aussi une culture et une articulation entre sa nature interne et la nature externe.